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donner tout le tems de dîner à leur aise. Après un repas fort long, les dames demandèrent des cartes: Comment des cartes, s'écria M. de Roquelaure! vous n'y pensez pas, mesdames! vous oubliez que Baron se prépare à vous lire sa comédie nouvelle. Non, non, monsieur lui répondit une comtesse, nous ne l'oublions point: tandis que nous jouerons, M. Baron nous lira sa pièce : nous aurons deux plaisirs pour un. A ces mots, l'auteur se lève brusquement, gagne la porte, rompt en visière à la compagnie, et dit que sa pièce n'est point faite pour être lue à des joueuses. Poinsinet a mis cette anecdote en action dans sa comédie du Cercle.

ADHERBAL, roi de Numidie, tragédie de la GrangeChancel, 1694.

Cette pièce, que l'auteur avait faite sous le titre de Jugurtha, est son coup d'essai. Ce changement de titre parut nécessaire aux comédiens, pour empêcher le public de la confondre avec le Jugurtha de Péchantré, qui venait d'échouer. On ne trouve point dans le héros de la pièce, dans Jugurtha, ce caractère de grandeur et de noblesse, qui avait frappé l'auteur, au point de mériter la préférence sur Annibal et Mithridate. Scaurus diffère trop à laisser entrevoir l'objet de son ambassade, qui est de rompre toute alliance entre les princes de Numidie et le roi de Mauritanie. Ce trait de la politique romaine est manié avec une faiblesse, qui prouve le peu d'expérience d'un jeune auteur. Le caractère noble et intrépide d'Artémise est le seul qui intéresse. La Grange dit qu'il s'est attaché particulièrement à corriger ce poëme: malgré les soins qu'il a pris d'en changer presque tous les vers, un grand nombre a échappé à la sévérité de sa réforme.

Quand je crus avoir mis la dernière main à ma tragédie, dit ce poète, je me hasardai de la présenter à madame la princesse de Conti. Malgré tous les défauts dont cette pièce était remplie, la princesse y trouva assez de choses dignes de son attention, pour envoyer chercher le célèbre Racine, et le prier avec bonté de lire cet essai d'un gentil-homme qui était son Page, et de lui en dire son avis sans aucun déguisement. Racine garda la pièce huit jours, après lesquels il se rendit chez la princesse, et lui dit qu'il avait lu ma tragédie avec étonnement; qu'à la vérité elle était défectueuse en plusieurs endroits: mais que, si son Altesse agréait que j'allasse quelquefois chez lui pour y recevoir ses avis, il la mettrait, dans peu de tems, en état d'être jouée avec succès. Je ne manquai pas de m'y rendre tous les jours, et je puis dire que les lecous qu'il me donnait m'en ont plus appris, que tous les livres que j'ai lus. Il se faisait quelquefois un plaisir de m'entretenir des différens sujets, qui lui avaient passé dans l'esprit. Il n'y en avait presque point, soit dans la fable, soit dans l'histoire, sur lesquels il n'eut promené ses idées, et trouvé des situations intéressantes, dont il avait la bonté de me faire part. Ma tragédie étant achevée, je la présentai aux comédiens, qui la reçurent. Il fut résolu qu'on la donnerait sous le titre d'Adherbál, au lieu de celui de Jugurtha; parce qu'il n'y avait pas long-tems que Péchantré en avait donné une sous le même titre, qui n'avait pas été reçue favorablement du public. Mon Adherbal fut représenté. Le prince de Conti, qui voulut bien assister à la première représentation, voulut aussi que je me misse auprès de lui, sur les bancs du théâtre, en disant que mon âge fermerait la bouche aux censeurs. Racine, à qui la dévotion ou la politique ne permettait plus de fréquenter

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les spectacles, depuis que le roi s'en était privé, vint à cette première représentation, et parut prendre un plaisir extrême à tous les applaudissemens que je reçus.

ADIATOR, roi de Numidie, tragédie d'un anonyme, jouée vers l'an 1623.

Cette pièce a fourni plus d'une situation à plus d'un auteur, qui ne s'en est pas vanté.

ADIEUX DE MARS (les), comédie en un acte, en vers, par Lefranc de Pompignan, au Théâtre Italien, 1735.

