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lâtre de son art, parurent froids et doucereux. L'auteur, s'empressa de souscrire aux changemens, que le public luż indiqua, et sa comédie fut rejouée en quatre actes, et accueillie de la manière la plus flatteuse. Nous croyons cependant que cet ouvrage, dont le succès théâtral ne se soutint point, mais qui jouit d'une grande estime auprès de tous les littérateurs, est fait plutôt pour être lu que pour être représenté.

ARTISTES PAR OCCASION (les), opéra-comique en un acte, paroles de M. Alexandre Duval, musique de M. Catel, au Théâtre-Feydeau, 1807.

Le canevas de cette pièce est fort léger; mais, s'il n'a pas été avantageux au poëte, il l'a été au musicien, pour lequel l'auteur paraît s'être sacrifié.

ARTS ET L'AMITIÉ (les), comédie en un acte et en vers, au Théâtre-Italien, 1788.

Bonne, jeune personne, aussi aimable qu'aimante, vit en petit ménage avec un poëte, un peintre et un musicien. Elle ressent l'amitié la plus vive pour le poëte et le musicien, et de l'amour pour le peintre, amour qu'elle dissimule. , pour ne pas affliger les deux autres. Cependant un vieux procureur, dont elle a refusé le main, brûlant de se venger, glisse parmi les papiers des trois amis un écrit contre le gouvernement, va les dénoncer, et revient suivi d'un exempt, qui trouve bientôt, grâce au procureur, le papier fatal, et ordonne aux amis de le suivre; ils allaient le suivre en effet, quand survient un Commandeur, qui, prenant tout sur lui, arrête la poursuite; et l'exempt, éclairé sur l'intrigue du procureur, l'emmène à leur place. Bientôt le Commandeur fait observer, à Bonne et à ses trois

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amis, le scandale de leur conduite, arrache le secret de Bonne, et la force d'épouser celui qu'elle préfère. Les deux autres, loin de s'opposer à cette union, la favorisent de leurs prières, et se consolent des pertes de l'amour au sein

de l'amitié.

On remarque de l'originalité dans le plan et l'intrigue de cette comédie, des inégalités, souvent même des inconvenances dans le style, qui, d'ailleurs, est en général gracieux, spirituel et facile; mais, ce qu'on doit surtout louer, c'est l'art avec lequel l'auteur a masqué ce qu'il y avait de choquant, dans la cohabitation de Bonne avec les trois amis.

ART THÉATRAL. Il est aisé de sentir qu'on resserre ici la signification de ce mot. Rassembler tous les préceptes de l'art théâtral, ce serait vouloir réduire, en un seul article, ce qui est l'objet de ce Dictionnaire. On se propose seulement de réunir ici quelques observations, qui ne pourraient que difficilement trouver leur place ailleurs. On tâchera surtout de développer l'artifice, qui à présidé à la contexture de quelques-uns de nos chefsd'œuvre. On entrera dans quelques détails, parce que les préceptes paraissent peu de chose, sans les exemples qui les éclaircissent.

Outre les principales règles de l'art dramatique, qu'on peut voir aux mots action, intrigue, intérêt, unité, épisode, etc., on sait qu'il existe un art plus caché et plus délicat, qui règle en quelque façon tous les pas qu'on doit faire, et qui n'abandonne rien aux caprices du génie même. Il consiste à ranger tellement ce qu'on doit dire, que, du, commencement à la fin, une scène prépare une autre scène ; et que, cependant, elles ne paraissent jamais

faites

faites pour rien préparer. C'est une attention de tous les instans, à mettre si bien toutes les circonstances à leur place, qu'elles soient nécessaires où on les met, et que d'ailleurs elles s'éclaircissent et s'embellissent toutes réci proquement; à tout arranger pour les effets qu'on a en vue, sans laisser apercevoir de dessein; de manière enfin que le spectateur voye toujours une action, et ne sente jamais un ouvrage ; autrement, l'illusion cesse ; et l'on ne voit plus que le poëte, au lieu des personnages. C'est un grand secret de l'art, quand un morceau plein d'éloquence, ou un beau développement, sert non seulement à passionner la scène, où il se trouve, mais encore à préparer le dénouement, ou quelque incident terrible. En voici un exemple frappant dans les Horaces.

