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pouvant résister au crève-cœur de voir le public y 1662. applaudir, leva d'abord les épaules de pitié ; mais bientôt, emporté par son jaloux dépit, il s'écria, en s'adressant au parterre : « Ris donc, parterre; » ris donc. » La Critique de l'École des Femmes a immortalisé cette plaisante boutade 1.

Un nommé De La Croix, dans une brochure in- 1663. titulée La Guerre comique, répondit à quelques unes des critiques que l'envie avait dictées aux ennemis de Molière. Boileau lui adressa aussi, pour l'en consoler, ou plutôt pour l'en féliciter, les stances suivantes, qui, si elles n'ajoutent rien à la réputation de leur auteur comme poète, lui assuraient dès lors celle de juge éclairé :

En vain mille jaloux esprits,
Molière, osent avec mépris
Censurer ton plus bel ouvrage;
Sa charmante naïveté

S'en va pour jamais d'âge en âge
Divertir la postérité.

Que tu ris agréablement !
Que tu badines savamment!
Celui qui sut vaincre Numance,
Qui mit Carthage sous sa loi,
Jadis, sous le nom de Térence,

Sut-il mieux badiner que toi?

1. La Critique de l'École des Femmes, sc. VI. - · OEuvres de

Molière, avec les remarques de Bret, 1773, t. II, p. 297.

1663.

Ta muse avec utilité

Dit plaisamment la vérité;
Chacun profite à ton École :

Tout en est beau, tout en est bon;
Et ta plus burlesque parole
Vaut souvent un docte sermon.

Laisse gronder tes envieux :

Ils ont beau crier en tous lieux
Qu'en vain tu charmes le vulgaire,
Que tes vers n'ont rien de plaisant.
Si tu savais un peu moins plaire,
Tu ne leur déplairais pas tant.

Non content d'avoir pour lui le suffrage des gens
de goût et des spectateurs impartiaux, Molière
voulut encore mettre les rieurs de son côté. Dans
sa préface de l'École des Femmes, il avait me-
nacé ses ennemis de faire rire à leurs dépens;
il tint parole dans la Critique de l'École des
Femmes. Il s'attacha à y faire ressortir le ridicule
des accusations portées contre la pièce, et leur
évidente mauvaise foi. La tâche était facile; mais
ce qui ne l'était pas autant, c'était de jeter quelque
intérêt dans une discussion toute personnelle.
Il eut le talent de ne mettre que de l'esprit là
où tout autre n'eût mis que de l'amour-propre.

Molière, dans cette petite pièce, fait allusion au déplaisir qu'il avait à prendre part aux conversations de salons et au mécompte que cette taciturnité faisait éprouver aux gens qui l'invitaient par curiosité. « Je me souviens toujours, dit Élise,

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» du soir que Célimène eut envie de voir Damon, 1663. » sur la réputation qu'on lui donne et les choses » que le public a vues de lui. Vous connaissez » l'homme et sa naturelle paresse à soutenir la » conversation; elle l'avait invité comme bel esprit, et jamais il ne parut si sot parmi une » douzaine de gens à qui elle avait fait fête de » lui, et qui le regardaient avec de grands yeux, >> comme une personne qui ne devait pas être >> faite comme les autres. Ils pensaient tous qu'il » était là pour défrayer la compagnie de bons >> mots; que.chaque parole qui sortait de sa bouche devait être extraordinaire; qu'il devait faire >> des impromptus sur tout ce qu'on disait, et ne » demander à boire qu'avec une pointe; mais il » les trompa fort par son silence. » Le génie et le besoin d'observer expliquent ce silence habituel qui lui avait fait donner, par Boileau, le surnom de Contemplateur. Les biographes de La Fontaine rapportent le désappointement tout semblable d'un Amphitryon du fabuliste ; et l'abbé de Bellegarde a raconté plus d'une fois qu'un de ses amis, qui s'était trouvé presque tous les jours à la même table que Corneille, n'apprit qu'au bout de six mois le nom de son illustre commensal'.

1. La Critique de l'École des Femmes, sc. II.—Préface de

1663.

Les ennemis de Molière sentirent que le succès de la Critique avait gravement compromis leur cause; aussi un des plus acharnés, Devisé, dans l'espoir de paralyser l'effet de ce charmant plaidoyer, fit-il paraître une rapsodie intitulée, Zélinde ou la Véritable critique de l'École des Femmes, et la critique de la critique. Boursault, porté par de perfides conseils à se reconnaître dans M. Lysidas de la pièce de Molière, ne voulut pas non plus garder le silence, de peur d'avoir l'air de se tenir pour battu. Bien que sa tentative n'ait pas été tout-à-fait aussi malheureuse que celle de Devisé, l'oubli dans lequel son Portrait du Peintre ou la Contre-critique de l'École des Femmes, était déjà tombé peu de temps après son apparition, ne servit pas à le dédommager des ridicules que Molière imprima ensuite à son nom. On ne peut guère citer comme un peu plaisans que deux passages de cette comédie. L'un où un auteur dit, en feignant de vouloir défendre l'École des Femmes:

Est-il rien qui ne plaise

Dans ce que dit Arnolphe et la fille niaise?

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l'édition des OEuvres de Molière de 1682 (par La Grange).Bolæana, p. 51.- Récréations littéraires, par Cizeron-Rival, P. 17. · Histoire de la Vie et des ouvrages de La Fontaine, par M. Walckenaer, 3°. édit. p. 28 et 29. - Mémoires sur Molière faisant partie de la collection des Mémoires sur l'Art dramatique, p. xxj.

Rien de plus innocent se peut-il faire voir?
Il arrive des champs et désire savoir

1

Si, durant son absence, elle s'est bien portée:
<«< Hors les puces qui m'ont la nuit inquiétée 1, »
Répond Agnès. Voyez quelle adresse a l'auteur!
Comme il sait finement réveiller l'auditeur!
De peur que le sommeil ne se rendît son maître
Jamais plus à propos vit-on puces paraître?
D'aucun trait plus galant se peut-on souvenir?
Et ne dormait-on pas s'il n'en eût fait venir?

L'autre, où Dorante, marquis ridicule, dit en parlant de Molière :

Je soutiens, sans l'aimer, quoi que l'envie oppose,
Que sa pièce tragique est une belle chose.

Les autres personnages se récriant sur l'épithète
de tragique appliquée à l'École des Femmes, Do-
rante répond :

Mais je sais le théâtre, et j'en lis la Pratique 2;

Quand la scène est sanglante une pièce est tragique :
Dans celle que je dis, le petit chat est mort3,

DAMIS.

Quoi! le trépas d'un chat ensanglante la scène ?

AMARANTE.

Dans une tragédie un prince meurt, un roi.

DORANTE.

« Nous sommes tous mortels, et chacun est pour soi 4 ».

1. Vers de l'École des Femmes, act. I, sc. 4.

2. La Pratique du Théâtre, par Hédelin, abbé d'Aubignac. 3. Hémistiche de l'École des Femmes, act. II, sc. 6.

4. Ibid.

1663.

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