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Baron employait,' au lieu de la' menace, l'expression pathétique de l'intérêt et de la pitié. Il semblait même, par le geste touchant dont il accompagnait ces mots: en l'embrassant, tenir Astyanax entre ses mains, et le présenter à sa mère.

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Le tragique le plus élevé est quelquefois très-bien rendu, par le ton le plus simple et le plus naïf. Quinault Dufresne en a donné un exemple hasardeux, pour quiconque voudrait l'imiter, sans avoir à-la-fois tous les dons naturels de ce grand acteur. Dufresne, représentant Pyrrhus, et rapportant les paroles, qu'Andromaque avait adressées à son fils Astyanax, imitait la voix flûtée d'une femme, en prononçant ces mots :

C'est Hector, disait-elle, en l'embrassant toujours:
Voilà ses yeux, sa bouche, et déjà son audace !

C'est lui-même! c'est toi, cher époux, que j'embrasse ! [

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Reprenant aussitôt la voix la plus mâle, il continuait

avec fierté :

Et quelle est sa pensée ? attend-elle, en ce jour,

Que je lui laisse un fils, pour nourrir son amour?

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Non, non, je l'ai juré, ma vengeance est certaine....

સંત

Ce contraste hardi, mais naturel et soutenu par talent de l'acteur, produisait le plus grand effet.

le

Une débutante au Théâtre-Français, dont les talens étaient médiocres et la figure désagréable, remplissait le rôle d'Andromaque, et le remplissait mal. Sa physionomie ne portait point les spectateurs à l'indulgence. Un d'eux murmurait tout bas d'entendre estropier les vers du tendre Racine, dont il était l'admirateur zélé. Cepen

dant, quelqu'envie qu'il eut d'éclater, il se contraignit; mais ce ne fut pas pour long-tems; car, dans un endroit, où Andromaque dit à Pyrrhus :

Seigneur , que faites-vous, et que dira la Grèce ?

Cet homme, ne pouvant plus se contenir, enfonce son chapeau, se hausse sur ses pieds, et lui répond vivement et intelligiblement sur une rime très-riche :

Que vous êtes, Madame, une laide b....

Il sort en même tems, laisse le parterre applaudir à ce vers impromptu, et l'actrice fort embarrassée de sa figure.

L'Andromaque de Racine est la première tragédie, sur laquelle on ait fait une comédie critique, et même une espèce de parodie. Ce fut la Folle Querelle de Subligny. On dit que Racine fut du nombre de ceux qui attri→ buerent cette pièce à Molière, et qu'il se brouilla avec lui à ce sujet. Il est à remarquer que cette critique fut en France l'origine de ce genre malheureux, qu'on appelle parodie.

La scène d'Andromaque, qui commence par ce vers:

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Eh bien! Phénix, l'Amour est-il le maître ?

est ordinairement fort applaudie. Boileau fut d'abord lui-même au rang des admirateurs; mais il changea ensuite de sentiment. Qu'on ôte, disait-il, le nom de Pyrrhus; on ne trouvera, dans cet endroit, que la peinture de ces folles incertitudes, que Térence dépeint si bien :

J JAB

Excludit, revocat; redeam! non, si obsecret....i mk

Un grave magistrat, qui n'avait jamais été à la comédie, s'y laissa entraîner sur l'assurance qu'on lui donna, qu'il serait très-content de la tragédie d'Andromaque. Il fut très-attentif au spectacle, qui finit par les Plaid-urs. En sortant, il trouva l'auteur; et, croyant lui devoir un compliment, il lui dit: Je suis très-satisfait, Monsieur, de votre Andromaque; c'est une jolie pièce je suis seulement étonné qu'elle finisse si gaiement. J'avois d'abord eu quelqu'envie de pleurer; mais la vue des petits chiens m'a fait rire.

:

ANDROMAQUE, tragédie-lyrique en trois actes, paroles de M. P***., musique de M. Grétry, à l'Opéra, 1780.

Resserrer en trois actes une tragédie admirable en cinq actes du grand Racine, serait un acte de démence; assujétir son style divin aux caprices de la musique, une preuve de mauvais goût; par des transpositions bizarres et forcées, dénaturer les vers et même les sentimens de l'auteur, un trait de sottise; si ce genre d'ouvrage n'eût été pour le public une nouvelle source de plaisirs. Ainsi pardonnons à l'auteur d'avoir travesti une belle tragédie, en un médiocre opéra.

