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» de l'immortalité de l'âme, qui puisse être présentée aux hommes : Quel » est le meilleur des gouvernements? et plus on l'étudiera, plus on verra » que cette croyance à la présence réelle s'étend non-seulement sur tous » les gouvernements, mais sur toutes les considérations humaines; qu'elle » en est comme le diapason, et qu'elle est, par rapport au monde moral, » ce qu'est le soleil par rapport au monde physique: Illuminans omnes » homines (1). »

CHAPITRE XVIII.

DU CULTE ET DES CÉRÉMONIES.

« Le Beau est la splendeur du Vrai. »

Ce mot, qui se justifie si heureusement lui-même, semble avoir été créé pour caractériser le culte catholique. La vérité de cette réflexion ressortira davantage, si, à cette belle définition du Beau par Platon, on joint celle-ci qu'il n'eût pas désavouée, et qui est de M. de Maistre :

« Le Beau est ce qui plaît à la Vertu éclairée. »

Si c'est de ce vrai Beau qu'on peut dire qu'il est la splendeur du vrai, il faut convenir que la vérité du christianisme n'éclate pas moins dans son culte que dans ses dogmes, que dans sa morale; car c'est dans ce culte, dans les édifices, dans les chants, dans les prières et les cérémonies qui le constituent, que se trouve le plus de ce vrai beau, ce beau biblique et évangélique dont tous nos beaux-arts sont imprégnés, et qui semble être né du génie et de la vertu.

Le christianisme a scellé ainsi la parfaite alliance, la trinité sainte du Vrai, du Bon, et du Beau; il les a fondus en un seul tout indivisible; et lorsqu'on croit ne décider en lui qu'une question d'art et de goût, on se trouve décider du même coup une question de morale et de doctrine (2). Cette thèse serait féconde en riches développements. Mais au génie seul il appartenait de parler de Celui du Christianisme, et heureusement ce génie s'est rencontré. M. de Chateaubriand a mêlé sa gloire à celle de la Religion. Si ce grand écrivain a exercé une si haute influence sur son siècle, si on peut dire qu'il n'y a pas un talent remarquable de notre temps qui ne se soit éveillé au souffle de ses inspirations, c'est que lui-même les avait puisées aux hautes sources du beau catholique, et que le christianisme a été pour lui comme un orgue divin dans un temple sonore, dont le clavier harmonieux n'attendait que la main de l'artiste pour ramener la foule aux autels.

(1) S. Jean.

(2) « J'ai connu, rapporte Diderot, un peintre protestant qui avait fait un long séjour » à Rome, et qui convenait qu'il n'avait jamais vu le souverain pontife officier dans Saint-Pierre de Rome, sans devenir catholique. » (Essais sur la Peinture.)

Nous ne pouvons, après cela, que nous taire, et admirer avec tout le monde ce que nous ne saurions imiter. Nous devons du moins nous borner à quelques réflexions générales, et plus particulièrement en rapport avec la direction philosophique de nos travaux.

I. Il n'est pas besoin, ce semble, d'établir la nécessité d'un culte extérieur et sensible. Nous l'avons déjà fait en partie en exposant les motifs des sacrements.

Qui ne sait, entre autres raisons, combien la parole réagit sur la pensée, l'acte sur la volonté, l'expression sur le sentiment; si bien que nos propres pensées n'arrivent, dirait-on, à l'état distinct de conscience, qu'après avoir passé par l'état sensible, et s'être vues elles-mêmes dans leur expression? « Nier l'utilité des rites et des pratiques en matière de Religion et de morale, dit Portalis, c'est faire preuve de déraison et d'ineptie : car c'est »nier l'empire des notions sensibles sur des êtres qui ne sont pas de purs > esprits; c'est nier encore la force de l'habitude. Les rites et les pratiques > sont à la morale et aux vérités religieuses ce que les signes sont aux » idées (1). »

