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HELOISE.

Quel est donc ce mystère, et que voulez-vous dire?

FRONTIN.

On a détruit en lui l'homme, sans le détruire;
Enfin, pour vous parler sans fard,

Il est mort sans mourir, il est vivant sans vivre;

Abailard n'est plus Abailard.

La douleur, les sanglots m'empêchent de poursuivre.
Nérine, dans ces lieux, n'attendons rien de bon.
Essayons de sortir, au moins tels que nous sommes,

De cette maudite maison,

Où l'on traite si mal les hommes.

,

Voici encore un autre morceau dans lequel Héloïse étale toute sa philosophie. Mes parens, dit-elle, se sont imaginé que j'étais le jouet des passions;

Et que, courant après un vain fantôme,

Mon cœur dans Abailard n'avait cherché qu'un homme.
Ils ont cru me punir, en vous sacrifiant;

Mais leur espérance est trompée

Par le plus faible endroit les crucls m'ont frappée ;
Sans m'ôter mon amour, ils m'ôtent mon amant:
Je ne suis point changée, et, lorsque je vous aime,
Dans yous, cher Abailard, je n'aime que vous-même.

Malgré cette déclaration, Abailard veut se séparer d'Héloïse, pour aller dans un cloître ensevelir son malheur et sa honte. Il conseille à sa maîtresse de suivre son exem¬ ple; elle y consent; alors ils se font les plus tendres adieux,

On voit assez que cette pièce n'était pas destinée à être représentée,

ABANCOURT ( François-Jean Willemain D'), né à Paris en 1745, mort en 1802.

Les ouvrages de ce jeune auteur, disait en 1772 un Critique sévère, n'annoncent que de la médiocrité, ce qui ne promet pas de grands progrès. Des commencemens faibles ne doivent pas toujours tirer à conséquence; mais, quand le génie manque dans la jeunesse, c'est un triste présage pour la suite.

D'Abancourt a prouvé la justesse de ces réflexions, surtout par ses œuvres dramatiques. Le Philosophe soi-disant, l'École des Épouses, le Sacrifice d'Abraham ne sont remarquables que par quelque entente de la scène : ses comédies et ses proverbes n'obtinrent aucun succès.

ABBÉ DE L'ÉPÉE (l'), drame en cinq actes prose, par M. Bouilly, au Théâtre Français, 1800.

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On connaît l'aventure du jeune comte de Solar, ce sourd-muet de naissance, qui, s'étant égaré dans Paris, fut remis par un officier de police entre les mains de l'abbé de l'Épée. C'est cette aventure qui fait le fonds du drame de M. Bouilly,

Quel génie n'a-t-il pas fallu à l'abbé de l'Épée, pour en venir au point de découvrir toutes les particularités de la vie de cet infortuné! Suivons pas-à-pas la marche qui le conduisit à ce but, qu'il était si difficile d'atteindre.

Passant un jour devant le Palais de Justice, il voit l'enfant très-ému à l'aspect d'un magistrat en robe rouge, l'interroge à sa manière, et en apprend que son père portait le même habit; d'où il conclud que l'enfant est le fils d'un magistrat. Une autre fois, à la rencontre d'un convoi, il remarque que son élève est saisi à la vue du vêtement de ceux qui l'accompagnent: il l'interroge encore; et l'enfant lui fait entendre qu'il a vu des personnes ainsi vêtues

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marcher à la suite du corps de son père. Son père était donc mort et magistrat : mais de quelle province ? On le mène à différentes barrières; il reconnaît celle d'Enfer, désigne la place où la voiture a été visitée, où il est descendu, etc. Son père était donc magistrat d'une ville du Midi de la France: on mène l'enfant sur cette route; on va même jusqu'à Toulouse. Alors, Théodore reconnaît la ville, la rue enfin l'hôtel de son père : on s'informe, on apprend que cet hôtel est occupé par d'Arlemont oncle de Théodore. Adressé à un avocat célèbre, appelé Linval, ami de Saint-Alme, fils de d'Arlemont, et amant aimé de Clémence, sœur de l'avocat, l'abbé de l'Épée reçoit sur cette affaire tous les renseignemens possibles bientôt d'Arlemont est interrogé ; il nie tout pour le convaincre, on fait venir Théodore. Quelle scène terrible que celle, où ce jeune infortuné crie et recule d'horreur à l'aspect de cet oncle dénaturé, qui l'a de ses mains vêtu en pauvre, et l'a indignement abandonné dans la rue! et quelle scène touchante, lorsqu'en détournant de cet oncle cruel ses regards effrayés, il voit Saint-Alme, ce tendre ami de son enfance! Mais rien ne peut déterminer l'oncle à l'aveu de son attentat. A la fin cependant son fils parvient à en arracher cet aveu par écrit, et la restitutión des biens de Théodore. Ce jeune homme, instruit de tout par son maître, n'en veut accepter que la moitié, et remet l'autre à Saint-Alme, qui épouse Clémence.

