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1671. voulut faire par-là allusion à une méprise du même genre. Ninon de l'Enclos aimait le marquis de Villarceaux, dont elle était aimée. L'épouse de ce seigneur, voulant faire admirer son fils réunion nombreuse qui se trouvait chez elle, pria son précepteur de l'interroger. Ce pédant lui dit gravement: Quem habuit successorem Belus, rex Assyriorum? · Ninum, répondit le petit prodige. Cette réponse choqua beaucoup sa mère, qui, frappée de ce Ninum, gronda le précepteur d'entretenir son élève des folies de son père; et les protestations de cet autre Robinet, qui n'y entendait pas malice, ne purent servir à l'apaiser'.

1672.

Des prétentions des femmes de province aux beaux airs Molière passa aux prétentions des femmes de Paris au savoir. Nous avons, à l'occasion des Précieuses ridicules, dépeint les cercles où, avant le succès de cette piquante satire, tout ce que la littérature, la noblesse et le clergé comptaient de plus distingué venait chaque jour conspirer contre le bon goût et le naturel. Nous avons dit aussi l'influence que le manifeste de Molière exerça sur ces ridicules. L'alarme fut jetée aux rangs de ces nouveaux croisés, leurs dieux furent reniés, leurs autels renversés. Mais,

1. Esprit de Molière (par M. Beffara), t. I, p. 101.

semblables à des esclaves qui combattent pour 1672. leurs fers, les fanatiques ne peuvent vivre sans idoles. D'ailleurs, si l'hôtel de Rambouillet avait abjuré le jargon de Cyrus, il ne pouvait aussi facilement renoncer à l'espèce d'influence qu'il exerçait sur la société; et, pour la conserver, il fallait ouvrir une nouvelle école. A la manie des lettres succéda la fureur des sciences; les petits vers, au lieu d'être une occupation principale, ne furent plus que le délassement des plus hautes spéculations; l'astre de mademoiselle de Scudéri et de la Calprenède pâlit devant celui de Descartes; et le bonnet de docteur remplaça sur le front des femmes la coiffure des héroïnes de leurs romans.

Molière, qui avait cru le premier travers digne de sa colère ou plutôt de sa gaieté, ne pouvait garder le silence sur celui-ci, non moins menaçant, non moins redoutable, Il avait combattu l'afféterie et la déraison prétentieuse qui exaltaient les sentimens des femmes aux dépens du naturel et de la grace; pouvait-il ménager ce pédantisme glacial qui, les destituant entièrement de leurs charmes, et pour ainsi dire de leur sexe, en faisait des êtres équivoques et d'une nature incertaine? Non vainqueur d'un ridicule, c'était un devoir pour lui de reprendre les armes contre le travers qui, phénix nouveau, renais

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sait de ses cendres. Il descendit dans l'arène, et, le 11 mars, le théâtre du Palais-Royal retentit de nombreux et justes applaudissemens qui proclamèrent son triomphe et la nouvelle gloire que les Femmes savantes promettaient à son nom: Une longue série de représentations mit tout Paris à même de confirmer l'arrêt des premiers juges.

C'est ici l'occasion d'examiner un point d'histoire et de morale littéraire sur lequel on n'a guère jeté encore qu'un jour très-incertain. Molière ne joua-t-il pas Cotin et Menage dans les rôles de Trissotin et de Vadius? Quels motifs eutil pour exercer une telle vengeance contre eux? Pouvait-il même en exister d'assez puissans pour justifier une semblable conduite? Afin de ne donner lieu à aucun soupçon de partialité de notre part en faveur de notre premier comique, nous nous attacherons à ne retracer les faits que d'après l'autorité d'écrivains qui ne peuvent, dans cette occasion, être accusés ni de prévention ni d'ignorance.

On lit dans plusieurs recueils que Molière avait été reçu à l'hôtel de Rambouillet; qu'on s'y était plu à lui faire le meilleur accueil; mais que Menage et Cotin lui ayant adressé quelques mots piquans, il n'y retourna plus, et mit ses deux ad

de 1672.

versaires en scène '. Cette assertion a bien peu vraisemblance à nos yeux. Quand on songe au mépris que l'on avait alors pour la profession d'acteur, à la morgue de la noblesse de ce temps, qui composait en grande partie la société de cet hôtel, on ne peut croire que Molière, malgré tout son talent, ait pu trouver grace auprès d'eux. Madame de Sévigné et Bussy-Rabutin, qui mirent tant d'ardeur à faire casser le mariage de la fille de celui-ci avec M. de la Rivière, parce que ses trente-deux quartiers n'étaient pas incontestables; madame de Sévigné, Bussy-Rabutin et tant d'autres, eussent-ils pu prendre sur eux de s'asseoir à côté d'un comédien? La version suivante, appuyée sur de plus imposans témoignages, nous semble digne d'une tout autre confiance.

Au temps où Molière était poursuivi le plus vivement par les ennemis que les représentations particulières et les lectures de son Tartuffe lui avaient déjà suscités, l'abbé Cotin et Menage, ce même Menage que nous avons vu plus généreux, ou seulement plus prudent, lors du succès des Précieuses ridicules, « s'étant trou» vés à la première représentation du Misan

1. Carpenteriana. Récréations littéraires, par Cizeron Rival, p. 12.

1672. »thrope, dit l'abbé d'Olivet, poussèrent la haine » contre Molière jusqu'à aller, au sortir de là, » sonner le tocsin à l'hôtel de Rambouillet, di> sant qu'il jouait ouvertement le duc de Montau» sier, dont en effet la vertu austère et inflexible » passait mal à propos, dans l'esprit. de quelques › courtisans, pour tomber dans la misanthropie. » L'accusation était délicate: Molière sentit le >> coup. Il sut cependant contenir sa juste indignation; et il est probable que, si Cotin ne l'eût lui-même contraint à la vengeance par pas de nouvelles attaques, il eût gardé sur son compte le silence du mépris.

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Mais irrité contre Despréaux, qui l'avait raillé dans sa troisième satire sur le petit nombre d'auditeurs qu'il avait à ses sermons, le pauvre Cotin, après avoir essayé de lui rendre traits pour traits dans une plate satire, composa encore un pamphlet, la Critique désintéressée sur les Satires du temps, où, non content de prodiguer à son censeur les injures les plus grossières et de lui imputer des crimes imaginaires, comme de ne reconnaître ni Dieu, ni foi, ni loi, il eut la maladroite infamie de ne pas moins ménager Molière, dont le silence à son égard lui semblait

1. Histoire de l'Académie Française (par l'abbé d'Olivet), t. II, p. 184.

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