Si l'homme d'ailleurs doit hommage à la Divinité, ce doit être tout l'homme son imagination et ses sens, comme son esprit et son cœur. Que ferait-il de sa nature sensible, s'il ne l'employait pas au même culte? car il faut qu'il l'occupe, il ne dépend pas de lui de s'en dépouiller; elle le suit ou elle l'emporte; et ne serait-ce que pour ne pas être détourné par elle, il faut qu'il la tourne lui-même, et la fasse servir à l'objet de ses adorations. Qu'on ne dise donc pas que Dieu, étant pur esprit et lisant dans le fond des cœurs, n'a pas besoin qu'on use de signes sensibles pour lui faire parvenir l'hommage de l'intelligence. Il ne s'agit pas du besoin de Dieu dans la Religion, mais du besoin, mais du devoir de l'homme. Or, l'homme a besoin d'exprimer ce qu'il sent, de parler ce qu'il pense, pour bien le sentir même et bien le penser, surtout lorsque l'objet de ses sentiments et de ses pensées contrarie ses penchants et sa faiblesse. Il doit s'aider alors de toutes ses facultés et de ses sens eux-mêmes, pour ne pas être entraîné par eux à des choses étrangères ou même contraires; il doit les enrôler au service de Dieu avec les forces de sa pensée, comme ces révoltés ou ces lâches dont un babile général se défie, et qu'il force à se battre en les mêlant aux bons soldats.

N'oublions pas ensuite que la Religion doit unir les hommes entre eux par le lien même qui les unit à Dieu. Elle doit saisir l'humanité dans son tout comme dans ses membres, pour la consommer dans l'unité divine. I faut dès lors qu'elle revête des formes extérieures et sensibles qui réunissent les hommes entre eux, et agissent sur eux collectivement.

La prétention de certains philosophes de nos jours est de dépouiller la

(1) De l'usage et de l'abus de l'esprit philosophique, tome II, p. 162.

vérité chrétienne de ses symboles, comme ils disent, et d'élever peu à peu la raison à la contempler librement. Les poètes de cette école, ne pouvant se passer entièrement d'images, affectent de se répandre en je ne sais quel naturalisme panthéistique, où la terre et sa verdure, le ciel et ses nuages, la mer et ses flots, leur paraissent exprimer mieux la Divinité que la croix de Jésus-Christ.

Mais sans exclure le sublime langage de la création, dont nos écrivains sacrés sont du reste des interprètes bien autrement éloquents que les écrivains auxquels je fais allusion, je soutiens que s'attacher ainsi exclusivement à cet ordre naturel, c'est saper le christianisme, qui est fondé sur un ordre surnaturel, sensiblement personnifié en Jésus-Christ et son Église, et que c'est mentir à notre nature elle-même, dont la faiblesse réclame et justifie ce divin secours. Aussi un théologien protestant, Vinet, dit-il fort bien : « Je ne comprends rien au Dieu vague et insaisissable du poëte La>> martine: il n'a pas des pieds que je puisse baigner de mes larmes, des » genoux que je puisse embrasser, des yeux où je puisse lire ma grâce, une >> bouche qui puisse la prononcer; il n'est pas un homme, et j'ai besoin d'un » Dieu-homme (1). »

Le protestantisme, cependant, n'a conservé lui-même que l'abstraction de ce Dieu; et franchement, à voir ses temples, on ne dirait pas que c'est celui qu'il y adore, ni même qu'il en adore aucun. Ce sont des édifices confortables, où on est bien à son aise, mais qui, du reste, sont parfaitement vides de tout ce qui peut rappeler à l'homme sa dépendance et nourrir sa piété. C'est la maison de l'homme, et non la maison de Dieu. — A cela les protestants répondent que c'est par respect pour Dieu, que rien ne saurait représenter dignement; et ils jettent au catholicisme le reproche d'idolatrie. Mais on se demande si le respect pour Dieu peut se concevoir sans le sentiment de la faiblesse humaine, et si ce n'est pas être dépourvu de ce dernier sentiment, et par conséquent de respect pour Dieu, que de se croire naturellement assez dégagé pour se passer de tout moyen sensible de s'élever vers lui, le contempler dès ici-bas face à face, et se donner dans un corps de boue les priviléges des purs esprits?... On se demande si cette prétention à la nature immédiate de l'ange n'émane pas du même sentiment qui inspira à l'ange lui-même la prétention de s'égaler au Très-Haut; si ce n'est pas de l'idolatrie enfin, et la pire de toutes, l'idolâtrie de soi-même ?... On se demande surtout si ce n'est pas de l'inconséquence et de l'impiété au point de vue de la foi chrétienne, laquelle repose principalement sur la

