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Tenez votre âme en état de désirer toujours que l'Évangile soit vrai, que son auteur soit Dieu, et vous n'en douterez jamais.

Il est cependant une seconde cause de la résistance de certains esprits à la démonstration évangélique, et qui tient, comme nous l'avons dit, à une disposition rationnelle.

Il existe dans notre nature un principe qui repousse la preuve ellemême d'un fait et sa démonstration, lorsque les conséquences qu'il renferme paraissent aboutir à l'impossible ou à l'absurde. Les preuves extérieures, considérées avec attention, sont assez fortes pour convaincre un homme de la vérité d'un fait quelconque, pourvu qu'il n'ait pas d'avance rejeté ce fait en lui-même au delà de la portée des preuves, en le déclarant impossible. Cette idée d'impossibilité forme en lui comme une fin de nonrecevoir préjudicielle de sens commun, contre laquelle viennent mourir souvent tous les traits de l'évidence extrinsèque. On conçoit tout ce que cette disposition porte en elle de dangereux, et à quels effets d'ignorance et d'erreur elle ouvrirait la porte en toute science, si on y avait égard absolument. Il suffit de faire remarquer que dans les sciences naturelles elles-mêmes il y a beaucoup de propositions ou de phénomènes qui paraissent contradictoires ou impossibles avant et même quelquefois après la démonstration de leur certitude. En matière religieuse surtout il serait absurde de s'y arrêter, parce que cette matière est mystérieuse de sa nature, et ne peut jamais satisfaire entièrement notre compréhension. Et comme l'esprit humain est naturellement porté à qualifier d'impossible ce qui lui est incompréhensible, la véritable Religion ne pourrait jamais avoir aucun genre de preuve, si les preuves extrinsèques de sa divinité pouvaient être écartées par cette prétendue raison d'impossibilité de sa vérité intrinsèque. Cependant, je le répète, telle est la grande cause secrète qui paralyse l'effet de la démonstration évangélique sur beaucoup d'esprits déistes. Ils ne veulent pas dire absolument qu'il est impossible d'accorder avec la raison que Dieu ait voulu, dans une circonstance quelconque, manifester son action immédiate; car ce serait contredire la vérité qu'ils reconnaissent eux-mêmes à l'égard de la création du monde. Ils ne peuvent pas dire même que les faits évangéliques, d'où résulte cette action immédiate, sont faux; ils n'ont rien à objecter du moins aux preuves que nous en rapportons mais ils entendent seulement que, vu l'objet et la structure intrinsèque du christianisme, il est déraisonnable de supposer qu'il puisse être l'objet d'une intervention directe du ciel (1).

(1) Le savant abbé de Gourcy exposait très-bien ce travers de l'incrédulité de son temps, semblable en ce point, comme en tous les autres, à l'incrédulité des premiers siècles du christianisme. « Fidèles imitateurs de Celse, disait-il, les incrédules ont suivi >> constamment la route qu'il leur avait tracée, et n'ont jamais voulu entrer dans la » véritable, qu'Origène leur montrait il y a tant de siècles. Les faits incontestables, » selon toutes les règles de la certitude historique, qui démontrent évidemment la » divinité de Jésus-Christ et de sa Religion, ils n'ont garde de les discuter, parce qu'ils

Or, bien que ce préjugé ne soit pas légitime en soi, comme nous l'avons montré, nous pensons toutefois que les apologistes chrétiens ne l'ont pas assez ménagé, et que, sans prétendre réduire la substance mystérieuse du christianisme aux proportions de la raison humaine, ce qui serait contradictoire, on a trop négligé de faire voir que le christianisme, considéré en lui-même, n'était ni absurde ni déraisonnable. On s'est fié trop exclusivement à son évidence instrinsèque. On a trop voulu prouver, et on n'a pas assez cherché à persuader. On a trop isolé enfin les preuves intrinsèques des preuves extrinsèques. Ceci nous explique en grande partie l'incrédulité; car les esprits forts, en général, ne connaissent pas la substance du christianisme, et ils négligent ainsi le point essentiel sur lequel Dieu luimême a fondé son admissibilité, et par lequel il nous a invités à la croyance.