Le vieil Horace s'applaudit, de ce que ses enfans n'ont pas voulu qu'on les empêchât de combattre contre les trois Curiaces:

Ils sont, grâces aux dieux, dignes de leur patrie;
Aucun étonnement n'a leur gloire flétrie;

Et j'ai vu leur honneur croître de la moitié,
Quand ils ont de deux camps refusé la pitié. ·
Si, par quelque faiblesse, ils l'avaient mendiée,
Si leur haute vertu ne l'eût répudiée,

Ma main bientôt, sur eux, m'eût vengé hautement
De l'affront, que m'eût fait ce mol consentement.

Ce discours du vieil Horace, dit Voltaire, est plein d'un art, d'autant plus beau qu'il ne paraît point: on ne voit que la hauteur d'un Romain, et la chaleur d'un vieillard, qui préfère l'honneur à la nature mais cela même prépare le désespoir, que montre le vieil Horace, dans la scène suivante, lorsqu'il croit que son troisième fils s'est enfui.

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Le poëte, dit de la Motte, travaille dans un certain ordre, et le spectateur sent dans un autre ; le poëte se propose d'abord quelques beautés principales, sur lesquelles il fonde l'espoir de son succès: "c'est delà qu'il part; et il imagine ensuite ce qui doit être dit ou fait, pour parvenir à son but. Le spectateur, au contraire, part de ce qu'il voit et de ce qu'il entend d'abord; et il passe delà aux progrès et au dénouement de l'action, comme à des suites naturelles du premier état, où on lui a exposé les choses. Il faut donc que ce que le poëte a inventé arbitrairement, pour amener ces beautés, devienne, pour les spectateurs, les fondemens nécessaires dont elles. naissent. En un mot, tout est art du côté de celui qui arrange une action théâtrale; mais rien ne le doit paraitre à celui qui la voit. »

སྱཱ

Il est certains sujets très-beaux, mais d'une difficulté presque insurmontable, parce que leur beauté même tient à quelque défaut de vraisemblance, qu'on ne peut éviter : c'est alors que le génie développe toutes ses ressources : l'art consiste à cacher ce défaut, sous des beautés d'un ordre supérieur. Telle était, dans Tancrède, la difficulté d'empêcher que les deux amans pussent se voir et s'expliquer, ni avant, ni après le combat. Que fait l'auteur ? Tancrède` apprend, de la bouche du père même d'Aménaïde, qu'elle est infidèle. Aucun chevalier ne se présente pour la défendre.

ARGYRE.

I

Celle, qui fut ma fille, à mes yeux va périr,
Sans trouver un guerrier, qui l'ose secourir.
Ma douleur s'en accroît; ma honte s'en augmente z
Tout frémit, tout se tait; aucun ne se présente.

TANCREDE.

Il s'en présentera; gardez-vous d'en douter!

ARGYRE.

De quel espoir, seigneur, daignez-vous me flatter?

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Eh! qui, pour nous défendre, entrera dans la lice?
Nous sommes en horreur; on est glacé d'effroi .
Qui daignera me tendre une main protectrice ?
Je n'ose m'en flatter. Qui combattra?

TANCREDE.

Qui? moi!

Moi, dis-je, et, sí le ciel seconde ma vaillance,
Je demande de vous, seigneur, pour récompense,
De partir à l'instant, sans être retenu,

Sans voir Aménaïde, et sans être connu.

Que de beautés dans cette scène ! l'auteur saisit le moment d'une émotion si vive, pour vous cacher le défaut de son sujet. Quel intérêt il annonce! Il vous donne beaucoup, et vous promet davantage. Tancrède vainqueur ne pourra point parler à sa maîtresse ; mais, vous vous y attendez. D'ailleurs, elle ne le verra qu'environné de ses ennemis, qui ne le connaissent point. Cette circonstance, toute nécessaire qu'elle est, cesse de vous le paraître, parce que dans un moment, où le spectateur ne pouvait point la prévoir, Tancrède a déjà résolu de partir, sans voir Aménaïde. C'est-là le comble de l'art.

Dans la tragédie de Mahomet, il paraît nécessaire que Séide arrive dans la Mecque avant Mahomet; maïs, est-il dans l'exacte vraisemblance, qu'un jeune homme vienne ainsi se donner lui-même en ôtage, sans l'aveu de son

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