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ne voir qu'un thème de fantaisie, mais qui est l'expression vivement sentie d'un cœur vrai, dans la langue naturelle d'un grand poëte.

On va en juger :

Dans le vieux temple (1) un soir j'entrai, le cœur bien las,
Et, ne pouvant prier, je soupirais: Hélas!...

Hélas! à quatorze ans mes lèvres enfantines
D'elles-mêmes s'ouvraient aux syllabes latines,

Quand j'allais, aux grands jours, blanc lévite du chœur,
Répandre devant Dieu ma corbeille et mon cœur!
Mais depuis, au courant du monde et de ses fêtes,
Emporté, j'ai suivi les pas des faux prophètes;
Complice des docteurs et des pharisiens,

J'ai blasphémé le Christ, persécuté les siens;
Quand l'émeute aux bras nus, pour la traîner au fleuve,
Arrachant une croix à sa coupole veuve,

Insultait, lapidait Dieu gisant sur le sol,

Enfant, sur les manteaux je veillais comme Paul :
Mais le doute aujourd'hui m'accable, et j'y succombe;
Mon âme fatiguée est comme la colombe

Sur les flots du déluge égarant son essor,

Et l'olivier sauveur ne fleurit pas encor.

« Mon Dieu (s'il est un Dieu), par pitié, fais-moi croire! »

Je disais tout à coup l'ombre devint plus noire,
Dans mes cheveux émus passa ce vent glacé
Qui sur le front de Job autrefois a passé;
Le vent d'hiver pleura sous le parvis sonore,
Et, pensif, je sentis que je gardais encore,
Dans un pli de mon cœur de moi-même ignoré,
Un peu de vieille foi, parfum évaporé.
Cependant mon genou, fléchi par la prière,
Se heurta contre un livre oublié sur la pierre;
Et j'entendis la voix qui parle aux cœurs élus
Murmurer dans le mien : « Prends et lis!» Et je lus;
Je lus en frémissant ces quatre chants sublimes
Dont l'auteur s'est voilé de quatre pseudonymes,
Mais où sur chaque mot le poëte, à dessein,
Imprima son génie au défaut de son seing.
Le repentir me prit, et j'y trouvai des charmes,
Et du marbre sacré la poudre but mes larmes.

(1) Saint-Étienne du Mont. (Note d'Hégésippe Moreau.)

Quand je me relevai, plus léger de remords,

Comme au dedans de moi, c'était fête au dehors :
La vitre occidentale, allumant sa rosace,
D'une langue de feu m'illumina la face;
Le couple séraphique, en extase courbé,
Avec plus de ferveur pria sur le jubé;

Et l'orgue, s'éveillant sous un doigt invisible,
D'un long et doux murmure emplit la nef paisible...

Mais bientôt dans ce monde incrédule et rieur

Je retombai du ciel; au vent extérieur
Mon front pâle et poudreux secoua son délire,

Et, l'œil humide encor, je me pris à sourire.

Nous étions restés sous l'impression pénible de ces derniers vers, lorsque, parcourant dernièrement, à la tête d'une édition posthume de ses œuvres, une noctice biographique sur Hégésippe Moreau, faite par un de ses amis intimes, M. SAINTE-MARIE MARCOTTE, nous avons lu et relu, avec un profond sentiment de satisfaction inespérée, une circonstance de sa mort, qui a tempéré pour nous l'amertume des autres détails parmi lesquels elle est rapportée, et qui prouve que le QUART D'HEURE DE DÉVOTION avait porté son fruit.

Voici le passage en son entier :

« Malade moi-même, comme je n'étais pas allé le voir à l'hôpital depuis » quelques jours, il se leva, traversa la rue par une des plus froides mati» nées de décembre, monta trois étages, et faillit tomber évanoui sur le » seuil de ma porte. Cette visite n'était-elle pas un dernier adieu? Je ne » le sais, mais j'étais comme frappé d'aveuglement je ne pouvais croire » qu'il dût mourir encore. HUIT JOURS APRÈS, IL ME DIT QU'IL AVAIT REÇU DANS » LA NUIT LES DERNIERS SACREMENTS. Notre entrevue fut silencieuse; quand » je le quittai Aimez bien ma sœur, me dit-il. Je l'embrassai, et ce fut » tout. Le lendemain, 20 décembre 1858, un homme de l'hôpital entra » chez moi, et m'annonça que le n° 12 venait de mourir. »

C'est dans la même année, c'est à quelques jours peut-être du QUART D'HEURE DE DÉVOTION, que le Dieu qu'il avait visité dans son temple vint le visiter à son tour sur le grabat de ses douleurs, et que pour lui, comme pour Gilbert, se vérifia cette sainte promesse :

« Le Seigneur viendra l'assister sur le lit de sa douleur : oui, Seigneur, >> votre main retournera son lit, pour reposer ses infirmités (1). »

Telle est l'influence régénératrice que le christianisme exerce jusque sur les âmes les plus égarées, et que les pierres mêmes de ses temples ont le pouvoir de communiquer.