(1) Essais de philosophie morale et religieuse, p. 313. — Le célèbre Niebuhr disait aussi : « Le christianisme de nos philosophes et de nos pantheistes modernes n'est plus le christianisme pour moi. Sans un Dieu personnel, sans l'individualité humaine, sans » une croyance historique, il n'y a pas de christianisme, il n'y a plus qu'une philoso » phie intellectuelle. J'ai déjå dit souvent que je ne voulais pas de Dieu métaphysique. » Je ne reconnais, quant à moi, que le Dieu de la Bible, qui est le cœur au cœur.‣ (Cité dans la Revue britannique de décembre 1840.)

nécessité d'un médiateur visible, sur le Verbe, c'est-à-dire Dieu lui-même, fait chair?...

La question de savoir de quelle manière l'homme doit adorer Dieu ne peut d'ailleurs être résolue par l'homme. Cela implique. Dieu seul doit être juge de son propre culte. Or, Dieu, même au seul point de vue naturel, nous a manifesté sa volonté, à cet égard, d'une manière incontestable.

La Religion, en effet, se compose de deux ordres de relations : les unes par lesquelles Dieu se révèle à nous, les autres par lesquelles nous acquiesçons à lui. Les premières doivent être évidemment la base des secondes. Or, les premières, même dans la nature, revêtent des formes sensibles. Ce n'est qu'à travers ses œuvres que Dieu nous apparaît : il a fait de l'univers comme un temple où ses perfections invisibles sont exprimées visiblement. Pourquoi voudrions-nous maintenant renverser cet ordre, et nous affranchir, pour lui répondre, de la loi à laquelle il s'est en quelque sorte soumis lui-même pour nous parler? Pourquoi ces mêmes créatures, ces mêmes signes sensibles, qu'il n'a pas jugés indignes de servir à la manifestation de ses attributs envers nous, ne seraient-ils plus convenables pour l'exercice de nos sentiments envers lui?... La raison qu'on oppose, que ce serait exposer l'homme à se méprendre, à substituer le signe à la réalité, le culte extérieur au culte intérieur, et à glisser dans l'idolatrie; les exemples même, quelque nombreux qu'ils soient, qu'on relèverait à l'appui de cette raison, tout cela tombe de soi-même devant notre argument. Car si ce raisonnement était absolu, et si de l'abus de la chose nous devions conclure à sa suppression, il faudrait commencer par incriminer Dieu lui-même, qui le premier nous y aurait exposés, et faire de l'outrage et de la destruction, s'il était possible, de ses plus belles œuvres, le fondement de notre adoration envers lui. Le soleil, la lune, et les étoiles, ont été un objet d'adoration pour beaucoup de peuples policés, et le sont encore de nos jours en quelques parties du monde. Il y a même, au sein de nos populations, des gens qui seraient tout portés à ce culte. Or, qui est-ce qui oserait soutenir cette absurdité, que, faute de pouvoir se défaire du soleil, de la lune, et de toute l'armée du ciel, il faut fermer les yeux pour ne pas être exposé à la tentation de les idolâtrer? Voilà pourtant les conséquences de ce puritanisme qui proscrit tout culte extérieur, par la crainte de la superstition (1). Mais le bon sens se révolte, et s'écrie: Cæli enarrant gloriam Dei, et opera manuum ejus annuntiat firmamentum! et la reconnaissance et l'amour de

