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dispute devant un homme qui n'y entendait rien, >> ils se regardèrent l'un l'autre sans se rien dire.

» Molière, revenu de sa confusion, dit à Baron,

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qui était de la compagnie, mais d'un âge à né

gliger une pareille conversation : « Voyez, petit » garçon, ce que fait le silence, quand il est ob

» servé avec conduite '. »

Les plaisanteries de Molière contre la Faculté ne troublèrent jamais l'union qui exista entre lui et un homme qu'il appelait en riant son médecin, et qui s'honora toujours d'être son ami, M. de Mauvillain. C'est pour le fils de ce docteur qu'il adressa à Louis XIV le dernier des placets qui précèdent le Tartuffe. Ils se trouvaient un jour ensemble à Versailles, au dîner du Roi, quand le prince dit à son valet-dechambre : « Voilà donc votre médecin? Que vous » fait-il ? — Sire, répondit Molière, nous raison» nons ensemble; il m'ordonne des remèdes, je » ne les fais point, et je guéris'.

Il voyait aussi quelquefois le célèbre Lulli. Il s'amusait de ses contes et de ses bouffonneries; et, quand il voulait égayer ses convives, il disait à cet excellent pantomime : « Baptiste, fais-nous

1. Grimarest, p. 221. p. lxix.

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2. Grimarest, pag. 78.- Menagiana, édit. de 1715, t. IV, p. 7. Voltaire, Vie de Molière, 1739, pag. 23.

1665.

» rire. » Boileau, au contraire, jugeait Lulli avec une sévérité qui semble dégénérer en la plus cruelle injustice, si, comme le prétend l'auteur du Bolæana', c'est lui qu'il voulut peindre dans ces vers de l'épître à M. de Seignelay :

En vain, par sa grimace, un bouffon odieux
A table nous fait rire et divertit nos yeux,
Ses bons mots ont besoin de farine et de plâtre;

Prenez-le tête-à-tête, ôtez-lui son théâtre,

Ce n'est plus qu'un cœur bas, un coquin ténébreux;
Son visage essuyé n'a plus rien que d'affreux.

Mais ce prétendu portrait est si hideux, il peint en traits si noirs un homme qui ne passe guère que pour avoir eu peu de dignité dans le caractère, qu'on est porté à croire que Montchesnay fut mal instruit en alléguant ce fait, accueilli trop légèrement par plusieurs commentateurs de Boileau (34).

Molière, comme nous avons déjà eu occasion de le dire, avait loué, à Auteuil, une maison dans laquelle, lorsque les soins de sa direction et son service à la cour le lui permettaient, il allait respirer l'air de la campagne, que le mauvais état de sa santé lui rendait nécessaire, et chercher l'oubli des ennuis et des chagrins qui le

1. Bolæana, p. 63.
2. Ibidem, p. 62.

poursuivaient chez lui. Ses amis venaient sou- 1665. vent l'y visiter. Un jour qu'il souffrait plus que de coutume de l'affection de poitrine qui abrégea ses jours, Despréaux, Chapelle, Lu!li, de Jonsac et Nantouillet arrivèrent très-disposés à se bien réjouir. Molière, forcé de garder la chambre, remit à Chapelle le soin de faire les honneurs de la maison. Celui-ci s'en acquitta si bien et doubla, pendant le souper, l'amphitryon avec un tel zèle, que tous les convives eurent bientôt perdu la raison, tous, jusqu'au sage Boileau luimême. Ils discutèrent alors divers points de morale très- sombres et se livrèrent aux réflexions les plus plaisamment sérieuses. Enfin, s'étant appesantis sur cette maxime des anciens « que >> le premier bonheur est de ne point naître, et » le second de mourir promptement,» ils prirent l'héroïque résolution d'aller sur-le-champ se jeter dans la rivière. Elle n'était pas loin, et ils se préparaient à s'y rendre, quand Molière, qu'on était allé réveiller, arriva en toute hâte, et, voyant combien ils étaient peu disposés à entendre la voix de la raison, leur dit : Comment, messieurs, que vous ai-je fait pour » former un si beau projet sans m'en faire part? Quoi! vous voulez vous noyer sans moi? Je vous croyais plus de mes amis. Il a parbleu raison,

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>> dit Chapelle; voilà une injustice que nous lui

1665. » faisions. Viens donc te noyer avec nous. Oh!

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>> doucement, répondit Molière; ce n'est point » ici une affaire à entreprendre mal à propos; c'est

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la dernière action de notre vie, il n'en faut pas manquer le mérite. On serait assez malin pour lui >> donner un mauvais jour, si nous nous noyions » à l'heure qu'il est. On dirait à coup sûr que »> nous l'aurions fait la nuit comme des désespérés » ou comme des gens ivres. Saisissons le moment qui nous fasse le plus d'honneur, et qui réponde >> le mieux à notre conduite. Demain, sur les huit » ou neuf heures du matin, bien à jeun, et de>>vant tout le monde, nous irons nous jeter dans >> la rivière. Il a raison, dit Chapelle; oui, mes»sieurs, ne nous noyons que demain matin; et, » en attendant, allons boire le vin qui nous reste. » Le jour suivant changea leur résolution : ils jugèrent à propos de supporter encore les misères de la vie. Boileau a raconté plus d'une fois cette folie de sa jeunesse (35).

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On a prétendu que ce fut à Thomas Corneille que Molière voulut faire allusion quand, dans l'École des Femmes, il se railla de

........Ce paysan qu'on appelait Gros-Pierre,

Qui, n'ayant pour tout bien qu'un seul quartier de terre,

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Y fit tout à l'entour faire un fossé bourbeux

Et de monsieur de l'Isle en prit le nom pompeux,

et que ces vers firent naître la mésintelligence entre Molière et Pierre Corneille. Son frère avait en effet, pour se distinguer de lui, pris le nom assez bannal de de l'Isle. Mais cette personnalité, qu'aucun nuage antérieur ne saurait expliquer, serait trop offensante; les déclamations de d'Aubignac, d'après lequel on a répété ce fait, sont trop peu dignes de foi pour qu'on y prêtât le moindre crédit, lors même qu'on n'aurait pas pour preuve de l'union de Molière et du grand Corneille, l'opéra de Psyché, fruit de l'heureuse association de leurs veilles. Ce dernier confia d'ailleurs, à la troupe du Palais-Royal, sa tragédie d'Attila, qui fut représentée au mois de mars 1667, et dans laquelle mademoiselle Molière, qui débutait dans la tragédie, sut se faire remarquer par son talent'. Si l'on ne voit pas le nom de Corneille figurer parmi ceux des habitués de la rue du Vieux-Colombier et d'Auteuil, on ne doit l'attribuer qu'à une assez grande disproportion d'âge, à son humeur casanière, et au peu

J. Racine (par L. Racine), Lausanne, 1747. p. 119.-Vie de Chapelle, par Saint-Marc, p. xliij.

1. L'abbé d'Aubignac, Quatrième dissertation sur le poëme épique. · Récréations littéraires, par Cizeron-Rival, 5.Histoire du Theâtre français, t. X, p. 152. Petitot, 48.

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1665.

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