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avait rien laissé à faire de ce côté. Madame de 1661. Sévigné, dans ses lettres, s'égaie souvent à ses dépens, et fait plus d'une fois allusion à une réponse qui le fait connaître tout entier. Il était couché dans une même chambre avec plusieurs de ses amis; il se mit, pendant la nuit, à parler très-haut à l'un d'eux. Un autre, plus désireux de reposer que de l'entendre, lui dit : Eh! morbleu, tais-toi; tu m'empêches de dormir. Est-ce que je te parle, à toi, lui répondit le naïf M. de Soyecourt '.

Nous avons dit que cette scène du chasseur avait été ajoutée à la pièce en vingt-quatre heures. La pièce elle-même, ainsi que nous l'apprend Molière dans son avertissement, fut conçue, faite, apprise et représentée en quinze jours. Rien ne prouve mieux combien Grimarest était mal instruit lorsqu'il disait que Molière composait difficilement; et combien au contraire Boileau, qui du reste ne flatta jamais son ami, était fondé à le qualifier de

Rare et sublime esprit, dont la fertile veine
Ignore, en écrivant, le travail et la peine, (48)

Craignant cependant de manquer de temps,

1 Lettres de madame de Sévigné, édit. de M. de Saint-Surin. Voir les lettres des 29 novembre 1679 et 9 juin 1680.

1661. notre auteur avait prié Chapelle de composer la scène du pédant Caritidès. Les envieux de Molière ne manquèrent pas d'attribuer à son ami le succès de la pièce; celui-ci ne s'en défendit que faiblement, « comme ces jeunes gens, a dit » Chamfort, qui, soupçonnés d'être bien reçus >> par une jolie femme, paraissent, dans leur dé» saveu même, vous remercier d'une opinion si » flatteuse et n'aspirer en effet qu'au mérite de la >> discrétion.. >> Boileau fut alors chargé par le véritable auteur de dire à Chapelle que, s'il ne démentait pas promptement les bruits que l'on répandait contre lui, Molière se verrait forcé de montrer, à qui la voudrait voir, la scène que celui-ci lui avait apportée et qu'il avait été obligé de refaire entièrement. Nous n'avons pas besoin de dire que Chapelle consentit alors à rompre le silence (49).

1

Si plus d'un trait des Fácheux fait reconnaître le poète comique, il est une scène qui décèle le poète philosophe. Molière, concevant les services que l'auteur dramatique peut rendre à la société, seconda dans cette pièce les efforts de son roi pour abolir la barbare coutume du duel. Les édits de Henri IV, de Louis XIII, de Louis XIV n'a

1. Bolæana, p. 95 ct 96.—Recréations littéraires, par CizeronRival, p. 21.

vaient pu détourner les Français de s'égorger pour 1661. un mot équivoque, ou même de se charger de la vengeance d'un tiers; notre auteur essaya de proscrire par le ridicule ce préjugé qui avait résisté aux lois, en faisant, dans ses Fácheux, refuser un duel par un homme d'une valeur reconnue. « Cet exemple, dit l'auteur de l'Éloge de Molière, n'apprendra-t-il point aux poètes quel emploi ils » peuvent faire de leurs talens, et à l'autorité quel » usage elle peut faire du génie? »

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Que de regrets excite l'avertissement placé à la tête de cette production! « Le temps viendra, y » dit Molière, de faire imprimer mes remarques » sur les pièces que j'aurai faites. » Une mort prématurée l'empêcha d'exécuter ce travail, qui, certes, eût pu servir de poétique à la comédie. Peut-être nous eût-il révélé le secret de son art, cet immortel génie qui, depuis un siècle et demi, est resté sans rival, comme il avait été sans modèle.

1 Les Fácheux, act. I, sc. 10.

LIVRE SECOND.

1662-1667.

mm

J'ai vu beaucoup d'hymens, aucuns d'eux ne me tentent;
Cependant des humains presque les quatre parts
S'exposent hardiment au plus grand des hasards;
Les quatre parts aussi des humains se repentent.
LA FONTAINE.

1662.

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« ELLE a les yeux petits. -Cela est vrai; elle a » les yeux petits, mais elle les a pleins de feu, les

plus brillans, les plus perçans du monde, les

plus touchans qu'on puisse voir. - Elle a la bou» che grande. Oui; mais on y voit des grâces qu'on ne voit point aux autres bouches; et cette >> bouche, en la voyant, inspire des desirs; elle » est la plus attrayante, la plus amoureuse du » monde. Pour sa taille; elle n'est pas grande. -Non; mais elle est aisée et bien prise. — Elle » affecte une nonchalance dans son parler et dans >> ses actions...Il est vrai, mais elle a grâce à tout >> cela; et ses manières sont engageantes, ont je >> ne sais quel charme à s'insinuer dans les cœurs. -Pour de l'esprit.... — Ah! elle en a, du plus » fin, du plus délicat. -Sa conversation... Sa

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>> conversation est charmante.

Mais, enfin, 1662.

>> elle est capricieuse autant que personne du

>> monde.

- Qui, elle est capricieuse, j'en de-

» meure d'accord; mais tout sied bien aux belles; >> on souffre tout des belles. »

Ce portrait dialogué, qui semble n'être qu'une paraphrase du vers charmant de La Fontaine

Et la grâce plus belle encor que la beauté,

est celui de la jeune Béjart, dont nous avons rapporté la naissance à la date de 1645, dessiné par un mari toujours amant '(1).

Confiée de bonne heure aux soins de Maceleine Béjart, sa sœur aînée, Armande avait grandi sous les yeux de Molière. Ses grâces enfantines et son esprit naturel avaient d'abord excité l'intérêt de celui-ci; mais, à mesure que les attraits d'Armande se développèrent, les sentimens de Molière changèrent de nature; et ce qui n'était d'abord qu'une touchante bienveillance et une amitié protectrice acquit bientôt le caractère de l'amour. Rien toutefois ne contribua plus à nourrir cette flamme que la reconnaissance de cette jeune fille dont il prenait souvent la défense contre sa sœur aînée. Et comment, aveuglé par sa

1 Le Bourgeois gentilhomme, acte III, sc. 9. — Récréations littéraires, par Cizeron-Rival, p. 15.

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