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tion, sur la médiation visible de la Vérité, qui, selon l'expression de Bossuet, est devenue personnellement résidante parmi les hommes; et c'est à cette fin qu'il a établi une Église dans la parole de laquelle sa doctrine est incarnée, comme sa grâce l'est dans les sacrements.

C'est ce qui fait qu'il n'y a de vrai christianisme que dans le catholicisme, parce que le catholicisme porte tout entier dans l'enseignement de sa doctrine, dans l'administration des sacrements, et jusque dans son culte et ses cérémonies, sur des relations du même genre, et qu'il est dans son ensemble comme un magnifique rayonnement de l'incarnation; tandis que le protestantisme, en abstrayant le christianisme, en lui retranchant toutes ses relations sensibles, en a fait une inconséquence dissolvante qui, de proche en proche, a gagné jusqu'au principe, jusqu'au dogme de l'incarnation, lequel expiré dans l'isolement et s'est évanoui dans le vide, ne laissant après lui que le socinianisme, que le déisme, où on devait aboutir par là nécessairement.

Les sacrements sont donc comme les organes divins de l'incarnation; c'est par eux que l'incarnation divine en Jésus-Christ se particularise en chacun de nous, et que tous les fidèles deviennent, avec leur divin médiateur, comme un seul corps mystique, où il vit en eux et eux en lui.

C'est ainsi que l'institution des sacrements se justifie par des raisons aussi fortes que nombreuses, et que tout concourt à nous découvrir dans le christianisme bien étudié et bien compris une philosophie transcendante.

IV. Si de cette étude sur le principe des sacrements nous descendons à celle des divers sacrements eux-mêmes, nous retrouverons la même sagesse et la même providence.

Les sacrements sont au nombre de sept; ils ont été disposés le long de la route de la vie, de manière à s'emparer de toutes ses périodes, à présider à toutes ses évolutions.

L'homme naît à la vie de la chair en entrant dans le monde, à la vie de l'intelligence et de la volonté en entrant dans l'adolescence, à la vie sociale en entrant dans l'âge mûr, et enfin à la vie éternelle en mourant.

Indépendamment de ces quatre périodes de vie, on peut dire qu'à partir de la seconde il renaît ou peut renaître chaque jour par l'action répétée de sa liberté sur son perfectionnement moral.

Les sept sacrements correspondent de la manière la plus admirable à ces divers états de notre existence.

- Le Baptême est la porte par laquelle on entre dans la société chrétienne; il nous lave devant Dieu du péché originel, nous revêt d'innocence comme d'une robe blanche, et nous fait passer de la famille d'Adam à celle de Jésus-Christ. Il dépose dans notre âme un levain de grâce qui fermente en secret, se développe avec notre raison et notre volonté, et tend à neutraliser le vieux levain de la concupiscence qui est dans notre chair, et qui doit soulever plus tard tant de désordres.

-

Le second âge, celui de l'adolescence, amène avec lui la fougue des passions et l'exercice de notre volonté. C'est l'âge critique et ordinairement décisif dans la vie de l'homme. Jusque-là il n'a fait que préluder à ses destinées : elles ont été dans les mains d'autrui et vont passer dans ses propres mains. Époque terrible et fatale à la vertu, où la barrière s'ouvre, où le combat commence, où la vie et la mort entrent dans un affreux duel! — A ce moment solennel la Religion clirétienne intervient une seconde fois, pour confirmer la grâce du baptême, pour oindre le jeune athlète, pour le marquer au front du signe du salut qui doit le distinguer dans la mêlée, et pour lui infliger sur la joue, avec le signe de l'affront, le courage à le supporter jusqu'à la mort pour la sainte cause du devoir où il est enrôlé.

Mais ce n'est pas assez : si la Confirmation donne des armes et prépare à la lutte, elle ne rend pas invulnérable, elle nous laisse courir des chances mortelles, où plus d'une fois nous pourrons faillir et recevoir des blessures qui nous mettront hors de combat. Dans cette prévision, la Religion chrétienne nous fait accompagner, à partir de ce moment, par deux sacrements qui, à la différence de tous les autres, peuvent se recevoir souvent, et dont l'un est comme le vulnéraire, et l'autre le cordial de l'âme. Je veux parler de la Confession et de l'Eucharistie, dont nous ferons dans un instant l'objet d'un examen particulier.

- Arrive l'âge mûr, l'âge social, où la vie, jusque-là agitée et hésitante, s'assied, se fixe et peut racheter encore bien des années de dissipation et de scandale par des années de repentir et d'édification. L'homme était conduit dans le premier âge; il a dû se conduire dans le second; dans ce troisième il va conduire. Deux états s'offrent à son choix, tous deux grands, tous deux saints, tous deux dignes d'intéresser la Religion aux nouveaux besoins qu'ils vont faire naître; tous deux enfin, quoique opposés en apparence, unis par de profondes analogies.

