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1653. moisson; les divers traits de malice, de gaieté, de ridicule, ne lui échappaient certainement pas; et qui sait s'ils n'ont pas trouvé leur place dans quelques-uns des chefs-d'œuvre dont il a enrichi la scène française ? On croit à Pézenas au fauteuil de Molière comme à Montpellier à la robe de Rabelais (29). Dassoucy nous apprend qu'après avoir passé six mois dans cette cocagne, il suivit Molière à Narbonne.

1654.

De Narbonne, notre auteur se rendit à Beziers pendant la tenue des États de Languedoc, présidés par le prince de Conti, qui l'avait engagé à l'y venir rejoindre. L'Étourdi, représenté l'année précédente à Lyon, et le Dépit amoureux qui ne l'avait encore été nulle part, furent accueillis avec la plus grande faveur, et attirèrent à la troupe et à Molière d'unanimes applaudissemens et de nouveaux bienfaits de la part de son ancien condisciple '. Le prince voulut même se l'attacher en qualité de secrétaire. Le poste ne laissait pas que d'être périlleux; car Segrais dit dans ses Mémoires, que Sarrasin, qui l'avait occupé, <«< mourut à l'âge de quarante-trois ans, d'une »> fièvre chaude causée par un mauvais traitement » de M. le prince de Conti. Ce prince lui donna un

D

i. Préface de l'édition des OEuvres de Molière de 1682 (par La Grange).

>> coup de pincettes à la tempe : le sujet de son 654. » mécontentement était que l'abbé de Cosnac, de

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puis archevêque d'Aix, et Sarrasin, l'avaient fait >> condescendre à épouser la nièce du cardinal » Mazarin (Martinozzi), et à abandonner qua>> rante mille écus de bénéfices pour n'avoir » que vingt-cinq mille écus de rente, de sorte » que l'argent lui manquait souvent; et alors il » était dans des chagrins contre ceux qui lui >> avaient fait faire cette bassesse, comme il l'ap» pelait à cause de la haine universelle qu'on avait » dans ce temps-là contre le cardinal Mazarin'.» Toutefois, il est probable que ce ne fut pas par la crainte d'un semblable sort, ou, comme le prétend Grimarest, à qui un sentiment généreux ne semble pas apparemment une raison déterminante dans une semblable position, parce qu'il aimait à parler en public, et que cela lui aurait manqué chez M. le prince de Conti, qu'il crut devoir refuser cette place; mais bien parce que rien à ses yeux ne pouvait être préférable à cet art pour lequel il n'avait pas hésité à rompre en quelque sorte avec sa famille, et qu'il sentait d'ailleurs que quitter ses camarades, c'était les abandonner à la misère. « Eh! messieurs, disait-il à ceux qui le blâ» maient de refuser la proposition du prince, ne

1. Mémoires de Segrais, pag. 51.

1654. nous déplaçons jamais je suis passable auteur, >> si j'en crois la voix publique ; je puis être un » fort mauvais secrétaire. Je divertis le prince par » les spectacles que je lui donne ; je le rebuterai >> par un travail sérieux et mal conduit. Et pen>> sez-vous d'ailleurs qu'un misanthrope comme » moi, capricieux, si vous voulez, soit propre auprès d'un grand? Je n'ai pas les sentimens assez >> flexibles pour la domesticité. Mais, plus que » tout cela, que deviendront ces pauvres gens » que j'ai amenés de si loin? Qui les conduira? » Je me reprocherais de les abandonner. place fut donnée à un gentilhomme nommé de Simoni '.

1654

1657.

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Molière et sa troupe parcoururent encore la à province pendant plusieurs années. Dans ces diverses excursions, il fit représenter plusieurs farces dans le goût italien, par lesquelles il préludait à ses belles compositions. C'étaient les Trois Docteurs rivaux et le Maître d'école, dont il ne nous reste que le titre. Mais deux autres de ces bluettes que nous possédons, le Médecin volant et la Jalousie du Barbouillé, ne laissent pas de grands regrets pour la perte des premières. L'intrigue de ces deux petites comédies a bien quel

1. Grimarest, pag. 24.-Voltaire, Vie de Molière, 1739, pag. 14. -Mémoires sur la vie et les ouvrages de Molière.- Petitot, p. 9.

à

1657.

ques traits de ressemblance avec celle du Méde-,654 cin malgré lui et de George Dandin'; « mais tout cela, » ainsi que l'a dit J.-B. Rousseau, « est revêtu » du style le plus bas et le plus ignoble qu'on puisse imaginer. Ainsi le fond de la farce peut » être de Molière; on ne l'avait point porté plus >> haut de ce temps-là; mais, comme toutes les >> farces se jouaient à l'improvisade, à la manière >> des Italiens, il est aisé de voir que ce n'est point lui qui en a mis le dialogue sur le papier; >> et ces sortes de choses, quand même elles se>> raient meilleures, ne doivent jamais être comp»tées parmi les ouvrages d'un homme de lettres' ». Cependant Boileau regrettait la perte du Docteur amoureux, autre bouffonnerie du même genre, » parce que, disait-il, il y a toujours quelque » chose d'instructif et de saillant dans ses moindres » ouvrages (30)

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Au mois de décembre de l'année 1657, la 1657. troupe nomade se rendit à Avignon, où elle avait déjà donné des représentations en 1653. Molière y rencontra Mignard, qui, revenant d'Italie, où il avait séjourné pendant vingt-deux ans, s'é

1. Voir notre édition des OEuvres de Molière, tom. IV, p. 285 et suiv., et tom. VI, pag. 161 et suiv..

2. OEuvres de J.-B. Rousseau, avec des notes, par. M. Amar, tom. V, pag. 320.

3. Bolæana, Amsterdam, 1742, pag. 31.

1657. tait arrêté dans le Comtat pour dessiner les antiques d'Orange et de Saint-Remi, et pour faire le portrait de la trop fameuse marquise de Gange. C'est là que se contracta entre ces deux hommes célèbres une union qui concourut pour ainsi dire à leur gloire mutuelle : Mignard laissa à la postérité le portrait de son ami; Molière, nouvel Arioste d'un autre Titien, consacra son poëme du Val de Grace à célébrer le talent de son peintre (31).

x658.

Tourmenté du désir de venir à Paris pour rivaliser avec les comédiens de l'hôtel de Bourgogne, notre auteur, après avoir passé le carnaval à Grenoble, se rendit à Rouen, vers les fêtes de Pâques de l'année 1658. Il fit, dans le courant de l'été, plusieurs absences de cette ville pour venir sonder les dispositions du prince de Conti et du cardinal Mazarin; et, après maintes démarches, ses vœux furent enfin comblés. Son protecteur le recommanda à MONSIEUR; celui-ci le présenta lui-même au Roi et à la Reine, et il parvint à être autorisé à donner une représentation à Paris.

Le 24 octobre suivant sa troupe joua, devant la famille royale, sur un théâtre qu'on avait fait

1. Vie de Mignard, 1630, p. 55.- OEuvres de Molière, avec les remarques de Bret, 1773, tom. I, pag. 55.

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