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Jean-Baptiste POQUELIN naquit à Paris le 15 janvier 1622 (1). On avait cru long-temps qu'il était né sous les piliers des halles, où Regnard vint au monde trente-cinq ans plus tard; mais on a aujourd'hui la certitude que nos deux premiers poètes comiques n'eurent point un berceau commun des recherches nouvelles ont appris que Poquelin vit le jour dans une maison de la rue Saint-Honoré, près de la rue de la Tonnellerie (2).

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Sa mère, Marie Cressé, appartenait à une famille qui exerçait depuis long-temps à Paris la profession de tapissier (5). Son grand-père paternel et son père Jean Poquelin se livraient également à ce commerce". Mais plusieurs de leurs parens furent juges et consuls de la ville de Paris, fonctions importantes qui donnaient quelquefois la noblesse * (4). Aîné de six enfans, le jeune Poquelin fut dès son bas âge destiné au métier de son père. L'office de tapissier-valet-de-chambre du Roi, concédé à celui-ci quelques années après, le

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1. Dissertation sur J. B. Poquelin Molière, par L. F. Beffara, 1821, p. 6 et 7.

2. Dissertation sur Molière, par M. Beffara, p. 8 et suivantes. 3. Ibidem, p. 5 et suivantes.

4. Ibidem, p. 5 et 6.

5. Voyages aux environs de Paris, par M. Delort, 1821, t. II,

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1622.

1622

à

1636.

1622 confirma encore dans ce dessein (5). Il obtint 1636. pour son fils la survivance de cette charge, et lui

1636

à

fit prendre part à ses travaux jusqu'à l'âge de quatorze ans, s'étant borné à lui procurer les notions les plus élémentaires de l'éducation. C'était tout ce que les marchands croyaient alors devoir faire pour leurs enfans. Les sciences et les belles-lettres n'étaient cultivées que par la noblesse et le clergé, ou par ceux qui s'y livraient spécialement; mais un négociant ne connaissait d'autre lecture que celle de ses registres, d'autre étude que celle de son commerce.

Le caractère naturellement ardent du jeune 1641. Poquelin ne pouvait se plier long-temps à un semblable genre de vie. De telles occupations répugnèrent bientôt à un génie qui ne s'ignorait pas entièrement; aussi ne tarda-t-il pas à témoigner le plus vif désir de s'instruire. N'ayant déjà plus sa mère pour la ranger de son parti, de son parti, il mit son aïeul (6) dans ses intérêts, et ce ne fut pas sans peine que, par leurs efforts réunis, ils parvinrent à déterminer son père à satisfaire cet impérieux besoin d'apprendre. Ce brave homme gémit pro

1. Grimarest, Vie de Molière, Paris, 1705, p. 6. — Voltaire, Vie de Molière, 1739, p. 2.— Mémoires sur la vie et les ouvrages de Molière (par La Serre), tom. I, p. xviij de l'édition des OEuvres de Molière, in-4°, 1734.— Vie de Molière, par M. Petitot, p. 1, à la tête des OEuvres de Molière, in-8°, 1813.

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1641

bablement sur la destinée future du mauvais su- 1636 jet qui ne se contentait pas de l'ignorance héréditaire; mais, voyant enfin qu'il n'y avait plus rien à espérer de ce jeune obstiné, il se laissa fléchir, et le collège de Clermont, dirigé par les Jésuites, reçut, comme externe, l'enfant qui devait être un jour l'immortel auteur du Tartuffe'.

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On a aussi généralement attribué cette espèce. de révélation de son génie à la fréquentation des théâtres. Le grand-père du jeune Poquelin, qui l'avait pris en affection, le menait quelquefois aux représentations de l'hôtel de Bourgogne, auxquelles Bellerose, dans le haut comique, Gautier Garguille, Gros Guillaume et Turlupin, dans la farce, donnaient alors un grand attrait 2 (7). Sans doute l'afféterie du premier, signalée par Scarron dans son Roman comique, et l'ignoble gaieté des derniers, qui est devenue proverbiale dans notre langue 3, ne furent pas ce qui séduisit le jeune spectateur; mais il pressentit peut-être dès lors ce que les jeux de la scène, quelque informes qu'ils fussent encore, pouvaient devenir un jour;

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1. Grimarest, p. 6 et 8.-Voltaire, Vie de Molière, p. 4.-Bayle, Dictionnaire historique et critique, art. Poquelin. Petitot, p. 2.-Mémoires sur la vie et les ouvrages de Molière, loco cit. 2. Grimarest, Voltaire, Petitot, et Mémoires sur la vie et les ouvrages de Molière, locis cit.

3. TURLUPINADE.

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1636 il comprit peut-être que les Hardy, les Monchré1641. tien, les Balthazar Baro, les Scudéri, les Desmaret, auxquels Corneille n'avait pas encore entièrement enlevé la faveur publique, étaient des modèles très-utiles, non à suivre, mais, si nous osons le dire, à éviter : enfin, s'il ne vit dès lors qu'il était appelé à opérer cette révolution, il sentit du moins que sa place était marquée ailleurs qu'au magasin de son père.

Le jeune Poquelin répondit par des progrès rapides aux soins qui lui furent prodigués. L'émulation ne demeura probablement pas étrangère à ces succès. Les mêmes cours étaient alors suivis par plusieurs enfans, qui plus tard se firent un nom dans les sciences et dans les lettres. Armand de Bourbon, prince de Conti, frère du grand Condé, qui devint par la suite son protecteur, était alors son condisciple (8). Il comptait également pour rivaux Bernier, célèbre depuis par ses voyages, dont le récit se lit encore avec intérêt, et par ses livres de philosophie, aujourd'hui tombés dans l'oubli, ce même Bernier qui, ayant presque tout appris dans ses excursions lointaines, hors le métier de courtisan, revint en France se faire tourner le dos par Louis XIV (9); Chapelle, auquel un grand amour du plaisir et quelques petits vers ont assuré une immortalité facile (10); enfin Hesnaut, fils d'un boulan

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ger de Paris, connu par des poésies anacréonti- 1636 ques, le sonnet de l'Avorton et l'éducation poé- 1641. tique du chantre des moutons, madame Deshoulières; Hesnaut qui prit, par reconnaissance, la défense de Fouquet contre Colbert dans des vers satiriques, et qui faillit se repentir de son plaidoyer (11).

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Quand ils eurent terminé leurs cours d'humanités et de rhétorique, M. Luillier, père de Chapelle, voulant du moins donner à son fils naturel une éducation remarquable, s'il ne pouvait lui transmettre son nom, détermina Gassendi à se charger de lui enseigner la philosophie. Le célèbre antagoniste de Descartes admit à ce cours les jeunes Bernier, Poquelin et Hesnaut: ils se montrèrent dignes d'un tel maître. Gassendi leur enseigna la philosophie d'Épicure, « qui, bien que aussi fausse » que les autres, a dit Voltaire, avait du moins plus de méthode et plus de vraisemblance que » celle de l'école, et n'en avait pas la barbarie '. » Ces deux derniers partagèrent l'admiration de leur professeur pour Lucrèce, et entreprirent dans la suite d'en faire passer les beautés dans notre

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1. Grimarest, p. 10 et 12. - Voltaire, Vie de Molière, 1739, p.4.-Mémoires sur la vie et les ouvrages de Molière, p. xviij. Petitot, p. 2 et 3.

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2. Voltaire, Vie de Molière, p. 6. - Mémoires sur la vie et les ouvrages de Molière, p. xviij. — Petitot. —p 3.

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