Entrer, par le Mariage, dans la chaîne des générations, et transmettre le flambeau de la vie; former de deux existences une seule, et de cette seule existence en tirer plusieurs; accomplir les augustes fins de la nature, et s'associer en quelque sorte à la grande œuvre de la création, et non-sculement de la création physique, mais de la création morale, dont l'action autour de soi est si féconde pour le mal ou pour le bien, et dont les fins dans tous les cas sont éternelles; être époux, être auteur de l'existence! voilà le premier état, dans l'ordre de la nature, pour lequel la Religion devait réserver un secours particulier. L'union des sexes, cette force aveugle qui dans les règnes inférieurs sème les générations, et se dissout avec l'impulsion physique qui la détermine, est élevée dans l'homme à la dignité de contrat social, et devient l'œuvre de la liberté, de la réflexion, du sentiment éclairé par la pensée. La Religion l'élève encore davantage, et la fait monter à la hauteur de sacrement. Dieu même y intervient avec ses grâces et en fait un acte non-seulement licite, non-seulement noble, mais saint, où lui-même vient prendre part, apporter la dot invisible des vertus, et

stipuler pour nos intérêts éternels et pour sa gloire. Le sacrement de Mariage répond ainsi admirablement aux instincts de la nature, en leur imprimant un cachet de dignité et de sanctification qui en purge tous les désordres, et fait tourner au plus grand bien de l'homme l'agent le plus terrible, et, ce semble, le plus immédiat de la concupiscence.

L'autre état de vie, pour lequel la Religion a institué un sacrement, est celui du célibat religieux, du sacerdoce état si relevé, si saint, si pur, qu'on peut dire qu'il tient plus de l'ange que de l'homme, puisqu'il ne laisse un corps à celui-ci que pour le consacrer au service de Dieu et des hommes, et en faire un médiateur des grâces célestes, et en quelque sorte un sacrement parmi ses frères. Les raisons de cet admirable état touchent à plusieurs ordres d'idées qu'il serait trop long de développer ici. Nous dirons seulement qu'il a un but éminemment social, et facile à saisir.

Le mariage concentre les ressources et la sollicitude de l'homme dans la famille dont il devient le chef, et à laquelle il se doit d'abord tout entier. Sous ce rapport, cet état est parfait pour la famille qu'il crée, et qu'il alimente tant que la fortune sourit. Mais pour les autres familles en débris, comme il y en a tant sur cette terre, pour tous ces enfants sans père, ces vieillards sans enfants, ces veuves sans appui, ces familles entières même qui, bien que pourvues de tous leurs membres, sont comme orphelines de la Providence, et enfin jusqu'au sein de l'opulence; pour toutes ces angoisses d'autant plus poignantes qu'elles sont plus secrètes, et ces maux d'autant plus affreux qu'ils sont recouverts de l'apparence de tous les biens; pour tous les déshérités de la fortune et du bonheur, quels qu'ils soient enfin, le mariage a quelque chose d'exclusif, de personnel, de sourd, qui ne voit souvent dans toutes ces misères, gémissantes autour de son foyer, qu'un sujet de crainte de d'anxiété pour lui-même, et qui lui fait resserrer d'autant plus ses ressources qu'il en voit les autres dépourvus. - Le sacerdoce chrétien vient précisément faire équilibre à cet état par le célibat religieux. Il balance la force absorbante du mariage par la force expansive de l'abnégation et de la charité. Il ne retire du mariage et de la famille certaines existences et certaines fortunes que pour les réserver à ceux qui sout privés des ressources et des douceurs du mariage et de la famille; et pendant que le mariage fonde et propage, il vient après lui réparer et soutenir. Intercesseur des pauvres auprès des riches, aumônier des riches envers les pauvres, consolateur et confident de tous, et en quelque sorte messager de la Providence, n'étant enfin qu'à tous pour être tous à tous, il jette, entre les divers membres de la famille humaine isolés par leurs intérêts respectifs, les doux liens de la fraternité, de la charité, et les resserre d'autant plus qu'il les rattache au centre de toute charité, au cœur même de Jésus-Christ. Tel est le but éminemment social du célibat religieux dans le christianisme.

On peut ajouter, en passant à un autre ordre d'idées, que le prêtre chrétien, pour être le digne organe de l'autorité et de la sainteté divine, pour

être au-dessus des hommes, doit se montrer en lui-même au-dessus de l'homme; et c'est ce sentiment qui, chez presque tous les peuples de l'univers, a fait considérer la chasteté comme la première condition du sacerdoce. Dans le christianisme, cette condition devenait d'autant plus étroite que cette Religion est le spiritualisme par excellence, et qu'elle tend par tous ses dogmes, par toute sa morale, par toutes ses pratiques, à former en nous l'homme spirituel, c'est-à-dire la prééminence de l'esprit sur la matière, de l'âme sur les sens.