(1) C'est à un protestant que nous avons emprunté la déduction de cette conséquence, qu'il fait suivre de cette réflexion : « On souffre d'être obligé de descendre à des com>paraisons aussi triviales, pour attaquer des préjugés encore aussi respectés dans un » siècle comme le nôtre. Et c'est avec ces préjugés stupides qu'on a la prétention de ⚫ professer une Religion éclairée, qui doit un jour envahir tout le monde! »> (Muller, des Beaux-Arts dans le culte des Églises réformées, p. 87.) Ces réflexions sont justes, mais infécondes; l'appel tardif que le protestantisme ferait aux beaux-arts ne saurait être entendu : nous en donnerons la raison dans un instant.

l'homme n'hésitent pas à s'emparer de ces mêmes œuvres, pour en faire les instruments de son culte envers leur auteur.

Cet argument grandit dans le christianisme, parce que dans cette Religion le Fils et l'égal de Dieu a daigné, par condescendance pour notre faiblesse, qui n'entendait plus le langage de la création, revêtir notre chair, nos sens, les ennoblir et les diviniser, et les faire entrer lui-même dans le culte qu'il a le premier rendu à son Père, pour nous apprendre, à son exemple, le moyen de le rendre à notre tour.

Ceci nous conduit à une dernière vue plus haute :

Le christianisme est la restauration de la nature humaine par le Christ. Tout ce qui entre dans la nature humaine et tout ce qui s'y rattache doit participer par voie de suite à cette restauration.

Tout se tient dans les œuvres de Dieu, depuis le chérubin jusqu'à la plante, jusqu'à la pierre. Une chaîne merveilleuse court d'anneau en anneau dans tous les degrés de la création, et les relie avec souplesse en une profonde unité. L'homme en particulier est l'anneau de jonction du monde invisible des esprits et du monde visible des corps; il touche à tous les deux, au plus bas degré de l'un, au plus haut degré de l'autre; et, sans les confondre, il les rapproche, il les relie. Composé mixte, abrégé de la terre et du ciel, il ne peut pas plus répudier l'un que l'autre; et il ne peut se déplacer, se dégrader ou s'ennoblir, sans influer dans le même sens sur le milieu dont il est le centre.

Dans l'âge d'or de ses destinées primitives, dont le souvenir a été conservé par toutes les traditions de l'univers, toute la nature lui obéissait immédiatement comme à son roi, et devait être élevée en lui à des prérogatives de spiritualité et de gloire. Mais, en se détachant de Dieu par le déréglement de sa libre volonté, l'homme entraîna le spirituel dans le charnel, et le contre-coup s'en fit sentir dans la nature entière. Celle-ci ne fut plus pour lui qu'une révoltée, et il acheva de la dénaturer en la faisant la complice de ses déréglements.

Le Réparateur de ce grand désordre, le même Verbe qui avait créé l'ordre primitif, le Christ, est venu relever ce qui était tombé. A cet effet, il a pris notre nature, c'est-à-dire notre âme, c'est-à-dire notre corps, c'est-àdire, par suite, la nature entière où ce corps se forme, et de laquelle il vit. Selon la belle expression de nos saints livres, le Sauveur a germé de la terre et plu du ciel. Aussi a-t-il souffert toutes les nécessités et toutes les dépendances de cette nature sensible, comme nous, par suite du péché qu'il venait expier. Mais, par cette expiation même, il l'a relevée, sanctifiée, réintégrée avec nous en lui, dans le rang d'où nous l'avions fait déchoir; et, dans sa transfiguration et son ascension, ce n'est pas seulement notre nature propre, mais les éléments terrestres de la nature physique dont elle se compose, qui ont commencé à jouir en lui de cette gloire dont il nous a frayé la route, et dans laquelle nous nous lèverons un jour.

Jésus-Christ a rétabli ainsi en sa personne l'humanité dans tous ses

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