C'est une de nos bonnes pièces épisodiques. Les détails font valoir ces sortes d'ouvrages, et chaque scène de celui-ci en offre de brillans. Rien de plus ingénieux que la scène des Grâces, ni de mieux exprimé que le récit de leur voyage. On pourrait être choqué de la manière dont Mars traite Vulcain: l'auteur fait parler les dieux, comme dans les dialogues de Lucien; ou plutôt, Mars est un de nos officiers petits-maîtres, et Vulcain, un de nos maris dociles et commodes.

La septième scène de cette comédie se passait entre Mars et Vulcain. Mars commandait un bouclier; et, après avoir ordonné qu'on y gravat le portrait du roi, il ajoutait les vers suivans, qui furent retranchés par ordre supérieur, et n'ont été, ni imprimés depuis, ni récités au théâtre.

Qu'un buria immortel y trace l'Ausonie,
Expirant aux genoux d'un maître impérieux :
Vers les climats français qu'elle tourne les yeux;
Qu'un soleil bienfaisant la rappelle à la vie.
Que de ses protecteurs les bataillons nombreux,
Conduits par le secret, la prudence et l'audace,
Malgré des montagnes de glace,

Volent à son secours, et reçoivent ses vœux.

Qu'elle ouvre à son aspect ses villes consternées,
Et bénisse le jour qui vit leurs étendards
Briser, franchir les eaux, par l'hiver enchaînées;
Et, du sommet glacé des Alpes étonnées,
Du superbe Germain effrayer les regards,
Que bientôt l'Éridan, témoin de tant de gloire,
D'un peuple redoutable admire les exploits;
Et que ses flots, soumis à de nouvelles lois,
Reconnaissent la France, en voyant la Victoire.
Portez ailleurs vos yeux surpris;

Et qu'un nouveau spectacle enchante les esprits.
Peignez la fière Germanie,

Aux armes du vainqueur à son tour asservie;
Que du Rhin mutilé le Dieu présomptueux
Répande loin des bords ses flots impétueux;
Qu'aussitôt à sa voix, les vents et les nuages
Excitent dans les airs la foudre et les orages;
Que l'on voie, au milieu des plus affieux hasards,
Dans le noble désir de venger leur patrie,
Malgré l'airain en feu tonnant de toutes parts,
Des bataillous français l'invincible furie
Braver des élémens la force réunie;

Le fleuve consterné murmurer sur ses bords,
Du malheureux succès de ses faibles efforts;

Les murs et les remparts tomber, réduits en poudre;
Et l'aigle, en frémissant, abandonner la foudre.

ADIEUX DE THALIE (les).

Cette petite pièce fut jouée pour la clôture du Théâtre Italien, en 1778. Nous en citerons un épisode qui a été fort applaudi, et qu'on lira sans doute avec plaisir.

Les comédiens sont assemblés pour complimenter les spectateurs arrive un musicien qui veut faire entendre un opéra tout entier.

:

J'apporte un opéra, qu'on doit trouver sublime;
Car il vient de fort loin; des cris, des passions,

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Ce genre, je le sais, n'est point du tout le vôtre;
Mais enfin je ne l'offre ici,

Que pour faire juger de mes talens dans l'autre.
Ce n'est que par degrés qu'on peut arriver-lå.
Malheur à qui trop tôt prend son essor lyrique!

Moi, pour atteindre à l'Opéra-Comique;

J'ai voulu m'essayer par un grand opéra.

Cette tournure épigrammatique est piquante, et l'on sent l'allusion : elle est gaie sans méchanceté.

Le musicien expose le sujet de son grand petit-opéra, en trois actes, et qui n'a que six vers:

Un jeune prince Américain

Est amoureux d'une jeune princesse.

Cet amant, qui périt au milieu de la pièce,

Par le secours d'un Dieu ressuscite à la fin.

Le sujet est tout neuf...

Il va vers la coulisse, et fait signe à sa troupe d'entrer

Vous, peuples, entrez, qu'on s'avance!

Aux chanteurs,

Vous, tâchez de prendre le ton

Aux danseurs,

Vous, le jarret tendu, partez bien en cadence;

Enfin, suivez tous mon bâton.

Il tire son bâton de commandement; l'ouverture de

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