porter quelquefois aux discussions de leur jeu- 1665. nesse. Chapelle surtout, ardent gassendiste , attaquait souvent Molière, qui adoptait quelques idées de Descartes. Un jour qu'ils revenaient par eau d'Auteuil à Paris, ils se mirent de nouveau à agiter ces questions devant un minime qu'ils avaient trouvé dans le bateau. Chapelle portait le système de Gassendi aux nues. « Passe pour la » morale , répondit Molière ; mais le reste ne vaut » pas la peine que l'on y fasse attention, n'est-il » pas vrai , mon père, ajouta-t-il en s'adressant au » minime? » Le religieux, dit, Grimarest, répondit par un » hom! hom! qui faisait entendre aux philosophes qu'il était connaisseur dans cette matière ; mais » il eut la prudence de ne se point mêler dans une >> conversation aussi échauffée, surtout avec des » gens qui ne paraissaient pas ménager leur ad» versaire. « Oh! parbleu, mon père, dit Chapelle, qui se crut affaibli par l'apparente approbation du minime, il faut que Molière » convienne que Descartes n'a formé son système » que comme un mécanicien qui imagine une » belle machine sans faire attention à l'exécution; » le système de.ce philosophe est contraire à une » infinité de phénomènes de la nature que le bon» homme n'avait pas prévus. » Le minime sembla » se ranger à l'avis de Chapelle par un second hom! 1665. » hom! Molière, outré de ce qu'il triomphait, » redoubla sés efforts avec une chaleur de philo- dispute devant un homme qui n'y entendait rien, 1665. » ils se regardèrent l'un l'autre sans se rien dire. » Molière, revenu de sa confusion, dit à Baron, qui était de la compagnie, mais d'un âge à né» gliger une pareille conversation : « Voyez, petit » garçon, ce que fait le silence, quand il est ob» servé avec conduite '. » Les plaisanteries de Molière contre la Faculté ne troublèrent jamais l'union qui exista entre lui et 'un homme qu'il appelait en riant son médecin, et qui s'honora toujours d'être son ami, M. de Mauvillain. C'est pour le fils de ce docteur qu'il adressa à Louis XIV le dernier des placets qui précèdent le Tartuffe. Ils se trouvaient un jour ensemble à Versailles, au dîner du Roi, quand le prince dit à son valet-dechambre : « Voilà donc votre médecin ? Que vous » fait-il ? — Sire, répondit Molière, nous raison» nonsensemble; il m'ordonne des remèdes, je » ne les fais point, et je guéris '. » Il.voyait aussi quelquefois le célèbre Lulli. Il s'amusait de ses contes et de ses bouffonneries; et, quand il voulait égayer ses convives, il disait à cet excellent pantomime : « Baptiste, fais-nous 1. Grimarest, p. 221. – Vie de Chapelle (par Saint-Marc), p. Ixix. 2. Grimarest, pag. 78.- Menagiana , édit. de 1715, t. IV, p. 7. - Voltaire, Vie de Molière , 1739, pag. 23. 1665. » rire '. » Boileau, au contraire, jugeait Lulli avec une sévérité qui semble dégénérer en la plus cruelle injustice, si, comme le prétend l'auteur du Bolæana’, c'est lui qu'il voulut peindre dans ces vers de l'épître à M. de Seignelay : En vain , par sa grimace, un bouffon odieux Mais ce prétendu portrait est si hideux, il peint en traits si noirs un homme qui ne passe guère que pour avoir eu peu de dignité dans le caractère', qu'on est porté à croire que Montchesnay fut mal instruit en alléguant ce fait, accueilli trop légèrement par plusieurs commentateurs de Boileau (34). Molière , comme nous avons déjà eu occasion de le dire, avait loué, à Auteuil, une maison dans laquelle , lorsque les soins de sa direction et son service à la cour le lui permettaient, il allait respirer l'air de la campagne, que le mauvais état de sa santé lui rendait nécessaire, et chercher l'oubli des ennuis et des chagrins qui le 1. Bolæana, p. 63. 2. Ibidem, p. 62. poursuivaient chez lui. Ses amis venaient sou- 1665. vent l'y visiter. Un jour qu'il souffrait plus que de coutume de l'affection de poitrine qui abrégea ses jours, Despréaux, Chapelle, Lulli, de Jonsac et Nantouillet arrivèrent très-disposés à se bien réjouir. Molière , forcé de garder la chambre, remit à Chapelle le soin de faire les honneurs de la maison. Celui-ci s'en acquitta si bien et doubla, pendant le souper, l'amphitryon avec un tel zèle , que tous les convives eurent bientôt perdu la raison, tous, jusqu'au sage Boileau luimême. Ils discutèrent alors divers points de morale très - sombres et se livrèrent aux réflexions les plus plaisamment sérieuses. Enfin, s'étant appesantis sur cette inaxiune des anciens « que » le premier bonheur est de ne point naître, et » le second de mourir promptement, » ils prirent l'héroïque résolution d'aller sur-le-champ se jeter dans la rivière. Elle n'était pas loin, et ils se préparaient à s'y rendre, quand Molière, qu'on était allé réveiller, arriva en toute hâte, et, voyant combien ils étaient peu disposés à entendre la voix de la raison, leur dit : « Comment, messieurs, que vous ai-je fait pour » former un si beau projet sans m'en faire part? » Quoi! vous voulez vous noyer sans moi? Je vous » croyais plus de mes annis. — Il a parbleu raison, » dit Chapelle; voilà une injustice que nous lui |