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Les nouveaux acteurs, consternés d'un ordre qui renversait leurs espérances de fortune, après en avoir conféré avec leurs enthousiastes protecteurs, sollicitèrent à la cour leur rétablissement. Charles VI leur ordonna de jouer le fameux mystère en sa présence. Il en fut si satisfait, qu'il leur accorda, l'an 1402, des lettres-patentes pour leur établissement dans la capitale. En vertu de ce privilége, les pélerins-acteurs prirent le titre de Confrères de la Passion, et fondèrent rue St.Denis, à l'hôtel de la Trinité, un théâtre, où ils représentèrent, les dimanches et fêtes, des Mystères, dont les sujets étaient tirés de l'Ancien ou du Nouveau Testament, et de la Vie des Saints.

Leur établissement fit un si grand bruit dans le royaume, que les villes principales en formèrent de semblables. Celles d'Angers, de Rouen et de Metz furent les premières qui en donnèrent l'exemple; il fut bientôt imité par toutes les

autres.

Ce premier théâtre subsista ainsi près de cent cinquante ans ; mais, l'uniformité d'un spectacle trop sérieux commençant à le faire abandonner, les confrères imaginèrent de l'égayer, et de le soutenir par des divertissemens. Pour y mieux réussir, ils s'associèrent avec le Prince des Sots et sa

troupe : ceux-ci étaient des farceurs, tous fils de famille, qui, sous le nom d'Enfans sans souci, jouaient de petites pièces, et avaient un chef ou directeur.

En 1548, la société acheta l'ancien hôtel des ducs de Bourgogne, et y fit construire un théâtre. Le Parlement lui permit de s'y établir, à condition de ne jouer que des sujets profanes, mais décens. Un tel ordre blessa la piété des Confrères de la Passion; ils cédèrent à une troupe de comédiens, qui venait de se former à Paris, leur droit de propriété, moyennant une rétribution annuelle, et se retirèrent de la carrière théâtrale. Le nouveau spectacle continua la sienne avec le plus grand succès.

Il n'était pas le seul qui amusât les citoyens de Paris. Déjà les clercs de la Bazoche, qui s'étaient acquis de la réputation par leurs poésies, avaient obtenu la permission de jouer sur un théâtre particulier leurs propres ouvrages, et ils étaient devenus les rivaux des comédiens de l'hôtel de Bourgogne.

Louis XII avait protégé les acteurs, et encouragé les poètes à fronder, sans ménagement, les vices de ses Sujets. Aussi courait-on en foule à la réprésentation des Mystères, des Soties, des Mo

ralités et des Farces (1). Les farces et les soties étaient consacrées à la gaieté et à la plaisanterie, que l'on portait toujours jusqu'à la licence, et dans les images et dans les expressions. François Ier. fit ordonner aux comédiens de supprimer les satires de leurs pièces, et le théâtre commença dès-lors à s'épurer.

L'imprimerie découverte sous Louis XI, les Lettres rétablies sous François Ier., avaient ouvert une nouvelle carrière. Plus nos ancêtres acquéraient de connaissances, plus ils devaient apercevoir la ridicule absurdité de leurs spectacles. Cependant, jusqu'en 1551, nous ne voyons personne qui ait tenté de les arracher à la barbarie, où ils étaient plongés. Quelques savans, il est vrai, avaient essayé d'y introduire des pièces, traduites du théâtre des anciens : Octavien de St.-Gelais avait traduit les comédies de Térence; G. Bouchetel et T. Sibilet, les tragédies de Sophocle et d'Euripide; mais ces versions ne servirent d'abord qu'à faire entrevoir les effets, que pouvaient produire les ouvrages dramatiques, et à montrer de très-loin la route qu'on devait suivre.

E. Jodelle osa le premier, en 1552, com、 poser une tragédie, et la faire représenter. Sa Cléopátre obtint un succès prodigieux ; Henri II

(1) Voy. ces mots.

assista, avec toute sa cour, à la seconde représentation, et en fut si content, qu'il fit remettre à l'auteur une gratification de 500 écus. La nouveauté de ce spectacle fit la plus grande partie de la réputation de Jodelle.

J. de la Péruse et L. Grévin donnèrent des pièces, dont ils avaient aussi composé le plan et la fable; et ils adoptèrent toujours pour modèles les Grecs ou les Latins.

Il était réservé à R. Garnier de commencer à tirer la tragédie de cette espèce d'enfance, où elle végétait encore. Admirateur des anciens, et surtout de Sénèque le tragique, il ne voulut pas, comme Jodelle, les imiter servilement. Son Hippolyte, représenté en 1573, lui fit un nom célèbre, mais bientôt oublié.

A. Hardi fit faire un pas de plus à Melpomène. Doué d'une facilité singulière, et d'une imagination vive et féconde, quoique peu réglée, il fit plus de huit cents pièces de théâtre, mauvaises à la vérité, mais où il régnait une sorte d'énergie et de chaleur, qui dut produire d'autant plus d'effet, que son siècle était moins éclairé. Tous ces drames ont été représentés; et, s'ils n'ont pas enseigné la route qui mène à la gloire, ils ont du moins indiqué un grand nombre de fautes, qui conduisent à une chûte honteuse.

Le théâtre eût été long-tems plongé dans une profonde obscurité, sans le secours du cardinal de Richelieu. Ce ministre, dit le duc de la Vrillière, crut, avec raison, augmenter l'éclat de sa renommée, en protégeant les sciences, et surtout les talens dramatiques; et cette protection échauffa le génie des auteurs.

Rotrou perfectionna le dialogue, et composa Venceslas. Scudéry introduisit la règle des vingt-quatre heures. Mairet étudia avec succès ce qui concernait les règles et la constitution de la fable (1).

Toutes ces découvertes n'avaient point encore. produit de bons ouvrages: on avait fait quelques pas de plus dans la carrière ; mais personne n'avait encore atteint le but. Il n'appartenait qu'au Génie de franchir l'intervalle immense, qui sépare la médiocrité de la perfection; de réunir toutes les règles et d'en former un faisceau de lumières ; de faire briller à-la-fois la noblesse de la poésie, la dignité, la variété et l'ensemble des caractères ; et de produire enfin des ouvrages, supérieurs à ceux qui ont immortalisé les Sophocle et les Euripide, et qui seront admirés, tant que les hommes conserveront l'amour du beau et du sublime.

(1) Voy. Jodelle, etc.

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