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1665.

Molière chercha dans la tranquillité de son intérieur un remède à sa douleur. Mademoiselle De Brie ne l'avait pas quitté, et l'intérêt qu'elle avait pris à ses tourmens avait vivement excité sa reconnaissance. Après cette rupture avec mademoiselle Molière, il renoua ses liaisons avec son ancienne amie'. Quelqu'un lui témoignait un jour son étonnement de l'attachement qu'il avait pour une femme qui, disait-il, avait beaucoup de défauts. « Je les connais, répondit Molière; >> j'y suis accoutumé, et il faudrait que je prisse >> trop sur moi pour m'accommoder aux imper» fections d'une autre. Je n'en ai ni le temps ni >> la patience. » La Fontaine redoutait de même les amours superbes, et regardait une grisette comme un trésor;

On en vient aisément à bout;

On lui dit ce qu'on veut, bien souvent rien du tout.

Bien qu'on lise dans la Vie de Grimarest, que cette actrice n'était pas belle, que c'était un vrai squelette, il demeure constant, par le témoignage de plusieurs contemporains, qu'elle était grande, bien faite, et extrêmement jolie. La nature lui accorda le don de conserver un air de

1. Histoire du Théâtre français (par les frères. Parfait), t. XII, P. 472.

2. Grimarest, p. 251.

jeunesse jusque dans un âge fort avancé. Quel- 1665. ques années avant sa retraite, ses camarades l'engagèrent à céder le rôle d'Agnès de l'École des Femmes à mademoiselle Du Croisy. Quand celleci entra en scène pour le remplir, le parterre demanda avec tant de chaleur mademoiselle De Brie, qu'on fut forcé de l'aller chercher chez elle, et qu'elle se vit obligée de venir jouer dans son habit de ville. Elle fut accueillie par plusieurs salves d'applaudissemens, et prit le parti de conserver ce rôle jusqu'à la fin de sa carrière théâtrale. On prétend qu'elle le jouait encore à soixante ans. Le quatrain suivant, qui fut fait sur elle, semble renfermer une allusion à l'anecdote que nous venons de rapporter :

Il faut qu'elle ait été charmante,
Puisque aujourd'hui, malgré les ans,
A peine des attraits naissans
Égalent sa beauté mourante 1.

Le même biographe a assez compté sur la cré-
dulité de ses lecteurs pour avancer encore qu'elle
n'avait pas le sens commun'. A qui espérait - il
donc faire croire que notre premier comique se
plut à entretenir d'aussi longues liaisons avec un

1 La Fameuse comédienne, p. 9 et 90.—Note de M. Tralage, citée tome XII de l'Histoire du Théatre français. page 58.

2. Grimarest, p. 257.

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Petitot,

1665. vrai squelette privé du commun bon sens. On en cherche en vain dans ces assertions.

C'est peut-être ici l'occasion de peindre les rapports de Molière avec les hommes qu'il jugeait dignes de son amitié. Sa société la plus habituelle se composait de Boileau, de La Fontaine, de Chapelle, de Racine, de Mignard, de l'abbé Le Vayer, de Jonsac, de Desbarreaux, de Guilleragues, de Rohaut, et d'un très-petit nombre d'autres hommes d'esprit. Molière, La Fontaine et Racine se réunissaient deux ou trois fois la semaine chez Boileau, qui demeurait alors dans une maison de la rue du Vieux-Colombier'; ils y soupaient, et discouraient ensemble sur la littérature, quand l'épicurien Chapelle, qui était aussi fréquemment de ces parties, leur permettait de parler raison.

La Fontaine, dans sa Psyché, a dépeint ces heureux entretiens; et le tendre souvenir qu'il en avait conservé, la douce émotion avec laquelle il en parlait encore quelques années après, peuvent faire juger du bonheur qu'y goûtèrent ces hommes que leur amitié réunit de leur vivant, comme l'admiration de la postérité les réunit après leur mort.

1. Titon du Tillet, Parnasse français, édit. in-12 de 1727, P 141. - Vie de Chapelle (par Saint-Marc), p. lxij de l'édition des OEuvres de Chapelle et de Bachaumont, 1755.

«Quatre amis, dont la connaissance avait com- 1665.

» mencé par le Parnasse, tinrent une espèce de

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société que j'appellerais Académie, si leur nom

» bre eût été plus grand et qu'ils eussent autant

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regardé les Muses que le plaisir. La première >> chose qu'ils firent, ce fut de bannir d'entre eux >> les conversations réglées et tout ce qui sent la » conférence académique. Quand ils se trouvaient » ensemble, et qu'ils avaient bien parlé de leurs >> divertissemens, si le hasard les faisait tomber » sur quelque point de science ou de belles-let>> tres, ils profitaient de l'occasion : c'était toute» fois sans s'arrêter trop long-temps à une même >> matière; voltigeant de propos en autre, comme >> des abeilles qui rencontreraient en leur chemin » diverses sortes de fleurs. L'envie, la malignité, » ni la cabale, n'avaient de voix parmi eux. Ils >> adoraient les ouvrages des anciens, ne refusaient point à ceux des modernes les louanges qui leur sont dues, parlaient des leurs avec modestie, et se donnaient des avis sincères, » lorsque quelqu'un d'eux tombait dans la ma» ladie du siècle et faisait un livre, ce qui arrivait

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» rarement ».

Les distractions du fabuliste égayaient souvent ces réunions. Un jour que Boileau et Molière s'entretenaient de l'art dramatique, La Fontaine se prononça contre les à parte. «Rien, disait-il,

1665. » n'est plus contraire au bon sens. Quoi, le parterre » entendra ce qu'un acteur n'entend pas quoiqu'il » soit à côté de celui qui parle!» Boileau, voyant qu'il s'échauffait et qu'il était absorbé par cette discussion, se mit à dire à haute voix : « Il faut que >> La Fontaine soit un grand coquin, un grand » maraud. » Il répéta plusieurs fois cette même apostrophe sans que son antagoniste en entendit rien; mais à la fin Boileau, Molière et les autres convives partirent d'un éclat de rire; La Fontaine en demanda le sujet et en rit avec eux'.

Si l'on en croit l'auteur de la Galerie de l'an

cienne cour', Molière était presque aussi distrait que son ami. Ayant un jour loué une brouette pour se faire rouler au spectacle, pressé d'arriver et contrarié de la marche du conducteur, trop lente pour son impatience, il mit pied à terre et vint l'aider à pousser la voiture. Il ne s'aperçut de sa distraction qu'en entendant les éclats de rire de celui au secours duquel il était venu pour abréger la durée du voyage. Nous n'avons vu ce fait rapporté que dans ce seul ouvrage; mais il serait peu étonnant que Molière, continuellement occupé des soins de sa direction, de la

1. Histoire de la Poésie française (par l'abbé Mervesin), 1706, p. 267. Histoire de la Vie et des ouvrages de La Fontaine, par M. Walckenaer, 3° édit. p. 143.

2. Galerie de l'ancienne Cour, art. MOLIÈRE.

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