Nous ne nous arrêterons pas à faire l'analyse de ce poëme. Qui ne connaît pas le plan et les vers d'Andromaque? Mais, comme le nouveau poëme a eu l'honneur de parvenir jusqu'à vingt représentations, il nous paraît convenable de dire à quel genre de mérite il en est redevable. Il le doit d'abord à M. P***. lui-même, qui, malgré tous les défauts de son ouvrage, a su l'adapter avec intelligence au Théâtre-Lyrique; par une innovation heureuse, substituer des choeurs aux éternels, monotones

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et froids confidens, et par-là fournir au musicien une manière, plus grande et plus imposante, d'accompagner les principaux personnages; et enfin donner à son spectacle de la pompe, et une marche vive et rapide. Il le doit au musicien, qui, pour la première fois traitant un sujet tragique, a changé dans cet ouvrage sa marche musicale, s'est quelquefois élevé jusqu'aux vers de Racine, et a été aussi vivement que justement applaudi, dans les airs des chœurs et des ballets. Enfin, il le doit à d'Auberval, auteur des ballets, où l'on a sur-tout applaudi la danse pyrrhique, qui s'y trouve d'autant plus naturellement placée, qu'elle s'exécute par l'ordre de Pyrrhus, reconnu pour en être l'inventeur.

Nous croyons devoir faire part à nos lecteurs de l'opi nion d'un homme de beaucoup d'esprit, qui soutient que le projet d'établir la grande tragédie à l'opéra, est un projet chimérique, et que la musique ne peut rendre avec succès la plupart des beaux vers de Racine. « Si j'eusse douté, dit-il, dans une lettre à madame d'A***, qu'une tra gédie lyrique eût réellement besoin d'un style, qui lui fût particulier, j'en aurais été convaincu par la représentation de l'Andromaque. On y a conservé tout ce qu'on a pu des vers de Racine; mais les accens du musicien ne s'accordent point avec la poésie de l'Euripide français..... Je vous citerai un exemple du tort, que M. Grétry fait à Racine, dans tout ce qui est scène. Vous vous rappelez ces vers de l'entrée d'Andromaque :

Je passais jusqu'aux lieux, où l'on garde mon fils,
Puisqu'une fois le jour vous souffrez que je voie
Le seul bien, qui me reste, et d'Hector et de Troie
J'allais, seigneur, pleurer un moment avec lui;
Je ne l'ai point encore embrassé d'aujourd'hui.

Jamais

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Jamais je n'ai entendu répéter ces vers au théâtre, jamais je ne les ai lus, jamais ma mémoire ne me les a rappelés, sans que mon cœur ému ne fît couler mes larmes. Eh bien ! madame, ces vers, conservés en entier dans l'opéra, à l'exception du mot seigneur, je les ai entendus chanter sans émotion, et l'œil sec. Pourquoi ? parce que les accens du musicien ne sont point vrais. Je dirai plus; peut-être est-il impossible de les fixer, surtout ceux qui conviennent au dernier vers. Quel homme serait en effet assez sûr de lui-même, pour se croire capable de créer l'expression simple, naturelle et sensible, que ce vers semble réclamer; une expression, que tout le monde approuvât, parce qu'elle serait capable d'émouvoir tous les cœurs, et cela, dans un morceau de récitatif? S'il en est un, je ne le connais pas. Je conçois bien que cette idée, étendue en quatre petits vers, pourrait fournir un motif de mélodie, qui se rapprochât de l'expression que je demande, autant que les conventions de l'art le permettent; parce que la musique, pour parler à l'âme, a besoin de se développer, et que c'est par des développemens qu'elle produit son effet: mais il est des choses, que le récitatif ne pourra jamais rendre. Donnonsen un exemple : dans le second acte d'Alceste, cette reine généreuse dit à son époux :

Je n'ai jamais chéri la vie,

Que pour te prouver mon amour;
Et, pour te conserver le jour,

Qu'elle me soit cent fois ravie!

L'air de Gluck est un des plus agréables, et tout-à-la-fois un des plus expressifs que je connaisse. Supprimez ces

S

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