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tradition à laquelle Montesquieu accordait une 1646 entière confiance, il y fit représenter une tra- 1653. gédie de lui qui avait pour titre, la Thébaïde, et dont le malheureux sort le détourna à propos du genre tragique '. Il est, à la vérité, impossible de fournir une preuve bien positive à l'appui de cette assertion; mais on sentira qu'elle offre assez de vraisemblance, pour peu qu'on réfléchisse à la passion malheureuse que Molière eut long-temps pour le genre sérieux; passion dont le Prince jaloux et ses excursions comme acteur dans le grand emploi tragique sont les tristes témoignages. On verra aussi qu'il regardait ce sujet de la Thébaïde comme tout-à-fait propre à la tragédie, puisque ce fut lui qui plus tard le donna à traiter au jeune Racine. De retour à Paris vers l'année 1650, il y fut accueilli avec le plus grand intérêt par son ancien condisciple le prince de Conti, qui fit venir plusieurs fois sa troupe à son hôtel pour y jouer la comédie (26).

En 1653, cette caravane comique partit pour 1653. Lyon, où fut représentée pour la première fois la comédie de l'Étourdi. La pièce et les comédiens obtinrent un succès complet, et les Lyon

1. OEuvres de Molière, avec les remarques de Bret, 1773, t. I, p. 53.- Études sur Molière, par Cailhava, p. 8.

1653. nais oublièrent bientôt un autre théâtre que leur

ville possédait depuis quelque temps, et dont les principaux acteurs prirent le parti de passer au nouveau. Parmi eux se trouvaient De Brie, Ragueneau et mesdemoiselles Du Parc et De Brie (27).

Ces deux derniers noms nous amènent naturellement à parler des intrigues amoureuses de Molière. On s'est généralement accordé à dire qu'il eut d'abord des liaisons avec Madeleine Béjart. L'intimité qu'une sorte de communauté d'intérêts avait dû faire naître entre eux, le caractère aimant et facile de notre auteur et l'ame peu cruelle de mademoiselle Béjart, qui se vantait, dit-on, de n'avoir jamais eu jusque-là de faiblesses que pour des gentilshommes, nous portent assez à le croire, bien que ce fait n'ait peut-être été répété par certains ennemis de Molière, que pour donner une apparence de fondement à la calomnie dirigée contre lui à l'occasion de son mariage, calomnie que plus tard nous saurons confondre. Quoi qu'il en soit, il paraît constant qu'il succéda dans les bonnes graces de cette comédienne au comte de Modène, qui en avait eu, en 1638, une fille naturelle 1 (28).

1

1. La Fameuse comédienne, ou Histoire de la Guérin, auparavant femme et veuve de Molière, Francfort, 1688, p. 7.-Grimarest, p. 20. - Petitot, p. 6.-Dissertation sur Molière, par M. Beffara, p. 20.

Mais les charmes de mademoiselle Du Parc 1653. le touchèrent, dès qu'il la vit. Cette beauté orgueilleuse et froide accueillit mal la déclaration qu'il lui fit de son amour. Son désespoir fut d'autant plus vif qu'il s'efforça pendant quelque temps de le dissimuler. Il prit à la fin le parti de le confier à mademoiselle De Brie, dont la tendre amitié essaya de l'en consoler. Nous disons l'amitié, car ce n'était peut-être d'ahord que ce sentiment; mais il fit bientôt place à une affection plus vive, et qui, chez mademoiselle De Brie, était presque aussi durable. Une femme jeune, aimable et jolie, qui cherche à calmer les chagrins amoureux d'un homme de trente ans ne peut être long-temps réléguée au rôle de confidente : aussi en prit-elle bientôt un plus actif qu'elle n'interrompit qu'au mariage de Molière. Peu de temps après, captivée par la gloire qu'il acquérait chaque jour, mademoiselle Du Parc se repentit des froideurs qu'elle lui avait fait essuyer; mais, soit dépit, soit crainte de ne pas trouver près d'elle la paix que lui faisaient goûter ses rapports avec mademoiselle De Brie, il sut résister aux moyens de séduction qu'elle mit en œuvre avec lui. Plus tard, il fit allusion à sa position entre ces deux femmes par les rôles de Clitandre, de Henriette et d'Armande des Femmes savantes, et principalement par la

1653. scène II du premier acte de ce chef-d'œuvre '.

Dassoucy, dans ses Aventures, nous apprend qu'en partant de Lyon, Molière et ses camarades se rendirent à Avignon, où il les suivit. Cette ville, d'après les aveux de ce troubadour épicurien, le vit sé livrer avec excès à sa passion pour le jeu, dont les chances lui furent si constamment et si cruellement défavorables, qu'en moins d'un mois il demeura, selon son expression, vétu comme notre premier père Adam lorsqu'il sortit du paradis terrestre. «Mais, ajoute-t-il, comme un homme >> n'est jamais pauvre tant qu'il a des amis, ayant >> Molière pour estimateur et toute la maison des Béjart pour amie, en dépit du diable et de la for>> tune..., je me vis plus riche et plus content que >> jamais; car ces généreuses personnes ne se con>> tentèrent pas de m'assister comme ami, elles me » voulurent traiter comme parent. Étant comman» dés aller aux États, ils me menèrent avec

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» eux à Pézenas, où je ne saurais dire combien de >> graces je reçus ensuite de toute la maison. On » dit que le meilleur frère est las au bout d'un » mois de donner à manger à son frère; mais ceux»ci, plus généreux que tous les frères qu'on puisse avoir, ne se lassèrent point de mne voir à

1. Voir les Femmes savantes, acte I, sc. 2. — La Fameuse comédienne, p. 8. — Petitot, p. 7.

>> leur table tout un hiver.... Quoique je fusse 1653. » chez eux, je pouvais bien dire que j'étais chez >> moi. Je ne vis jamais tant de bonté, tant de >> franchise, tant d'honnêteté que parmi ces gens>> là, bien dignes de représenter réellement dans » le monde les personnages qu'ils représentent » tous les jours sur le théâtre 1. »

:

Il existe à Pézenas un grand fauteuil de bois auquel une tradition a conservé le nom de fauteuil de Molière; sa forme atteste son antiquité; l'espèce de vénération attachée à son nom l'a suivi chez ses divers propriétaires. Voici ce que les habitans du pays racontent à ce sujet d'après l'autorité de leurs ancêtres Pendant que Molière habitait Pézenas, le samedi, jour du marché, il se rendait assidument, dans l'après-dînée, chez un barbier de cette ville, dont la boutique trèsachalandée était le rendez-vous des oisifs, des campagnards et des agréables; car, avant l'établissement des cafés dans les petites villes, c'était chez les barbiers que se débitaient les nouvelles, que l'historiette du jour prenait du crédit, et que la politique épuisait ses combinaisons. Le grand fauteuil de bois occupait un des angles de la boutique, et Molière s'emparait de cette place. Un tel observateur ne pouvait qu'y faire une ample

1. Aventures de Dassoucy, tom. I, pag. 3o9.

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