(1) Dominus opem ferat illi super lectum doloris ejus: universum stratum ejus versasti in infirmitate ejus. Ps. XL, v. 4.

CHAPITRE XIX.

CONCLUSION.

C'est un langage reçu parmi les détracteurs du christianisme, et favorisé, il faut le dire, par quelques-uns de ses défenseurs, que l'autorité étant le fondement de sa doctrine, la foi aveugle est nécessairement la situation exclusive de ses disciples; que la raison n'a que faire avec lui, et que par conséquent ceux qui ne veulent pas renoncer à celle-ci sont forcés de se jeter dans les bras de la philosophie, c'est-à-dire dès lors de l'incrédulité. Cette prétention, qui fait la grande préoccupation des intelligences de nos jours, est la plus fatale et la plus perfide de toutes les erreurs.

Elle est funeste et à la Religion et à la philosophie: à la Religion, parce qu'elle lui enlève les esprits qui aspirent à la lumière; à la philosophie, parce qu'elle lui enlève les cœurs qui ont besoin de foi et comme nous avons tous besoin, quoique dans des proportions différentes, de lumière et de foi, il s'ensuit que ni la Religion ni la philosophie, ainsi présentées, ne peuvent nous satisfaire, et qu'il n'y a que le scepticisme qui triomphe de leur division.

Au nom de la vérité, au nom de l'ordre qui en dépend, j'ai voulu protester contre cette erreur.

I. Envisagée en principe, elle roule tout entière sur une équivoque. Sans doute la foi est la foi, c'est-à-dire une détermination de l'esprit sur la parole d'autrui, abstraction faite de toute vérification préalable de la chose même qui est l'objet immédiat de la croyance. Ainsi, l'enfant croit ce que lui enseigne sa mère, sur sa parole, quand bien même il ne se rendrait pas compte à lui-même de la raison de cet enseignement. Pour lui, cela est, parce que sa mère l'a dit : c'est là sa première raison. Il ne comprend pas la chose même; mais sa mère la comprend pour lui, et lui donne le résultat tout préparé de cette compréhension, je veux dire la certitude, qui est comme le lait de sa jeune intelligence. Heureuse confiance, heureuse foi, qui est le premier fondement de la raison de l'homme, et sans laquelle il ne sortirait jamais des ténèbres naturelles de l'ignorance!

Maintenant, est-ce à dire que cet enfant ne devra pas chercher à exercer sa raison sur les vérités qu'il reçoit d'abord par la foi, et à les assimiler à son intelligence par le travail de sa compréhension? N'est-il pas, au contraire, de sa vocation, et de l'intention de sa mère elle-même, qu'il pénètre ces vérités, qu'il les saisisse, et qu'il se les rende propres? Doit-il nécessairement s'abstenir de raisonner parce qu'il croit, ou cesser de croire parce qu'il s'applique à raisonner? Qui oserait le dire?... Et s'il y a cer

taines vérités, parmi celles qui lui sont enseignées, qui, trop vastes, ne puissent pas être entièrement englobées par son intelligence, mais dont il saisisse une portion plus ou moins notable, selon la force et la pénétration de celle-ci, n'est-il pas évident qu'il devra tout à la fois, à l'égard de ces vérités, croire et raisonner? que, tout en les croyant, il cherchera à les comprendre, et que, tout en parvenant à les comprendre en partie, il ne cessera pas de les croire entièrement? Il les croira toujours dans ce qu'il n'y comprendra pas, et, dans ce qu'il comprendra, il croira encore, parce que sa compréhension n'étant pas complète, et ces vérités étant indivisibles, cette compréhension ne pourra jamais être décisive, et demeurera toujours connexe à la foi.

Or, telle est la situation de l'esprit humain par rapport à la vérité divine, de la raison de l'homme par rapport à la souveraine raison : c'est celle de l'enfant par rapport à sa mère.

Cette situation est générique : nul homme, par cela seul qu'il est homme, ne peut sans folie s'émanciper de Dieu; tout homme est peuple en Religion, en ce sens que tout homme ne peut arriver par lui-même à une compréhension décisive de la vérité divine, et a besoin de foi.

