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1666. invitation qu'il lui fit de revenir' (45). Molière obligé de s'interposer entre sa femme et Baron! Mademoiselle Molière frappant ce jeune acteur, et celui-ci la fuyant! Les sentimens et les rôles de ces divers personnages devaient bientôt changer de nature; mais n'anticipons pas sur les évé

nemens.

Le Sicilien nous paraît avoir dû faire aussi partie du Ballet des Muses'. Cette production charmante a été regardée par tous les littérateurs comme l'essai heureux d'un genre frais et animé. Voltaire la cite comme un modèle de grace ; Bret y voit le type de toutes les pièces de SaintFoix; mais on a fait observer avec raison que le Sicilien a sur les ouvrages de ce dernier auteur le mérite de la vraisemblance et du naturel3, ce qui est bien quelque chose aux yeux des gens dont l'imagination n'est pas assez facile aux illusions pour les transporter dans la grotte d'une fée, ou dans le séjour enchanté d'une divinité. Le livret de la fête dit que cette pièce n'avait été composée que pour offrir des Turcs et des Maures aux yeux du Roi. Où est le temps où de

1. Grimarest, p. 111.

2. Voir t. IV, p. 417 de notre édition des OEuvres de Molière.

3. OEuvres de Molière, avec un commentaire par M. Auger, t. V, p. 492.

semblables caprices enfantaient de semblables 1666. ouvrages? Le Ballet des Muses fut représenté une seconde fois à Saint-Germain, au mois de janvier 1667. Mais l'absence de Baron, et la justice que Molière avait faite de Mélicerte en négligeant de l'achever, le déterminèrent à la faire disparaître de ce divertissement. On représenta seulement la Pastorale comique et le Silicien. Cette dernière pièce ne fut jouée à la ville que le 10 juin suivant. Une lettre en vers de Robinet, du 11, nous apprend que ce retard fut occasioné par une crise survenue à l'auteur acteur, dont une toux invétérée avait délabré la poitrine :

Depuis hier pareillement
On a pour divertissement
Le Sicilien que Molière,
Avec sa charmante manière,
Mêla dans le ballet du Roi,
Et qu'on admire, sur ma foi.

Et lui, tout rajeuni du lait
De quelque autre infante d'Inache
Qui se couvre de peau de vache,
S'y remontre enfin à nos yeux
Plus que jamais facétieux.1

1. Lettre en vers, de Robinet, du 11 juin 1667. — Histoire du Theatre français (par les frères Parfait), t. X, p. 151.

LIVRE TROISIÈME.

1667-1673..

Si le Tartuffe n'était pas fait il ne se ferait jamais.

PIRON.

1667.

«Vous verrez bien autre chose, » disait Molière à Boileau, qui le félicitait à l'occasion du Misanthrope. Il voulait parler du Tartuffe. En abordant le récit de la représentation de ce chef-d'œuvre, nous pourrions dire aussi aux lecteurs qu'ont révoltés les précédentes menées des ennemis de ce grand homme: Vous verrez bien autre chose!

Après le Festin de Pierre, Molière n'eut que trop d'occasions de se confirmer dans les opinions qu'il avait prêtées à Don Juan sur l'inviolabilité des charlatans de religion'. Applaudi chez le frère du Roi, le Tartuffe avait été honoré des suffrages des deux Reines (1), du grand Condé, et de tout ce que la cour comptait d'hommes franchement religieux. Louis XIV lui-même, dont les idées naturellement grandes et généreuses n'é

1. Voir le Festin de Pierre, act. V, sc. 2.

taient pas encore étouffées par les efforts d'un 1667. Le Tellier ou d'une Maintenon, ne cédait qu'avec impatience aux désirs de la cabale puissante qui sollicitait chaque jour l'éternelle suspension du Tartuffe. Huit jours après qu'il eut ajourné la représentation de ce chef-d'œuvre, on joua au spectacle de la cour une pièce intitulée Scaramouche hermite, qui abondait en situations d'une révoltante immoralité (2). « Je voudrais bien sa» voir, dit-il en sortant au prince de Condé, pourquoi les gens qui se scandalisent si fort de la » comédie du Tartuffe ne disent rien de celle de >> Scaramouche?-La raison de cela, répondit le » prince, c'est que la comédie de Scaramouche » joue le ciel et la religion, dont ces messieurs »> ne se soucient point; mais celle de Molière les » joue eux-mêmes, et c'est ce qu'ils ne peuvent » souffrir '. >>

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Le légat et les principaux prélats, consultés par le monarque, pour la sécurité de sa conscience, sur le danger prétendu de cette comédie, partagèrent ses dispositions favorables'; mais les tartuffes redoublèrent d'efforts. D'affreux pamphlets récusèrent ces respectables autorités. « A enten» dre Molière, disait l'un d'eux, il semble qu'il ait

I.

Preface de Molière, à la tête du Tartuffe.

2. Premier placet au Roi, à la tête du Tartuffe.

1667. » un bref particulier du Pape pour jouer des

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pièces ridicules, et que M. le Légat ne soit

» venu en France que pour leur donner son ap

>> probation'. >>

Ceux qui avaient assez d'impudence pour attaquer de tels protecteurs pouvaient bien aussi ne pas rougir de révoquer en doute le talent du protégé. Pour donner une idée de ces critiques, nous rapporterons ici quelques passages d'un libelle publié en 1665, ayant pour titre, Observations sur une comédie de Molière, intitulée LE FESTIN DE PIERRE. Nous en avons déjà fait mention à l'occasion de cette dernière pièce; mais son examen trouvera plus naturellement place en cet endroit; car les ennemis de Molière, en attaquant son Don Juan, ne faisaient que préluder à la guerre contre le Tartuffe.

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J'espère, dit l'auteur, que Molière recevra >> ces observations d'autant plus volontiers que » la passion et l'intérêt n'y ont point de part. Je >> n'ai le dessein de lui nuire; je veux au conpas » traire le servir. On n'en veut point à sa personne, » mais à son athée. L'on ne porte point envie à » son gain ni à sa réputation; ce n'est pas un sen»> timent particulier, c'est celui de tous les gens

1. Observations sur une comédie de Molière intitulée, LE FESTIN DE PIERRE, par le sieur de Rochemont, 1665.

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