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1667. tartuffe pour truffe, que parce qu'on pouvait dire également tartuffer pour truffer. « Les truffes, ajoute M. Étienne après avoir indiqué la même » étymologie, viendraient donc de la tartufferie: » peut-être n'est-ce point parce qu'elles sont dif» ficiles à découvrir qu'on leur a donné ce nom, » mais parce qu'elles sont un moyen puissant de » séduction, et que la séduction n'a guère d'autre » but que la tromperie. Ainsi, d'après une antique >> tradition, les grands dîner's qui ont aujourd'hui » une si haute influence dans les affaires de l'État >> seraient des dîners de tartuffes. Il y a des étymologies beaucoup moins raisonnables que » celle-là. »

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Le caractère de Tartuffe est certainement le plus profondément tracé de tous ceux qui ont été mis sur la scène jusqu'à ce jour. C'est l'ame d'un hypocrite devinée ou surprise, car elle ne se dévoile pas d'elle-même, elle ne se livre à personne; 'et La Harpe a bien su apprécier l'intention de Molière et la difficulté qu'il a eue à vaincre, lorsqu'il l'a loué de n'avoir donné à son Tartuffe ni confident ni monologue, de n'avoir montré ses vices qu'en action.

La Bruyère, dont l'amour-propre a, dans ceite circonstance, faussé le jugement, essaya, dans son chapitre de la Mode, de tracer un caractère de faux dévot qui fût la contre-partie et la criti

que de celui de Molière. Son Onuphre n'est qu'une 1667. création sans mouvement et sans vie, et qui par conséquent ne saurait être appropriée à la scène; et ce qui prouve d'ailleurs combien le censeur est demeuré loin de l'auteur qu'il a osé critiquer, c'est que jamais aucun des originaux qui s'étaient reconnus dans le premier portrait, et qui avaient maudit leur peintre, ne fit entendre la moindre clameur contre le second. Ce silence parle plus haut que toutes les critiques.

pas

Outre les reproches adressés par le Théophraste français à ce rôle, on lui a encore fait celui d'être odieux, et par conséquent presque insupportable à la scène. Ce dernier n'est mieux fondé que les autres; car Molière, pendant quatre actes, a principalement fait envisager le côté ridicule du personnage; et si, au cinquième, il lui a donné une audace plus ouverte, ce n'était, comme l'a dit J.-B. Rousseau, que pour y apporter le dernier coup de pinceau '; d'ailleurs, le châtiment ne se fait pas long-temps attendre, et, dès les premiers vers que prononce l'exempt, le spectateur respire et son cœur se desserre.

Quel art! quelle variété dans la peinture de cet admirable tableau! Madame Pernelle a tout l'en

1. Lettre à M. Chauvelin, t. V, p. 325 de l'édition des OEu vres de J.-B. Rousseau, donnée par M. Amar.

1667. têtement, toute la prévention de l'âge et de la bigoterie; Cléante, toute la modération et toute la tolérance d'un homme éclairé et sagement religieux; Orgon est violent dans son fanatisme, aveugle dans son engouement; Elmire, vertueuse sans pruderie, sage sans ostentation : le caractère de Damis est impétueux et irréfléchi; celui de Valère est sensible et généreux; Mariane montre une ame aimante et douce, Dorine un esprit mordant qui s'exerce même aux dépens d'une famille qu'elle sert avec attachement. Enfin, dans cette admirable conception, il n'est pas une seule idée, il n'est pas un seul détail qui ne réponde à la sagesse, à la perfection de l'ensemble.

Molière n'avait rien négligé non plus pour que l'exécution scénique fût également irréprochable. Il s'était chargé du rôle d'Orgon, et avait confié celui d'Elmire à sa femme. Comme elle prévoyait bien que cette pièce attirerait beaucoup de monde, mademoiselle Molière avait à cœur de s'y faire remarquer par l'éclat de sa toilette : elle commanda donc un habit magnifique sans en rien dire à son mari, et, le jour de la représentation, elle se mit de très-bonne heure en devoir de s'en vêtir. Molière, en faisant sa ronde, entra dans sa loge pour voir si elle se préparait. « Comment donc, dit-il » en la voyant si parée, que voulez-vous dire avec >> cet ajustement? Ne savez-vous pas que vous êtes

» incommodée dans la pièce? et vous voilà éveillée 1667. » et ornée comme si vous alliez à une fête. Désha» billez-vous vite, et prenez un habit convenable » à la situation où vous devez être '. »

Nos Elmires ignorent probablement cette anecdote, ou du moins les soins de l'amour-propre l'emportent chez elles sur leur respect pour les intentions de l'auteur. Il est vrai que, s'il fallait les observer toutes fidèlement, la représentation de ce chef-d'œuvre serait aujourd'hui impossible : il n'est guère d'acteurs qui eussent le droit d'y prendre un rôle. L'anecdote suivante fait connaître les qualités, bien rares de nos jours, que Molière exigeait de ses interprètes :

Un soir qu'on représentait le Tartuffe, Champmêlé, qui ne faisait pas encore partie de la troupe, alla voir Molière dans sa loge près du théâtre. Ils n'en étaient qu'à l'échange des premiers complimens d'usage, quand Molière, se frappant la tête avec les marques du plus violent désespoir, se mit à crier : Ah! chien! ah! bourreau! Champmêlé crut qu'il tombait en démence, et ne savait trop quel parti prendre; mais Molière, qui s'aperçut de son embarras, lui dit : « Ne soyez pas sur

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pris de mon emportement: je viens d'entendre » un acteur déclamer faussement et pitoyablement

1. Grimarest, p. 259 et 250.

1667. quatre vers de ma pièce ; et je ne saurais voir

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>> maltraiter mes enfans de cette force-là sans souf

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frir comme un damné. ' »

Le trait que nous allons rapporter fera également connaître avec quel tact Molière savait apprécier l'aptitude de ses camarades.

Une actrice nommée Bourguignon, après avoir parcouru la Hollande avec des comédiens ambulans, s'engagea dans une troupe qui se trouvait à Lyon. Elle était d'un caractère altier et dominant, et la crainte de trouver un maître dans un mari l'avait jusque-là détournée de former une union. Il y avait dans la troupe où elle venait d'être enrôlée un homme d'une simplicité à toute épreuve, qui n'était que gagiste, et que son intelligence bornée semblait condamner à jamais à l'emploi dont il était alors chargé, celui de moucher les chandelles. Beauval, c'était son nom, parut à la jeune Bourguignon un sujet précieux pour le mariage : aussi convinrent-ils de s'unir. Le chef de la troupe, père adoptif de la fiancée, voulut mettre des obstacles à l'exécution de ce projet; il parvint même à obtenir de l'archevêque de Lyon une défense à tous les curés de son diocèse de marier ces deux amans. Mais l'esprit inventif de la future trouva un singulier moyen pour éluder cet ordre. Elle se rendit à sa paroisse un dimanche 1. Grimarest, p. 202.

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