Ces considérations, tout incomplètes qu'elles sont, suffisent en ce moment pour faire sentir l'éminence du sacerdoce chrétien, et la nécessité d'un sacrement spécial pour l'investir de toutes les grâces qui doivent le sanctifier.

Tel est l'objet du sacrement de l'Ordre. Il perpétue au sein de l'Église la mission apostolique qu'elle reçut de Jésus-Christ, il transmet et communique à travers les âges le feu sacré dont il l'anima, et sous ce rapport remplit dans la société religieuse les mêmes fins que le mariage dans la société civile. En marquant le prêtre d'un sceau indélébile, il l'investit de secours qui, joints à ceux qui rejaillissent sur lui de l'administration des autres sacrements, et surtout à ceux qu'il puise lui-même directement tous les jours dans celui de nos autels, l'élèvent ordinairement à un degré de sainteté qui commande nos respects, et, alors même qu'il se montrerait infidèle à son caractère, le constituent, malgré son indignité, le dispensateur des grâces les plus abondantes et les plus pures, parce que les grâces ne sont pas attachées aux ministres, mais aux sacrements.

- Enfin la vie de l'homme, quel que soit l'état qu'il ait embrassé, quel que soit le chemin dans lequel il ait marché, du crime ou de la vertu, de la prospérité ou de l'infortune, aboutit à la mort, qui est comme un étroit et sombre défilé par lequel tous les enfants d'Adam sont condamnés à passer pour se rendre au tribunal de Dieu et commencer leurs destinées éternelles. A ce moment suprême où l'homme va cesser d'agir, et où tout ce qu'il a fait dans la vie va lui être imputé, sans qu'il puisse revenir sur ses pas pour rien racheter; où le compte de ses actions, quelles qu'elles soient, va être arrêté pour toujours, la Religion chrétienne intervient par un dernier sacrement, et, de même que par le Baptême elle nous avait introduit une première fois dans la vie de la grâce, par l'Extrême-Onction elle nous y rappelle, et nous y fait rentrer une dernière fois aux approches de la

mort.

L'Extrême-Onction est comme le Baptême de l'autre vie; seulement il est placé en deçà, parce qu'au delà c'est la justice qui occupe l'entrée. Elle nous fait mourir au péché avant que nous ne mourions à la nature; elle ferme successivement les portes de la concupiscence, et fait rentrer la grâce du pardon par où s'était perdue celle de l'innocence: Par cette sainte onction, dit le prêtre, que le Seigneur vous pardonne tout ce que vous avez fait de mal par la vue, par l'ouïe, par l'odorat, par le goût, ou par le toucher;

et avec ces paroles, avec l'onction qui les accompagne, et les prières sublimes qui les suivent, la vie de la grâce se ranime dans l'âme fidèle, et elle y opère souvent une joie et une paix si sensibles, que le corps lui-même y trouve un principe de guérison, et que dans tous les cas l'âme en bénit et en aime les souffrances, plus quelquefois que les criminels plaisirs dont elles sont l'expiation.

Les sept sacrements sont ainsi distribués de manière à saisir toutes les parties nobles de la vie, et à induire dans notre âme des grâces spéciales en rapport avec ses divers états.

Sans doute la grâce dans son principe est la même, c'est toujours la vertu de la passion de Jésus-Christ; mais elle nous est communiquée par les sacrements dans une direction conforme à nos besoins; elle se spécialise dans ses effets et se modèle en quelque sorte sur nos faiblesses, pour se mettre à la portée de notre volonté, entrer dans nos dispositions les plus diverses, et nous ramener à Dieu.

Qui réfléchira sur la faiblesse humaine, sur sa misère profonde, comprendra aussi combien est profonde la sagesse, combien est divine la bonté d'une Religion qui sait si bien arriver à nous, se faire nous, sans cesser d'être la perfection même de Dieu; et, ménageant à la fois son secours et notre liberté, son action divine et notre foi, sa sublimité et notre bassesse, atteindre à ses fins avec une force invincible, par des moyens dont rien n'égale la condescendance et la douceur.

Mais, pour compléter cette étude, nous devons revenir sur deux sacrements qui sont plus particulièrement le nerf et l'âme du christianisme : la Confession et l'Eucharistie.

CHAPITRE XVI.

DE LA CONFESSION.

Si entre tous les dogmes et pratiques du christianisme on veut savoir quels sont les plus admirables, on n'a besoin que de rechercher quels ont été les plus insultés : l'écume honore le frein.

A ce titre nous devons nous attendre à trouver dans les deux sacrements proposés un beau sujet d'étude et la confirmation de cette autre vérité générale : Que c'est le propre de tout ce qui est profondément sage et vrai, de paraître superficiellement incompréhensible et contestable, précisément parce que les raisons en sont profondes.

Occupons-nous d'abord de la confession.

<< Il n'y a pas de dogme catholique qui n'ait ses racines dans les derniè>> res profondeurs de la nature humaine, qui ne soit appuyé sur quelque » sentiment inné comme notre propre existence, et par conséquent sur

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