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A ces traits, on reconnaît P. Corneille, si justement surnommé le Grand.

Le Cid, qu'il mit au théâtre en 1637, fit pressentir à quel degré d'élévation il allait porter l'Art dramatique. Il donna en effet ses admirables tragédies, qui, en fixant la perfection de ce genre de poème, firent la gloire du siècle, de l'auteur et de la nation (1).

Pour mériter avec justice la supériorité sur tous les théâtres de l'Europe, il ne nous manquait plus que de voir la comédie, élevée au même point où était montée la tragédie. Molière parut: il s'annonça, en 1658, par sa pièce de l'Étourdi. Il enrichit bientôt la scène de plusieurs chefs-d'œuvre, qui obtinrent et méritèrent le plus grand succès; et, jusqu'au moment où la France le perdit, il jouit des suffrages et de l'admiration d'un public éclairé et reconnaissant. Molière pouvait donc dire comme l'auteur de Cinna :

Je ne dois qu'à moi seul toute ma renommée.

Comme lui, il fut le restaurateur, ou, pour mieux dire, le créateur de son genre: il avait étudié avec attention, non-seulement les produc

(1) Voy. Corneille.

tions des anciens comiques, mais aussi celles des Espagnols et des Italiens; et il fut supérieur à tous. Jamais poète comique ne sut mieux que lui remplir le précepte, qui veut que la comédie instruise en en divertissant. Lorsqu'il raille les hommes sur leurs défauts, il leur apprend à s'en corriger; et peut-être verrions-nous encore aujourd'hui régner les travers et les sottises qu'il a condamnés, si les portraits, que ce peintre philosophe a faits d'après nature, n'avaient été autant de miroirs fidèles, où se sont reconnus les personnages qu'il a joués (1).

Corneille, attaché seulement à l'élévation des idées et à la noblesse des caractères, n'avait regardé l'amour que comme un moyen, un sentiment accessoire, uniquement propre à nuancer les grands tableaux ; il avait peu cherché à développer les effets de cette passion impétueuse. Racine entreprit de marcher son égal, en se frayant une route nouvelle. Il fit de l'amour la base de ses tragédies, et il les embellit de tout ce que l'élégance du style et l'harmonie des vers ont de plus touchant et de plus enchanteur. Toujours noble, toujours exact, il joignit le plus grand art au génie, et se servit quelquefois de l'un pour remplacer l'autre : il élève moins l'âme,

(1) Voy. Molière.

que le père de la tragédie; mais il a le secret de la remuer davantage. Enfin, il produisit des chefs-d'œuvre, qui lui méritèrent l'honneur d'être mis en parallèle avec le grand Corneille (1).

Tous les genres semblaient épuisés: on avait de si beaux modèles, qu'il devait paraître téméraire de s'en écarter. Cependant Crébillon, ne pouvant asservir son génie à suivre les traces des grands hommes qui l'avaient précédé, sut s'ouvrir une autre carrière, et offrir aux yeux étonnés des tableaux inconnus jusqu'alors. I osa hasarder ces spectacles terribles, qui firent autréfois la gloire du théâtre des Grecs, et qui font aujourd'hui l'un des ornemens du nôtre.

Regnard, le meilleur de nos poètes comiques après Molière, Dufresny, d'Ancourt et Destouches, ajoutèrent de nouveaux lauriers à la couronne de Thalie, et occupent une place distinguée sur le Parnasse dramatique.

Tels ont été les progrès successifs du théâtre français. Il paraissait alors ne pouvoir plus rien acquérir ; mais les ressources du génie sont inépuisables. A côté des grands hommes qui ont illustré le siècle de Louis XIV, on doit sans

(1) Voy. Racine.

doute

doute placer ce génie fécond et sublime, qui, ayant embrassé tous les genres, et réussi dans tous, poète, historien, philosophe, a réuni des talens, dont un seul immortaliserait un Écrivain.

Sans parler des productions étrangères à notre sujet, quel droit n'a pas, à nos éloges et à notre reconnaissance, l'immortel Voltaire, qui nonseulement a conservé au plus noble des Arts toute sa splendeur, mais qui, par de nombreux chefsd'œuvre, a su l'augmenter encore! Imitateur de Corneille et de Racine, il les a quelquefois égalés par la noblesse, la grandeur, la sublimité des idées, et par la connaissance du coeur humain ; et souvent il les a surpassés par le choix presque toujours philosophique de ses sujets, par la force et la vérité des sentimens, par la richesse et la variété du coloris (1).

De Belloy, Lemierre, Marmontel et Laharpe; Marivaux, Piron, Gresset et Dorat, obtinrent plus d'un succès dans l'un et l'autre genre, et le XVIII. siècle leur est redevable d'une partie de sa gloire.

Thalie ne cessera jamais de regretter l'énergique Auteur du Philinte, qui peut-être serait devenu le Molière du siècle où nous vivons. Elle

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ne regrettera pas moins Collin-d'Harleville, dont le talent captivait tous les suffrages, dont le caractère gagnait tous les coeurs.

Notre siècle, aussi fécond et plus varié, s'énorgueillit du poète tragique, qui nous a fait connaître les beautés mâles de la scène anglaise, et des auteurs d'Agamemnon, de Marius à Minturnes, de Charles IX et d'Epicharis et Néron; admire le poète comique, qui nous a donné l'Art de la Comédie, et ceux à qui nous devons l'Ecole des Pères, les Étourdis, l'Amant Bourru, Paméla, Médiocre et Rampant et le Tyran domestique; s'honore des auteurs d'OEdipe à Colonne, de Panurge et de Stratonice; enfin, applaudit aux efforts des poètes, des musiciens et des acteurs, qui, marchant sur les traces des Corneille, des Molière et des le Kain; des Quinault, des Rameau et des Jéliotte; des Noverre, des Panard et des Clairval, ont acquis de la célébrité dans tous les genres de l'art dramatique (1).

C'est donc en vain que quelques Tartuffes littéraires semblent déplorer l'absence du génie,

annoncer la décadence du goût. Quand nous voyons, sous le gouvernement d'un héros et d'un sage, tant d'athlètes nouveaux s'élancer dans la carrière; tant d'autres encore tout

(1) Foy. Tragédie, Comédie, Opéra, Drame, etc.

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