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l'on pouvait prévoir le sort du Prince jaloux. 1661. Le genre faux de la pièce et le jeu de Molière déplacé dans le sérieux justifièrent toutes les espérances de la cabale. Les sifflets du parterre forcèrent d'abord l'auteur d'abandonner le principal rôle, qu'il remplissait d'une manière peu satisfaisante. Bientôt après, la pièce ne compta plus de spectateurs'.

Mais un grand succès naît presque toujours d'un grand revers : c'est à la malheureuse tragédie de Théodore que nous devons Héraclius; Zaïre fit pardonner Éryphile : les sifflets, accompagnement ordinaire de Don Garcie, se changèrent en fanfares de gloire pour accueillir le tuteur d'Isabelle. Ce fut le 4 juin que Molière se vengea de ses ennemis par le succès de L'École des Maris (45). Cette pièce, qui, malgré les efforts des envieux, obtint d'abord les applaudissemens de Paris, fut ensuite représentée dans une réjouissance donnée par Fouquet, le 12 du même mois, dans sa magnifique terre de Vaux. La reine d'Angleterre, MONSIEUR, frère du Roi, et Henriette d'Angleterre, que ce prince venait d'épouser, y assistaient et joignirent leurs augustes suf

ouvrages

1. Nouvelles-Nouvelles, par Devisé, troisième partie, p. 227. - Grimarest, p. 42. · Mémoires sur la vie et les de Molière, p. xxv.— ·Histoire du Théatre français, t. IX, p. 13. Petitot, p. 19.

1661. frages à ceux que cette excellente comédie avait déjà su se concilier '.

Le nom du trop fameux surintendant se rattache également à un autre triomphe de Molière. Les Fácheux furent représentés le 17 août chez ce favori et cette victime de l'inconstante fortune, dans une fête à jamais mémorable. Tous les mémoires du temps' s'accordent à vanter la magnificence de la réception que fit au Roi et à toute sa cour ce Mécène financier qui avait, comme l'a fait observer l'historien de notre fabuliste, Pellisson pour premier commis, Le Nôtre pour dessinateur de ses jardins, Le Brun pour décorateur de ses palais, Molière pour composer ses divertissemens, La Fontaine pour poète ordinaire 3.

Mazarin n'était plus, et sa mort avait ouvert un vaste champ à toutes les ambitions. Fouquet. aspirant à la succession de ce ministre, avait sur ses rivaux la supériorité que donne une immense fortune. Pour mettre dans tout son jour ce titre au portefeuille, le surintendant voulut recevoir son roi dans une fête qui étalât à ses yeux tous les brillans prestiges des arts.

1. Muse historique de Loret, du 30 octobre 166c.

2. Entre autres les Mémoires de mademoiselle de Montpensier, t. V, p. 161, et ceux de Choisy, p. 167.

3. Histoire de la Vie et des ouvrages de La Fontaine, par M. Walckenaer, 3o édit., p. 32.

Pour pouvoir réunir toutes ces merveilles par 1661. un lien commun, Fouquet pria Molière de composer une comédie qui comportât de nombreux divertissemens: ils furent confiés à Beauchamp, et ne se ressentirent que peu de la précipitation avec laquelle ils avaient été ajoutés à la pièce. Le Brun interrompit un moment ses victoires d'Alexandre pour peindre les décorations théâ– trales; Torelli fut chargé de les mettre en mouvement; enfin Pellisson, sans pressentir, non plus que Fouquet, l'orage qui menaçait leurs têtes, composa le prologue que débita la naïade Béjart, morceau remarquable par l'élégance et la pureté du style, et qui aurait pu sauver son auteur, si Louis XIV eût regardé ses flatteries comme autant de preuves de son innocence.

Le charme et l'admirable effet que l'on devait attendre de la réunion de tant de talens divers. furent encore surpassés par l'émulation que la présence de Louis XIV communiqua aux artistes. La grossesse de la Reine l'empêcha d'accompagner son époux; mais un grand nombre de seigneurs, de princes, MONSIEUR, MADAME, et la Reine-mère, assistaient également à cette fête. La Fontaine, qui s'y trouvait, nous en a laissé le récit dans une lettre adressée à M. de Maucroix'.

1. Lettre à M. de Maucroix, du 22 août 1661; dans les OEuvres de La Fontaine, Lefèvre, 1823, t. VI, p. 402.

1661.

On se promena d'abord dans le parc, au milieu des jets d'eau et des cascades qui jaillissaient de toute part. Bientôt après, on se rendit dans la salle où était servi un repas digne de l'Amphitryon et des conviés. On gagna ensuite une allée de sapins où le théâtre se trouvait dressé.

Molière nous apprend lui-même, dans son avertissement, que « d'abord que la toile fut le»vée, il parut sur le théâtre en habit de ville, et, » s'adressant au Roi, avec le visage d'un homme surpris, fit des excuses sur ce qu'il se trouvait >> là seul et manquait de temps et d'acteurs pour » donner à Sa Majesté le divertissement qu'elle >> semblait attendre. » En même temps, au milieu de vingt jets d'eau naturels, un rocher se changea en une coquille, d'où sortit bientôt après la naïade Béjart, chargée de débiter le prologue de Pellisson. Cette coquille fut une des merveilles qui charmèrent le plus les spectateurs. La Fontaine ne l'oublie pas dans son récit, et elle devint le sujet de plusieurs chansons, dont une se terminait ainsi :

Peut-on voir nymphe plus gentille

Qu'était Béjart l'autre jour?
Lorsqu'on vit ouvrir sa coquille,
Tout le monde disait à l'entour,
Lorsqu'on vit ouvrir sa coquille ·

Voici la mère d'Amour 1.

1. Recueil manuscrit de Chansons historiques et critiques,

Les Fácheux, rendus avec un parfait ensem- 1661. ble, reçurent de fréquentes marques d'approbation. L'esprit et l'art dont l'auteur avait fait preuve firent pardonner ce genre, alors tout nouveau, de pièces à tiroir. La Fontaine, dans sa lettre déjà citée, dit de l'œuvre de son ami:

C'est un ouvrage de Molière,
Cet écrivain, par sa manière,
Charme à présent toute la cour.

J'en suis ravi, car c'est mon homme.
Te souvient-il bien qu'autrefois

Nous avons conclu d'une voix
Qu'il allait ramener en France

Le bon goût et l'air de Térence ?
Plaute n'est plus qu'un plat bouffon,
Et jamais il ne fit si bon

Se trouver à la comédie;

Car ne pense pas qu'on y rie
De maint trait jadis admiré,
Et bon in illo tempore.

Nous avons changé de méthode;
Jodelet n'est plus à la mode,
Et maintenant il ne faut pas
Quitter la nature d'un pas.

Nous voyons encore dans l'avertissement de Molière que « l'intention était aussi de donner un >> ballet; mais, comme il n'y avait qu'un petit

in-folio, t. IV, p. 285, cité dans les OEuvres de La Fontaine, Lefèvre, 1823, t. VI, p. 507, note.

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