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que

1670. noncer à l'espoir d'épouser son amant. Ce ne fut le jeudi 18 décembre 1670 que cette défense fut faite par le Roi à la princesse, ainsi que le constatent les annales contemporaines, et notamment la lettre très-détaillée de madame de Sévigné, du 19 décembre 1670. Or, les Amans magnifiques avaient été représentés, comme nous l'avons dit, dès le 7 septembre 1670, c'est-à-dire plus de trois mois avant que l'on connût ses chagrins et même sa passion, et non un an après, comme il est dit dans le morceau précité. Il était donc impossible que, quelque malignes qu'eussent été les intentions de Molière, il eût fait allusion à cette intrigue; à moins que l'on ne suppose que, devin lui-même, il n'ait eu recours dans cette circonstance à une science qu'il semble cependant combattre de bonne foi.

Les Amans magnifiques lui fournirent l'occasion de mystifier un poète de cour, dont il avait à confondre l'orgueil. Benserade, chargé par le Roi de la composition du Ballet des Muses, s'était vu forcé d'appeler Molière à son aide. Celui-ci avait, comme on l'a vu, composé pour cette fête Mélicerte et la Pastorale comique. Le peu de succès de cette dernière production avait encouragé l'avantageux Benserade à prendre des airs de hauteur avec son collaborateur plus modeste. Ayant eu

des premiers connaissance des Amans magni, 1670. fiques, il dit, à l'occasion de ces deux vers du troisième intermède

Et tracez sur les herbettes
Les images de vos chansons,

qu'il fallait sans doute lire :

Et tracez sur les herbettes

Les images de vos chaussons'.

Molière probablement n'attachait pas grande importance à son distique; mais il n'était pas d'humeur à se laisser turlupiner par un faquin. «Le mé» pris, disait-il, est comme une pilule qu'on peut » bien avaler, mais qu'on ne peut mâcher sans » faire la grimace'. » Il jura de se venger et tint aussitôt parole. Benserade jouissait, à la cour, d'une immense réputation comme poète de ballets (8); la fadeur et la recherche de ses compositions précieuses lui avaient assuré un grand nombre d'admirateurs. Molière, pour en venir à ses fins, inséra dans le premier intermède des Amans magnifiques, pour le Roi, qui représentait Neptune, des vers tout-à-fait dans le genre de ceux du poète bel-esprit. Il ne s'en déclara

1. Vie de Benserade à la tête de l'édition de ses OEuvres. 2. Carpenteriana, p. 46.

1670. pas l'auteur, et ne mit que le prince dans sa confidence. Tous les courtisans, dupes de cette ruse, accablèrent de complimens le complaisant Benserade, qui par ses faibles dénégations acheva de leur persuader que les stances étaient de lui. Quels durent être sa confusion et son dépit quand Molière, levant le masque, se déclara le père de ce prétendu chef-d'œuvre ? Ce fut alors qu'il sentit combien était vrai le dernier vers du quatrain qu'il lui avait consacré dans le Ballet des Muses:

Le célèbre Molière est dans un grand éclat;
Son mérite est connu de Paris jusqu'à Rome.
Il est avantageux partout d'être honnête homme,
Mais il est dangereux avec lui d'être un fat.

Celui-ci venait de se venger d'un rimeur qui se croyait poète; il mit en scène, le mois suivant, un de ces bons roturiers qui veulent trancher du gentilhomme.

Nous ne craignons pas de dire qu'aucune de ses pièces n'est d'une moralité plus générale, d'une vérité plus étendue que celle dont M. Jourdain est le héros. Que dans le Tartuffe il ait courageusement démasqué l'infamie sous les traits de la religion; qu'il se soit érigé dans le Misun

1. Grimarest, p. 272 et suiv.

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thrope en censeur de l'humeur morose et de 1670. l'esprit insociable; que George Dandin lui ait fourni un libre champ pour effrayer les petits bourgeois de l'alliance des Sotenvilles; qu'il ait, par le portrait d'Harpagon, tenté de faire rougir ses confrères en avarice; que ses traits malins et mordans aient été dirigés, dans les Femmes savantes, contre les pédans, et, dans l'École des femmes et l'École des maris, contre les infortunes conjugales, toujours est-il qu'il n'avait jusquelà atteint que les travers de certaines classes de la société, qu'il n'avait peint que certaines phases de nos mœurs. L'hypocrisie de religion, la manie des hautes alliances, ne sont que des vices, que des défauts passagers car, il y a vingt ans, il n'y avait point de Tartuffes ; il n'est plus guère aujourd'hui de Georges Dandins. Les pédantesques prétentions, les mésaventures des maris ne sont que des ridicules, des malheurs particuliers: car on rencontre parfois des auteurs modestes, et d'ailleurs tout le monde n'est pas auteur; on trouve, en cherchant bien, des maris heureux, et, au reste, il est bon nombre de célibataires; mais des Jourdains, il en fut, il en est, il en sera toujours. L'excès d'amour-propre est chez nous un défaut essentiel, et par conséquent général et impérissable. Dans quelque classe que la fortune l'ait fait naître, il

1670. n'est guère d'homme qui ne s'associe aux ridicules de M. Jourdain, sous le rapport du rang, de la fortune, ou de la prétention aux talens. Chacun s'enfle comme la grenouille et veut paraître plus grand que nature; enfin, comme l'a dit le bon, l'excellent La Fontaine,

Tout petit prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages.

Ce fut à Chambord, le 14 octobre 1670, que l'on représenta, pour la première fois, ce riant et important ouvrage. La cour était alors rassemblée dans ce royal séjour, et Molière comptait pour juges tout ce que la France avait de plus éminent. L'impénétrable impassibilité que le Roi conserva pendant la représentation, et la crainte qu'eurent les courtisans d'émettre un avis contraire à celui du monarque, les empêcha de se prononcer. Au souper, Louis XIV ne se déclara pas davantage, et l'on crut même remarquer qu'il n'adressa pas la parole à Molière, qui remplissait auprès de lui les fonctions de valet-de-chambre. Ce silence suffit pour persuader aux marquis et aux comtes, qui n'avaient point oublié leurs anciens griefs contre l'auteur, et auxquels le rôle de Dorante en fournissait même de nouveaux, que le Roi partageait leur sentiment sur la pièce ; alors ils cessèrent de le dissimuler. Les censures

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