Sur ce fondement commun de la foi maintenant, la compréhension viendra s'établir, surgir comme un édifice plus ou moins considérable, selon la diversité des intelligences; et c'est ici qu'il est permis de distinguer le peuple et les esprits supérieurs, les siècles de foi naïve, et les temps philosophiques. Les uns (et c'est la grande majorité des hommes) demeureront toujours plus ou moins à l'état de foi naïve, ou n'édifieront sur elle que des édifices d'intelligence humbles comme leur esprit, ce seront les simples de cœur; les autres bâtiront de riches palais, et tireront de la foi, comme d'une riche carrière, comme d'une mine profonde et inépuisable, du marbre, de l'or, des pierres précieuses, qui formeront un temple, et ce seront les philosophes.

Loin que la foi retienne ce travail de l'intelligence, elle l'y pousse en lui en donnant la matière, comme un germe dont la nature est de fermenter, de se développer, et de fleurir.

La foi n'est donc pas l'ennemie de la raison, puisqu'elle est la raison même en germe. Tout croyant, fût-il un enfant, fût-il un pâtre, renferme un grand philosophe; et tout vrai philosophe, fût-il un Leibnitz ou un Pascal, n'est qu'un croyant développé. Ainsi, le philosophe n'en sait pas plus, et le simple croyant en sait autant. La différence n'est que dans le degré de compréhension. Admirable élasticité de la foi chrétienne, qui se fait toute à tous sans cesser d'être identique; qui se met à la mesure de la plus étroite intelligence, se dilate avec elle, et la presse pour étendre sa capacité et la remplir en même temps; qui non-seulement satisfait la raison, mais qui fait la raison même; qui enfin se réduit dans un catéchisme jusqu'à entrer dans la tête d'un petit enfant, et s'élargit dans la tête de Bossuet jusqu'aux Élévations sur les mystères!

Quelle erreur monstrueuse n'est-ce donc pas que celle qui oppose la raison à la foi, c'est-à-dire la fleur à la racine! Erreur funeste à la Religion, parce qu'elle lui enlève cette fleur de la raison; erreur plus funeste à la philosophie, parce qu'elle lui enlève cette racine de la foi.

Toute philosophie en effet, même dans la bouche des incrédules, n'est de près ou de loin qu'un germe de foi développé. Ce développement est essentiellement imputable à ce germe, non-seulement dans son origine, mais dans sa conservation et son progrès; et pour savoir très-bien par exemple, et par de belles démonstrations, qu'il y a un Dieu créateur et rémunérateur, il n'est pas moins nécessaire qu'il y ait une autorité enseignante qui continue à dicter cette vérité au monde, comme il est nécessaire pour un arbre en feuille, et même en fleur, et même en fruit, de tenir toujours à la terre par des racines.

Vous voulez déraciner la philosophie du sein de la Religion, parce que, dites-vous, elle porte d'elle-même des fruits de vérité, et que la raison toute seule suffit à leur démonstration: enfants! qui coupez un rameau de l'arbre, et qui vous vantez des feuilles et des fleurs qui le décorent! attendez, et vous allez voir ces fleurs se faner, ces feuilles languir, et ce rameau n'être plus qu'un bois sec et cassant, qui ne laissera dans vos mains que des débris et de la poussière. Tel est, en effet, le sort inévitable de la philosophie, quand elle se détache de la Religion. Le jour où elle s'en sépare, elle se fonde sur la suffisance des vérités qu'elle emporte avec elle, et dont elle se croit maîtresse. Le lendemain, elle est la première à mettre en question ces mêmes vérités, à les décomposer une à une, à les dissiper dans le scepticisme, jusqu'à ne garder plus rien, je ne dis pas de la Religion, mais de la philosophie, détruisant par là elle-même, de ses propres mains, le motif de leur séparation.

Loin donc que la foi soit exclusive de l'exercice de la raison, elle est le principe générateur et conservateur de la raison même; et si nous voulons rester philosophes, restons croyants.

II. Cette capitale vérité, si concevable et si démonstrative, comme nous venons de le voir, en théorie, est hautement confirmée par les faits. Elle l'est doublement.

D'abord, par le spectacle de la déperdition de vérité religieuse et morale qui a suivi l'émancipation de la raison, qui, en plein christianisme, en pleine civilisation, a été jusqu'à un appauvrissement de l'intelligence humaine plus grand que celui où le christianisme nous avait pris, et a refait un moment sur le monde moral toutes les ténèbres du paganisme. Et s'il est un tableau digne de pitié, c'est celui que présente, à l'heure qu'il est, la philosophie de notre siècle. Le nom de philosophie même lui convient-il, et n'est-ce pas une dérision que de couvrir de ce nom sacré l'amalgame le plus monstrueux de systèmes les plus contraires, et qui ne se ressemblent que par le scepticisme où ils courent tous se jeter? Quel fait a moins besoin

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