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maître? L'auteur a bien senti ce défaut. Il en tire une beauté. Séide, en voyant Mahomet, s'écrie:

O mon père! ô mon roi!

Le dieu, qui vous inspire, a marché devant moi.
Prêt à mourir pour vous, prêt à tout entreprendre,
J'avais prévu votre ordre.

MAHOM E T.

Il eût fallu l'attendre:

Qui fait plus qu'il ne doit, ne sait point me servir :
J'obéis à mon Dieu; vous, sachez m'obéir.

Et l'empressement de Palmire à justifier Séide devant Mahomet, qui abhorre en lui son rival, est aussi une beauté, qui naît de ce léger défaut.

Semiramis est encore un modèle inimitable de la manière de triompher des difficultés d'un sujet. L'auteur veut présenter le tableau terrible d'une reine, meurtrière de son époux, immolée sur la cendre de cet époux par son fils même, qu'elle allait défendre contre un ministre, qui fut complice de ses crimes. Mais comment amener Sémi◄ ramis dans le tombeau de Ninus? Le poëte, pour sauver cette invraisemblance, fait intervenir le ministère des dieux. Ce sont eux qui, depuis quinze ans, préparent tout pour la vengeance; ce sont eux qui ont sauvé Ninias, par les soins de Phradate ; ce sont eux qui ordonnent à Sémiramis de rappeler Arsace, et qui inspirent à cette reine le dessein de l'opposer à Assur, et de lui donner son trône. Lamajesté sombre et terrible du sujet, tout le rôle d'Oroès, le style pompeux et le grand intérêt, la leçon terrible donnée aux rois, et même à tous les hommes, voilà l'artifice théâtral, dont le poëte se sert, pour triompher de tant d'obstacles.

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Une des beautés de l'art dramatique, c'est de disposer tellement la pièce, que les principaux personnages soient eux-mêmes les agens de leur propre malheur. Voltaire y a manqué rarement. Sans parler d'Edipe, qui est fondé, d'un bout à l'autre, sur l'ancien systême du fatalisme; c'est Brutus qui, dans la pièce de ce nom, veut, contre l'avis de Valérius, qu'on admette dans Rome l'ambassadeur Toscan, qui doit séduire son fils. C'est lui qui, par noblesse et par grandeur d'âme, a donné à la fille de Tarquin un asile dans sa maison: c'est lui qui, au cinquième acte, s'écrie encore :

Mais, quand nous connaîtrons les noms des parricides,
Prenez garde, Romains, point de grâce aux perfides;
Fassent-ils nos amis, nos femmes, nos enfans,
Ne voyez que leur crime, et gardez vos sermens.

Voyez encore l'usage, que l'auteur fait toujours de ce personnage. Il ne le fait paraître que dans les momens, où sa présence peut jeter de l'intérêt ou de l'effroi. C'est pour se plaindre à Messala, complice de Titus, des emportemens de son fils; c'est pour faire partir Tullie, dans le moment où son fils allait promettre de lui tout sacrifier; c'est pour le charger du soin de défendre Rome, quand ce fils malheureux vient de la trahir.

Dans Zaïre, ce sont Orosmane et Zaïre, qui sont les agens de leurs maux. La générosité d'Orosmane, qui délivre les chevaliers Romains, et celle de Zaïre, qui a 'demandé et obtenu la grâce de Lusignan, amènent la reconnaissance de Lusignan et de sa fille, et tous les malheurs d'Orosmane et de Zaïre. On retrouve le même artifice àpeu-près dans Alzire. C'est Alvarès, qui a obtenu la liberté

des prisonniers, parmi lesquels se trouvera son libérateur, qui deviendra le meurtrier de son fils.

Préparer et suspendre, sont les deux grands secrets du. théâtre. Un incident est-il d'une grande importance? Faites-le pressentir à plusieurs esprits, mais sans le laisser deviner. Est-il moins intéressant? Contentez-vous d'en laisser entrevoir le genre. Voyez avec quel soin l'auteur de Mérope, insiste sur les moyens de détruire la puissance de Polifonte; voyez comment il prévient toutes les objections, qu'on peut lui faire. C'est encore une adresse théâtrale d'aller au-devant des objections, fut-on même dans l'impossibilité de les détruire. Le spectateur, content de voir que l'auteur n'a point péché par ignorance, prend le change, et impute tout à la difficulté du sujet.

