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matin avant l'office, accompagnée de Beauval, 1667. qu'elle fit cacher sous la chaire où le curé faisait le prône ; et, lorsqu'il l'eut fini, elle se leva et déclara à haute voix qu'elle prenait, en présence de l'église et des assistans, Beauval pour son légitime époux. Celui-ci sortit aussitôt de sa cachette et fit la même déclaration. Après cet éclat, on ne jugea pas prudent de leur refuser un sacrement dont ils menaçaient de se passer.

Quelque temps après, Beauval et sa femme passèrent dans la troupe du Palais-Royal. Celle-ci créa plusieurs rôles avec un véritable talent; et son mari, dont on avait désespéré jusque-là, représenta de la manière la plus satisfaisante certains personnages des comédies de notre auteur, notamment Thomas Diafoirus du Malade imaginaire. Molière, à une des répétitions de cette pièce, parut mécontent des acteurs qui y jouaient, et principalement de mademoiselle Beauval, qui faisait Toinette. Cette actrice, peu endurante, après lui avoir répondu assez brusquement, ajouta : « Vous nous tourmentez tous, et vous ne dites >> mot à mon mari? J'en serais bien fâché, reprit Molière, je lui gâterais son jeu; la na>>ture lui a donné de meilleures leçons que les >> miennes pour ce rôle'. » Ces divers faits prou

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1. Histoire du Théâtre français (par les frères Parfait), t. XIV p. 257 et suiv

1667. vent suffisamment qu'il n'y a rien d'exagéré dans les éloges que Segrais a donnés à « cette troupe accomplie de comédiens, formée de la main de >> Molière, dont il était l'ame, et qui ne peut avoir » de pareille'. >>

Quinze jours après la défense du parlement on vit paraître, à la date du 20 août, une Lettre sur la comédie de l'Imposteur, qui dut nécessairement être très-recherchée alors. Beaucoup de personnes n'avaient ni entendu de lectures particulières, ni assisté à l'unique représentation de la pièce : c'était pour elles une bonne fortune que la publication d'une analyse aussi détaillée du chef-d'œuvre dont une défense doublement cruelle les privait à la scène et à la lecture. Cet examen raisonné, que l'auteur anonyme donne comme écrit de mémoire après la représentation, offre un extrait d'une scrupuleuse fidélité tant pour l'enchaînement des scènes que pour la citation des passages les plus remarquables et des vers les plus saillans. Cette exactitude, l'adresse avec laquelle l'auteur de la Lettre se constitue le défenseur de la pièce, le tact et le goût dont il fait preuve dans ce compte rendu, tout nous porte à croire que cette analyse ne put sortir que de la plume de Molière. Cependant plusieurs littéra

1. Mémoires de Segrais, pag. 173. hommes illustres, p. 79.

Perrault, Éloge des

teurs, n'apercevant pas dans cette brochure toute l'économie de son style, ont pensé qu'il ne fallait l'attribuer qu'à quelque ami qui l'aurait composée sous ses yeux. Il importait trop à Molière de confondre les infames calomnies répandues contre lui et son ouvrage, pour confier ce soin même à un ami. D'un autre côté il sentait que sa défense n'arriverait au but qu'il se proposait qu'autant qu'on ne pourrait deviner qu'il en fût l'auteur. Son plus sûr moyen était donc de chercher à déguiser son style : c'est le parti qu'il prit en cette occasion. Mais quiconque aura étudié la manière d'écrire de l'auteur du Tartuffe retrouvera dans la Lettre sur l'Imposteur des tours et des expressions qui ne sont qu'à lui. Cette pièce, une des plus importantes de ce grand procès, sert à constater quelques changemens qui différencient l'Imposteur et le Tartuffe.

1667.

Cinq mois après la première représentation 1668. de ce chef-d'œuvre, au milieu des orages qui s'amassaient et éclataient sans cesse sur sa tête, quand l'air retentissait encore des vociférations effrénées qu'une fanatique hypocrisie avait proférées contre lui, Molière, dont le génie avait à tâche de prouver son mépris pour de si basses attaques, enrichit notre scène de l'imitation la plus heureuse et la plus enjouée du drame le plus original qui ait jamais été représenté sur

1668. aucun théâtre, Amphitryon. La folâtre gaieté dont le rôle du nouveau Sosie est empreint, les boutades si comiques de Cléanthis, en prouvant dans leur auteur une entière liberté d'esprit, dévoilent suffisamment à ceux qui se reportent au temps et aux circonstances qui les virent naître et la grande ame de Molière et sa noble philosophie.

Ce contraste entre la situation de l'auteur et la disposition de son esprit nous amène à en faire ressortir un non moins saillant dans la conduite de ses ennemis. Certes, s'il est dans tout son théâtre un ouvrage où la décence soit presque continuellement blessée, c'est bien Amphitryon. Cependant parmi ces mêmes hommes qui s'étaient montrés si acharnés à crier au scandale à l'occasion du Festin de Pierre et du Tartuffe, il ne s'en trouva pas un seul dont les sorties et les surprises souvent plus que gaies de Cléanthis et de Sosie, d'Alcmène et d'Amphitryon, choquassent la religion, ou alarmassent la pudeur. Cette inconséquence ne peut, ne doit s'expliquer que par la réponse du prince de Condé à Louis XIV à l'occasion de Scaramouche Hermite : le sujet de l'une blessait la morale, dont ils ne se souciaient point; les autres les jouaient eux-mêmes, ce qu'ils ne pouvaient souffrir.

Ce fut le 13 janvier que cette œuvre nouvelle fut

représentée, pour la première fois, sur le théâtre 1663. du Palais-Royal. Elle obtint un succès des plus grands, constaté par vingt-neuf représentations consécutives. Imprimée dans la même année, elle parut précédée d'une dédicace au prince de Condé: c'était un hommage rendu par l'auteur d'Amphitryon au protecteur zélé du Tartuffe.

Le sujet de cette pièce n'appartient pas plus à Plaute qu'à Molière. Bien avant lui, Euripide et Archippus l'avaient traité; et, si l'on en croit le colonel Dow, cette fable a pris naissance chez les brachmanes. Voltaire donne la traduction d'un passage d'un livre des Indiens, écrit dans un langage que l'on parlait de temps immémorial aux bords du Gange, et recueilli par le savant colonel; ce morceau renferme une anecdote qui, au dénouement près, a la plus grande conformité avec l'aventure du général thébain. La voici :

«Un Indou, d'une force extraordinaire, avait » une très-belle femme : il en fut jaloux, la battit, >> et s'en alla. Un égrillard de dieu, non pas un >> Brama, ou un Vishnou, ou un Sib, mais un » dieu de bas étage, et cependant fort puissant, >> fait passer son ame dans un corps entièrement » semblable à celui du mari fugitif, et se présente, >> sous cette forme, à la dame délaissée. La doctrine de la métempsycose rendait cette super» cherie vraisemblable.

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