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1666.

1665. daient plus rares les réunions d'Auteuil et de la rue du Vieux-Colombier. La vie continuellement dissipée de Chapelle leur avait déjà porté un coup funeste; quelque froideur qui survint entre La Fontaine et Boileau les fit cesser entièrement '. Dans le même temps où Molière perdait son ami, la mort vint lui enlever une protectrice. La Reine, mère de Louis XIV, termina sa carrière au commencement de 1666. L'espèce de recueillement de douleur que cet évènement devait imposer à tous les gens attachés à la cour, l'empêcha pendant un certain temps de donner aucun ouvrage nouveau à son théâtre. Lorsqu'il eut laissé expirer le terme qu'exigeait l'étiquette, qui pour lui se trouvait d'accord avec la reconnaissance, pressé à la fois par l'intérêt de sa gloire, qui ne s'était que soutenue depuis son École des Femmes, et par celui de sa troupe, qui devait soupirer après une pièce nouvelle, il se détermina à faire représenter, le 4 juin, le plus correct de ses chefs-d'œuvre, le Misanthrope (41).

1.

Tous les éditeurs de Molière, tous les auteurs

Vie de Chapelle, par Saint-Marc, p. lxiij.-Description du Parnasse Français de Titon du Tillet, in-12, p. 141. Molière, drame, par Mercier, Ir. édit., 1776, p. 214; note.-Histoire de la vie et des ouvrages de La Fontaine, par M. Walckenaer, 3e édit., p. 150.

sifflés ou peu applaudis, pour donner une preuve 1666. convaincante de l'injustice du parterre, se sont accordés à faire valoir la courte faveur qu'obtint cette production, ou plutôt l'accueil glacial qu'elle essuya dès la troisième représentation, et la nécessité où se trouva l'auteur, pour la soutenir, de l'appuyer du Médecin malgré lui. Ce petit trait d'histoire littéraire, d'ailleurs fort piquant, et par conséquent sûr d'être accueilli sans autre examen, a cela de commun avec beaucoup de traits de l'histoire proprement dite, qu'il est original, mais controuvé : c'est là son seul défaut. Le registre de la comédie fait foi que, représenté vingt et une fois de suite, nombre de représentations auquel un ouvrage atteignait difficilement alors, si l'on en excepte toutefois les tragédies de Thomas Corneille, le Misanthrope, seul, sans petite pièce qui l'accompagnât et malgré les chaleurs de l'été, procura au théâtre dix-sept recettes très-productives et quatre autres de bien peu moins satisfaisantes. Quant aux obligations qu'il avait, dit-on, contractées envers le Médecin malgré lui, elles sont faciles à reconnaître ; puisque ce ne fut qu'à la douzième représentation de cette farce qu'on la donna avec ce chef-d'œuvre, et cela cinq fois seulement. Ce

1. OEuvres de Molière avec un commentaire, par M. Auger, t V, p. 263.

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1666 pendant, il n'en est pas moins certain que grâce à l'heureuse folie de son dialogue, plus faite pour plaire à la multitude que les traits mâles du Misanthrope, il obtint encore plus de succès que lui; mais la simple vérité, quelque singulière qu'elle pût être, ne le parut pas encore assez à l'auteur de la fable que nous venons de réfuter, parce qu'il voyait chaque jour se reproduire de nouveaux exemples de cette rectitude de goût du parterre. Il fit passer son conte: voilà comme on écrit l'histoire! Chacun s'empressa de l'adopter : voilà comme on l'étudie!

Devisé, qui s'était toujours montré le véhément détracteur de Molière, soit qu'il rougît enfin du rôle que la passion et l'envie lui faisaient jouer, soit que ses yeux commençassent seulement alors à se dessiller, devint le plus chaud partisan du Misanthrope. Il composa sur ce chefd'œuvre une lettre apologétique assez mal écrite, mais mieux pensée, qui fut imprimée à la tête de la première édition. Grimarest a prétendu que Molière, furieux contre son libraire, en fit jeter au feu tous les exemplaires'. Pour admettre ce conte, il faut supposer que Devisé lui laissa ignorer entièrement le projet qu'il avait formé de faire l'apologie de son ouvrage,

1. Grimarest, p. 184.

et que le libraire se permit d'imprimer à la tête 1666. du Misanthrope, sans le consentement de son auteur, un éloge emprunté à la plume d'un écrivain qui la veille encore le poursuivait d'injustes critiques. Il est plus naturel de penser que Molière ne vit pas sans plaisir se déclarer pour sa pièce, en butte aux attaques acharnées de la médiocrité ombrageuse et de l'envie, le folliculaire qui exerçait alors le plus d'influence sur l'esprit du public (42).

Ce morceau curieux, en même temps qu'il constate cette subite conversion littéraire, donne aussi la mesure du goût du parterre, qui n'était pas fait encore à des beautés aussi franches. Retrouvant dans le sonnet d'Oronte ce qu'ils admiraient dans les poésies de leurs auteurs les plus à la mode, les antithèses et les traits brillantés, et prenant encore en cette circonstance Philinte pour l'organe de l'auteur, les spectateurs s'empressèrent d'applaudir comme lui au chantre de Philis, et témoignèrent par leurs bravos qu'ils trouvaient que

La chûte était jolie, amoureuse, admirable.

Aussi se figure-t-on facilement l'étonnement ou plutôt le dépit de nos admirateurs enthousiastes, quand ils entendirent Alceste, plus fidèle à la vérité qu'aux convenances, prouver à

1666. Oronte, par bonnes et convaincantes raisons,

que son sonnet ne valait rien '. Un commen-
tateur de Molière a taxé cette mystification
d'invraisemblance, parce qu'Alceste, pour faire
connaître ce qu'il pense du sonnet, n'attend pas
que
la lecture en soit achevée. Il n'y a pas ici,
selon nous, de motifs suffisans pour ne pas ajou-
ter foi au récit circonstancié d'un témoin ocu-
laire; car il serait peu naturel de penser que le
parterre ait pu être détrompé par les brusqueries
que l'approbation de Philinte arrache à chaque
strophe à Alceste. Ces exclamations furibondes ne
sont point une critique raisonnée, et rien ne pou-
vait prouver au parterre que le Misanthrope fût
plus sensé en les laissant échapper qu'en s'em-
portant contre Philinte, parce qu'il avait répondu
avec affabilité à l'accueil empressé d'un homme
qu'il connaissait peu. Ce n'est donc qu'après que
le sonnet est entièrement lu, et conséquemment
après que le parterre a eu le temps d'exprimer
ce qu'il en pense, qu'Alceste en fait véritable-
ment la critique; jusque-là on doit être au moins
dans l'incertitude sur l'avis de l'auteur, puisque,
le sonnet est approuvé par l'homme modéré de

1. Lettre écrite sur la comédie du Misanthrope, t. IV, p. 12 de notre édition des OEuvres de Molière. — Grimarest, p. 265. Mémoires sur la vie et les ouvrages de Molière (par La Serre), p. xxxv.

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