1665. >> « Molière rêvait un jour dans son jardin d'Au» teuil, quand un de ses amis, nommé Chapelle, qui s'y venait promener par hasard, l'aborda, et, >> le trouvant plus inquiet que de coutume, lui » en demanda plusieurs fois le sujet. Molière, qui >> eut quelque honte de se sentir si peu de con>> stance pour un malheur si fort à la mode, ré» sista autant qu'il put; mais, comme il était >> alors dans une de ces plénitudes de cœur si » connues par les gens qui ont aimé, il céda à >> l'envie de se soulager, et avoua de bonne foi à » son ami, que la manière dont il était obligé d'en » user avec sa femme était la cause de l'accable»ment où il le trouvait. Chapelle, qui le croyait >> au-dessus de ces sortes de choses, le railla de >> ce qu'un homme comme lui, qui savait si bien peindre le faible des autres hommes, tombait >> dans celui qu'il blâmait tous les jours, et lui fit >> voir que le plus ridicule de tous était d'aimer » une personne qui ne répond pas à la tendresse - je qu'on a pour elle. Pour moi, lui dit-il, » vous avoue que si j'étais assez malheureux pour » me trouver en pareil cas, et que je fusse forte»ment persuadé que la personne que j'aimerais » accordât des faveurs à d'autres, j'aurais tant de mépris pour elle, qu'il me guérirait infaillible» ment de ma passion : encore avez-vous une sa» tisfaction que vous n'auriez pas si c'était une » maîtresse; et la vengeance, qui prend ordinai− 1665. >>rement la place de l'amour dans un cœur ou tragé, vous peut payer tous les chagrins que >> vous cause votre épouse, puisque vous n'avez >> plus qu'à la faire enfermer; ce serait même un » moyen de vous mettre l'esprit en repos. » ༥ Molière, qui avait invité son ami avec assez » de tranquillité, l'interrompit pour lui deman» der s'il n'avait jamais été amoureux. Oui, >> lui répondit Chapelle, je l'ai été comme un >> homme de bon sens doit l'être; mais je ne me >> serais pas fait une aussi grande peine pour une >> chose que mon honneur m'aurait conseillé de » faire, et je rougis pour vous de vous trouver si >> incertain. Je vois bien que vous n'avez en» core rien aimé, lui répondit Molière; et vous » avez pris la figure de l'amour pour l'amour » même. Je ne vous rapporterai point une infi» nité d'exemples qui vous feraient connaître la puissance de cette passion; je vous ferai seule»>ment un récit fidèle de mon embarras, pour >> vous faire comprendre combien on est peu maî>>tre de soi quand elle a une fois pris sur nous >> l'ascendant que la tempérament lui donne d'or» dinaire. Pour vous répondre donc sur la con»> naissance parfaite que vous dites que j'ai du >> cœur de l'homme par les portraits que j'en ex» pose tous les jours en public, je demeurerai 1665. » d'accord que je me suis étudié autant que j'ai >> >> pu D » la suite tant d'indifférence, que je commençai à 1665. m'apercevoir que toutes mes précautions avaient » été inutiles et que ce qu'elle sentait >> pour moi » était bien éloigné de ce que j'aurais souhaité >> pour être heureux. Je me fis à moi-même des re>> proches sur une délicatesse qui me semblait ridi» cule et j'attribuai à son humeur ce qui était un >> effet de son peu de tendresse pour moi. Je n'eus » que trop de moyens de me convaincre de mon >> erreur; et la folle passion qu'elle eut quelque >> temps après pour le comte de Guiche, fit trop » de bruit pour me laisser dans cette tranquillité » apparente. Je n'épargnai rien, à la première con»> naissance que j'en eus, pour me vaincre moi» même dans l'impossibilité que je trouvai à la >> changer; je me servis pour cela de toutes les » forces de mon esprit; j'appelai à mon secours. >> tout ce qui pouvait contribuer à ma consola>tion je la considérai comme une personne de qui tout le mérite était dans l'innocence, et qui, par cette raison, n'en conservait plus depuis son infidélité. Je pris dès lors la résolution >> de vivre avec elle comme un honnête homme qui a une femme coquette et qui en est bien persuadé, quoiqu'il puisse dire que sa méchante >> conduite ne doive point contribuer à lui ôter sa réputation. Mais j'eus le chagrin de voir qu'une » personne sans grande beauté, qui doit le peu 1665. grands hommes de penser un seul instant que l'un eût osé proposer une aussi licencieuse mascarade et que l'autre se fût oublié au point de l'autoriser. A l'exception des Pierrots et des Arlequins de la scène italienne, on n'avait pas vu au théâtre de personnages sous le masque, depuis les premières représentations des Précieuses ridicules, auxquelles Molière avait rempli le personnage de Mascarille sous un masque dont les traits, comme on le pense bien, ne rappelaient ceux de qui que ce fût. Ce n'est pas dans une telle circonstance et avec de tels détails qu'il eût fait renaître cette coutume entièrement oubliée. Plus tard Molière, justement effrayé du nombre de ses ennemis, voulant en éclaircir les rangs, et lever les derniers obstacles qu'on opposait encore au Tartuffe, sembla proposer la paix aux médecins : « La médecine, dit-il en 1669, dans la >> préface de ce dernier chef-d'œuvre, est un art profitable, et chacun la révère comme une des plus excellentes choses que nous ayons; et cependant, il y a eu des temps où elle s'est ren>> due odieuse, et souvent on en a fait un art >> d'empoisonner les hommes. » Mais, soit que le souvenir de ses précédentes attaques eût porté la Faculté à demeurer sourde à ces paroles de paix, soit qu'il se fût ensuite effrayé de nouveau du dangereux empire des médecins et de leur igno |