Ce drame a obtenu les suffrages du public. Nous observerons cependant que l'amour épisodique de Saint-Alme et de Clémence altère l'unité d'intérêt. Mais ne faut-il pas que toute comédie finisse par un mariage?

1

ABBÉ DE PLATRE (l'), comédie en un acte et en prose, de M. Carmontel, aux Italiens, 1779.

Une figure de plâtre coloriée, représentant un Abbé assis et tenant un livre à la main, a long-tems été admirée à Paris, sur le boulevard, pour le ton de vérité qu'on y trouvait : elle a fait naître l'idée de cette petite pièce.

ABBÉ ET LE MOUSQUETAIRE (1'), comédie en trois actes, en vers, par M. D. G***, non représentée, 1797.

Le sujet de cette comédie, dont le plan est bien dessiné et le style agréable, est tiré de l'anecdote suivante. (Voyez LA REVANCHE FORCÉE.)

Des jeunes gens, en se promenant au bois de Boulogne, aperçoivent un abbé seul, qui chantait au pied d'un arbre; ils s'en approchent et l'entourent ; l'Abbé, surpris de cet auditoire, s'arrête tout court, et reste dans le plus profond silence. Le plus étourdi l'apostrophe, lui déclare qu'attirés par le charme de sa voix, ils sont venus pour l'entendre, et qu'ils espèrent bien qu'il ne les privera pas de ce plaisir. Le chanteur s'excuse, dit qu'il n'a point de musique, et qu'il n'est point en état de se donner en spectacle: on insiste, il refuse. L'orateur pétulant lève enfin sa et menace de battre la mesure sur les épaules de M. l'Abbé, s'il se fait encore prier.« Voilà une plaisante façon de donner de la voix. Je conviens qu'elle est un peu dure : eh bien ! vous l'aimez mieux, on vous coupera les oreilles ». Le pauvre diable, voyant qu'il ne peut faire entendre raison à ces Messieurs,

canne,

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prend

son parti, et chante très-mal, comme on le juge aisé ment. Remettez-vous, M. l'Abbé, cela ira mieux la

seconde fois. » Et on le fait passer de l'adagio à l'allégro, et du piano au forte. Enfin, les jeunes fous se retirent, après lui avoir fait beaucoup de complimens sur la beauté de son organe, et principalement sur sa complaisance. L'Abbé, qui avait cette scène sur le cœur, ne perd point la tête; tandis qu'ils continuent leur promenade, il se rend à la porte du bois de Boulogne. Par la description qu'il fait de la compagnie, on lui indique leur voiture ; il interroge le cocher, qui est précisément celui du harangueur; il apprend que ce dernier est Mousquetairenoir. Il retourne à Paris, et court à l'hôtel pour s'assurer de l'adresse. Le lendemain de grand matin, il s'habille en bourgeois, et se rend en diligence chez son homme. Il se fait introduire auprès de lui, et, se trouvant tête-à-tête, il s'annonce pour l'Abbé de la veille, qui vient demander raison du procédé injurieux. « Vous êtes un galant homme; j'aime les abbés au poil et à la plume; rien de plus juste!-Où sera le champ du combat?-Au lieu même de l'insulte.-Très-volontiers. » Le Mousquetaire se fait passer un frac, fait mettre ses chevaux à sa voiture, et nos deux champions se rendent au bois de Boulogne. Arrivés à la porte, ils mettent pied à terre et vont au rendez-vous.— Comme le Mousquetaire mettait bas son habit, son rival tire un pistolet de sa poche, et, le portant sur la gorge de son adversaire : « Nous n'en sommes point à nous battre, Monsieur; vous m'avez fait chanter malgré moi; je vous juge très-beau danseur, et vous danserez, ou je vous brûle la cervelle. » En vain le Mousquetaire,fort étourdi de cette botte secrète, veut faire valoir les lois de l'honneur: « Vous les avez méconnues hier, et vous ne méritez pas qu'on en use autrement : point tant de façons, ou je vais me venger, quelles qu'en doivent être les suites »... Le Mousquetaire,

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