L'art de tenir les esprits en suspens n'est pas moindre que celui de préparer. Cette adresse a souvent fait le succès de plusieurs ouvrages assez médiocres. C'est elle qui a soutenu si long-tems la Sophonisbe de Mairet. Nos grands maîtres n'y manquent jamais.

C'est cet art de suspendre qui fait passer le spectateur, de l'espérance à la crainte, du trouble à la joie. C'est l'arțifice du cinquième acte de Tancrède. L'auteur n'a, pour occuper la scène, que le danger de Tancrède, et l'incertitude des événemens. Argyre envoie les chevaliers le secourir. Aménaïde se livre aux transports de sa joie; et le retour d'Aldamon, qui lui annonce que Tancrède est blessé mortellement, la rejette dans le désespoir.

Il faudrait parcourir les pièces de Corneille, de Racine et de Voltaire, pour faire voir toutes les finesses de l'ait dramatique; et, dans le comique, il n'y a pas une seule des bonnes pièces de Molière, qui ne fasse admirer toutes les ressources de son génie, et les finesses de son art.

ARVIRE ET ÉVÉLINA, tragédie lyrique en trois actes, par M. Guillard, musique de Sacchini, à l'Opéra, 1788.

Le sujet de cet opéra est tiré d'un fait historique, déjà traité en Angleterre, par Mason, sous le titre de Caractacus. On trouve de l'intérêt et de belles scènes dans le poëme, qui a remporté un prix, au concours de 1787. La musique en est très-belle; le troisième acte est de M. Rey, directeur de l'orchestre de l'Opéra.

ASBA, tragédie de Brueys, non représentée, imprimée en 1735.

Cette pièce fut présentée aux comédiens, en 1722; ils ne jugèrent pas à propos de la recevoir. Elle est tirée, dit un ancien Journaliste, d'une histoire tragique, arrivée à Poitiers, une année avant celle où un père malheureux poignarda son fils, sans le connaître.

ASPAR, tragédie de Fontenelle, 1680, non imprimée. On attribue faussement à Racine des couplets assez plaisans sur cette tragédie. On n'en connaît plus que ces deux-ci : c'est Fontenelle qui parle.

Adieu! ville peu courtoise,
Où je crus être adoré;
Aspar est désespéré.
Le poulailler de Pontoise
Me doit ramener demain
Voir ma famille bourgeoise;
Me doit ramener demain,
Un bâton blanc à la main.

Mon aventure est étrange:
On m'adorait à Rouen;
Dans le Mercure-Galant,

J'avais plus d'esprit qu'un ange.

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Lysis, amant d'Aspasie, obtient de Thélephe, son oncle, d'en faire la demande à Agénor, père de cette fille. Argiléon, père de Lysis, ignorant la passion de son fils, prévient la démarche de Thélephe, obtient Aspasie pour lui-même, et l'épouse; Lysis, au désespoir, tombe évanoui aux pieds d'Aspasie ; cette dernière en fait de même. Les parens, touchés de ce spectacle, en viennent à un éclaircissement; Argiléon cède Aspasie à son fils et tous les personnages sortent contens. Cette pièce est très-faible; on peut même dire qu'elle blesse les mœurs, attendu le mariage d'Argiléon et d'Aspasie, qui peut être consommé. L'auteur aurait pu très-aisément sauver cette défectuosité, en faisant arriver le désespoir des deux amans, avant la conclusion du mariage.

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Cette pièce est le coup d'essai d'un homme, qui n'avait aucune inclination pour la poésie dramatique travaillait que par obéissance pour les ordres du cardinal de Richelieu. Lorsque cette Éminence connaissait un bel-, esprit, qui n'avait pas de goût pour ce genre de poésie, il l'y engageait insensiblement, par toutes sortes de soins et de caresses. Voyant que Desmarets en était très-éloigné, il le pria d'inventer, du moins, un sujet de comédie, qu'il voulait, disait-il, donner à quelqu'autre, pour le mettre en vers. Desmarets lui en apporta quatre, bientôt après ; celui d'Aspasie, qui en était un, lui plut infiniment; mais,

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