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rance, il attaqua dans une autre de ses comé- 1665. dies, le Malade imaginaire, et cette confiance aveugle qui a sa source dans notre frayeur de la mort, et cet amour démesuré de la vie qui fait découvrir aux gens les mieux portans mille maladies mortelles, enfans de leur imagination. Dans l'Amour médecin, ses plaisanteries avaient été principalement dirigées contre les médecins ; dans sa dernière pièce, un grand nombre l'étaient contre la médecine. Avant lui, Montaigne était descendu dans la lice pour soutenir la même cause, pour combattre les mêmes préjugés; et l'on peut dire que les coups portés par le premier champion rendirent au second la carrière plus facile à parcourir; car nous retrouvons dans l'Amour médecin, dans le Malade imaginaire, plus d'un trait satirique de l'auteur des Essais.

Ses envieux ne lui ménagèrent pas les reproches pour avoir osé attaquer une classe et un art aussi redoutable. Ils cherchèrent même à prouver qu'une telle conduite ne pouvait être que celle d'un hérétique. «Molière, a dit Perrault dans ses » Éloges des Hommes illustres, ne devait pas tour»ner en ridicule les bons médecins, que l'Écri»ture nous enjoint d'honorer. » Celui-là eût pu opposer à cette insidieuse accusation l'autorité du prophète reprenant le roi Asa d'avoir eu recours aux médecins, et l'autorité, plus profane

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1665. » d'esprit qu'on lui trouve à l'éducation que je >> lui ai donnée, détruisit en un instant toute ma » philosophie. Sa présence me fit oublier toutes >> mes résolutions; et les premières paroles qu'elle » me dit pour sa défense me laissèrent si con>> vaincu que mes soupçons étaient mal fondés, >> que je lui demandai pardon d'avoir été si cré» dule. Mes bontés ne l'ont point changée. Je me » suis donc déterminé à vivre avec elle comme »> si elle n'était point ma femme; mais, si vous saviez ce que je souffre, vous auriez pitié de » moi. Ma passion est venue à un tel point qu'elle » va jusqu'à entrer avec compassion dans ses » intérêts; et, quand je considère combien il » m'est impossible de vaincre ce que je sens pour » elle, je me dis en même temps, qu'elle a peut» être la même difficulté à détruire le penchant qu'elle a d'être coquette, et je me trouve plus » de disposition à la plaindre qu'à la blâmer. Vous » me direz sans doute qu'il faut être poète pour » aimer de cette manière; mais, pour moi, je » crois qu'il n'y a qu'une sorte d'amour, et que » les gens qui n'ont point senti de semblables » délicatesses n'ont jamais aimé véritablement. >> Toutes les choses du monde ont du rapport » avec elle dans mon cœur mon idée en est si » fort occupée que je ne sais rien, en son ab» sence, qui me puisse divertir. Quand je la vois,

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>>> une émotion et des transports qu'on peut sen- 1665. >> tir, mais qu'on ne saurait exprimer, m'ôtent >> l'usage de la réflexion ; je n'ai plus d'yeux pour » ses défauts, il m'en reste seulement pour ce qu'elle a d'aimable : n'est-ce pas là le dernier » point de la folie, et n'admirez-vous pas que >> tout ce que j'ai de raison ne serve qu'à me faire » connaître ma faiblesse, sans en pouvoir triom>>pher? —Je vous avoue à mon tour, lui dit son ami, que vous êtes plus à plaindre que je ne pensais; mais il faut tout espérer du temps. Continuez cependant à vous faire des efforts, ils » feront leur effet lorsque vous y penserez le >> moins. Pour moi, je vais faire des voeux, afin » que vous soyez bientôt content'. »

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Voilà les tourmens auxquels était en proie cet homme que son génie, son âme brûlante, son amour pour l'humanité et sa charité empressée rendaient digne d'un meilleur sort. Quels efforts ne lui fallait-il pas faire sur lui-même pour pouvoir, le cœur déchiré, la santé appauvrie par ces chagrins poignans, conduire une troupe qui n'avait de ressources qu'en lui et dont le zèle ne répondait pas toujours à ses soins, repousser les attaques d'ennemis acharnés, et composer des ouvrages qui, pour être bien accueillis du par

1. La Fameuse comédienne, p. 22 et suiv.

1665. terre, devaient contraster par leur gaieté avec l'état affreux où il se trouvait la plupart du temps? Il est digne de remarque que c'est vers cette même époque qu'il peignait la jalousie d'Alceste et les infidélités de Célimène; mais, à l'exception de quelques traits isolés, d'une ou de deux scènes détachées, on ne le vit jamais faire d'allusion aussi directe, dans ses autres ouvrages, à ses trop justes douleurs.

Des biographes de ce grand homme, emportés par un aveugle intérêt pour lui, ont été jusqu'à regretter que son cœur fût aussi accessible au sentiment de l'amour. Sans doute, ses amis pouvaient exprimer ce regret; mais la postérité, égoïste avec raison, ne saurait préférer aux nobles jouissances qu'elle doit à ses tourmens, l'idée que le cœur de Molière, tranquille et froid, ne fut jamais déchiré par le désespoir et les fureurs de la plus impérieuse des passions. Il eût pu sans doute nous laisser néanmoins la Princesse d'Élide, les Amans magnifiques, Mélicerte et quelques autres compositions froides, où tous les sentimens sont de convention; mais sans amour il n'est point de génie, sans ces transports de son âme, le dépit d'Éraste et de Lucile, les querelles charmantes de Valère et de Mariane, l'amoureuse colère d'Alceste, et tant d'autres situations touchantes, ne nous eussent jamais arra

ché de douces larmes; sans eux, Marmontel eût 1665. pu dire de notre auteur ce qu'il a dit du législateur du Parnasse :

Jamais un vers n'est parti de son cœur.

Naturellement sérieux et rêveur, ces peines domestiques le jetèrent dans la mélancolie. Grimarest prétend qu'il poussait chez lui l'ordre jusqu'à la minutie, et que le moindre retard, le moindre dérangement le faisait entrer en convulsions, et l'empêchait de travailler pendant quinze jours. Si ce biographe se fût borné à dire que ses chagrins avaient rendu son caractère un peu irritable, et surtout s'il n'eût pas ajouté à cette.première exagération des assertions trop évidemment fausses, en prétendant que la vanité était son seul mobile et qu'il n'était charitable que par ostentation, on aurait pu y ajouter quelque foi. Mais on voit là trop ouvertement, comme l'a dit J.-B. Rousseau, le dessein de déshonorer Molière; et l'on doit bien plutôt en croire mademoiselle Du Croisy, actrice de la troupe du Palais-Royal, qui, ayant sur Grimarest l'avantage d'avoir vécu avec le grand homme dont elle parle, assure qu'il était complaisant et doux '.

1. Grimarest, p. 247 et suiv. — troupe, insérée au Mercure, mai 1740.

Lettre sur Molière et sa

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