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1667. ce langage de la délation mystique ne vous est point inconnu. Plus d'une fois vos persécuteurs hypocrites auront, sans pudeur, compromis les noms les plus augustes, pour essayer de justifier leurs lâches proscriptions. Consolez-vous en vous rappelant que Molière but jusqu'à la lie ce calice amer dont on voudrait vous abreuver! Consolez-vous en pensant que la postérité a fait justice de ces outrages!

Ce libelle insidieux fut présenté au Roi'; et l'adroite perfidie avec laquelle l'auteur s'était couvert du manteau de la religion, pour déverser sur Molière ses calomnies, imposèrent à ce prince et le jetèrent dans un nouvel embarras.

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Quand celui qui se sert d'un tel prétexte, dit » fort bien l'auteur d'une réponse à ces Observa» tions, n'aurait pas raison, il semble qu'il y au>> rait une espèce de crime à le combattre. Quel» ques injures qu'on puisse dire à un innocent, » on craint de le défendre lorsque la religion y est » mêlée ; l'imposteur est toujours à couvert sous » ce voile, l'innocent toujours opprimé, et la vé» rité toujours cachée. On craint de la mettre au » jour, de peur d'être regardé comme le défen>>seur de ce que la religion condamne, encore qu'elle n'y prenne point de part et qu'il soit

1 Premier Placet au Roi, à la tête du Tartusse.

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aisé de juger qu'elle parlerait autrement si elle 1667. » pouvait parler elle-même ' »

Ces attaques concertées produisirent malheureusement cet effet sur le monarque. Il sentit tout ce qu'il y avait d'odieux dans les calculs des ennemis de Molière cherchant à jeter la discorde jusque dans sa propre famille, et à représenter la Reine, sa mère, comme révoltée de l'impiété de cet auteur, et comme sollicitant sans cesse, mais en vain, la suppression de ses ouvra– ges. Néanmoins l'adroit prétexte de l'accusation le fit encore passer pendant un certain temps par dessus la perfidie des accusateurs. Il combla toutefois, comme nous l'avons déjà vu, Molière et sa troupe de faveurs nouvelles, mais il ne leva pas l'interdiction.

C'est sans aucun doute à l'imprudente audace d'une nouvelle attaque que l'on doit attribuer la cessation de cette rigoureuse mesure. Pour essayer de justifier leurs hostilités acharnées, les ennemis de l'auteur du Tartuffe firent paraître un infame libelle qu'ils répandirent sous son nom' (3). Il est probable que ce fut l'excessive lâcheté de ce moyen qui valut à Molière la permission que son premier placet n'avait pu encore

1. Lettre sur les observations d'une comédie du sieur Molière, intitulée LE FESTIN DE PIERRE, Paris, 1665.

2. Grimarest, p. 186.

1667.

arracher au Roi. Ce prince sentit qu'il ne pouvait s'opposer plus long-temps à ce qu'il confondît ses détracteurs par l'innocence de son ouvrage. Il permit donc avant son départ pour l'armée de la Flandre que cette comédie fût soumise au jugement du parterre, mais en y mettant pour condition que l'auteur donnerait à son principal personnage un autre nom que celui de Tartuffe, qui était devenu, même avant la représentation, la plus cruelle injure pour les plus fieffés hypocrites; que quelques passages, qui avaient eu plus particulièrement l'honneur de soulever la cabale, seraient ou supprimés ou adoucis; enfin, que l'on ne pourrait être porté par aucun détail à supposer que l'auteur eût eu l'intention de prendre son original parmi les ministres des autels. Croyant acheter une paix durable, Molière consentit avec résignation à tout ce que demandait la conscience timorée du. Roi. Sa pièce fut appelée l'Imposteur, son principal personnage Panulphe, tous les passages suspects furent supprimés, et l'hypocrite fut vêtu de manière à ce qu'avec la plus mauvaise foi imaginable on ne pût reconnaître en lui un caractère sacré '.

Ce fut le 5 août que l'Imposteur, ainsi châtié,

1. Second placet au Roi, à la tête du Tartusse.

fut représenté pour la première fois en public. Il 1667. serait, dans toute autre circonstance, assez superflu de dire qu'il obtint un très grand succès; mais ici on ne saurait trop appuyer sur ce fait, puisque c'est lui qui augmenta encore la colère, la fureur des ennemis de l'auteur. Les applaudissemens du parterre ranimèrent leur rage à peine endormie, et Molière eut bientôt lieu de se repentir de son triomphe.

Le lendemain de cette première représentation, le premier président de Lamoignon, au nom du parlement, fit signifier à la troupe de Molière la défense de jouer l'Imposteur. La première permission ayant été donnée verbalement, on se trouva dans l'impossibilité de la représenter, et force fut d'attendre un nouvel ordre de Sa Majesté' (4).

Le 8 août, deux acteurs de la troupe, La Thorillière et La Grange partirent de Paris en poste, pour aller présenter au Roi, qui se trouvait alors au siège de Lille, le second des placets qui précèdent le Tartuffe. Le Prince lui répondit qu'à son retour il ferait de nouveau examiner la pièce et qu'ils la joueraient. Confians en cette promesse

1. Extrait des recettes et des affaires de la Comédie, depuis Páques de l'année 1659 jusqu'au 31 août 1685, appurtenant au sieur de La Grange, l'un des comédiens du Roi; in 4°. manuscrit.

1667. qui ne devait recevoir que bien tard son exécution, ils revinrent à Paris; et le théâtre de Molière, qui avait suspendu ses représentations pendant toute la durée de leur absence, les reprit le 25 septembre'.

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On s'étonnerait probablement que nous passassions sous silence une anecdote plus piquante que vraisemblable, et par cela même généralement accréditée. C'est cependant le parti que nous prendrions, si cette popularité ne nous faisait un devoir d'en démontrer la fausseté. Il n'est personne qui n'ait lu dans tous les ana que le 7 août, au moment où le public, accouru pour la seconde représentation, comptait voir commencer ses jouissances, la toile se leva, et que Molière, après les trois saluts d'usage alors comme aujourd'hui, dit en s'adressant à l'assemblée : « Messieurs, nous comptions avoir l'hon»> neur de vous donner la seconde représentation » du Tartuffe, mais M. le premier président ne >> veut pas qu'on le joue. L'inventeur de cette pasquinade, qui tenait à paraître donner les propres paroles de .Molière, aurait dû se rappeler qu'une défense royale avait prohibé, ce titre de Tartuffe, et qu'il ne se serait par conséquent servi que de celui de l'Imposteur; mais il semble

1. Registre précité.

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