Il est vrai, ainsi que nous l'avons fait observer ailleurs, que les esprits n'avaient peut-être jamais été jusqu'ici dans une disposition favorable à cette étude intrinsèque. Dans les siècles de foi il était trop tôt, et ce n'eût peut-être pas été sans danger qu'on eût fait un appel prématuré à l'examen philosophique des dogmes qu'on connaissait déjà par l'instruction traditionnelle, et surtout par la fréquentation. Dans le siècle d'incrédulité qui succéda tout à coup avec violence, il était trop tard; et la fureur des préjugés philosophiques ne visant qu'à détruire tout, et qu'à se jouer avec une légèreté sacrilége des vérités divines, ce qu'on avait de mieux à faire. c'était de fermer celles-ci dans le sanctuaire, et de les défendre au dehors. Aujourd'hui seulement qu'une réaction religieuse est venue mettre, si ce n'est de la foi, au moins de la bonne foi dans les esprits; qu'on veut croire, si on ne croit pas; qu'enfin à toute l'ignorance des temps naïfs on joint toute l'exigence philosophique des temps avancés; aujourd'hui, dis-je, cette étude intrinsèque est devenue possible, et les preuves extrinsèques dès lors en reçoivent une force toute nouvelle.

Celles-ci suffisent, il est vrai, à la démonstration de cette vérité que Dieu a parlé, par l'autorité des faits surnaturels dont se trouve accompagnée sa parole; mais, quelque concluante que soit cette preuve, elle ne peut produire tout son effet tant qu'il reste dans les esprits quelque chose de ce préjugé, que la doctrine chrétienne, objet de cette divine parole, répugne à la raison. Faire voir que cette doctrine ne répugne pas à la raison, c'est donc ôter l'obstacle qui troublait la vue libre des preuves extrinsè

⚫ ne peuvent les combattre : ils ne peuvent pas davantage affaiblir les inductions victo> rieuses que nous en tirons, ils ne cherchent qu'à les écarter. Il ne s'agit pas, disent›ils, d'examiner s'ils sont arrivés ou non; mais si la doctrine, si les mystères qu'ils › établissent, sont dignes de Dieu et conformes à la raison... Ainsi, par un travers › étrange que l'intérêt seul d'une cause désespérée peut leur suggérer, ils s'obstinent › à rendre la raison juge de ce qui est manifestement au-dessus de la raison, et ils ne > veulent pas s'en servir pour vérifier des faits certains et décisifs, qui sont seuls à la > portée de la raison.» (Anciens apologistes de la Religion chrétienne, tome II, p. 271, note.)

ques; c'est préparer à les croire. Montrer d'abord que le christianisme n'est pas absurde, qu'il est raisonnable, qu'il brille même d'une vraisemblance toute divine, c'est mettre sur le chemin de croire qu'il est réellement divin, et prédisposer aux preuves souveraines de ce dernier point. C'est ce que nous avons fait dans la seconde partie de nos études, qui forme ainsi la préparation évangélique par rapport à la dernière partie, qui en sera la démonstration.

Toute mystérieuse qu'elle reste dans son fond, la doctrine chrétienne soutient elle-même sa divinité aux yeux de la raison; nous l'avons vu dans le long travail que nous avons fait sur elle. Au sortir de ce travail, et tout pénétrés encore de l'admiration qu'il a soulevée en nous, comment répugnerions-nous à admettre la preuve que cette doctrine vient réellement du ciel?

CELA DOIT ÊTRE tel est le résultat de ce qui précède.

CELA EST tel est le résultat de ce qui suit.

Nous avons déjà préparé ce résultat dans la partie préliminaire, par nos Études sur l'inspiration de Moïse, la nature humaine, — l'institution des sacrifices, l'attente universelle du Libérateur, les circonstances de la venue et du règne de Jésus-Christ. — Et ces études préliminaires toutes seules ont pu nous autoriser à conclure dès lors la divinité du christianisme.

Maintenant, et après nous être dépouillés de toute fausse et étroite prévention contre le christianisme en l'étudiant dans sa substance, — nous allons revenir à cet ordre de preuves par les faits que nous avons touchés en commençant. Seulement, au lieu que, dans la première partie, c'étaient des faits préliminaires universels et généraux, ce seront des faits immédiats, particuliers, et spéciaux.

L'étude intrinsèque du christianisme, qui, dans notre intention, a dù être la partie principale et comme l'âme de l'ouvrage, se trouvera ainsi enveloppée comme dans un corps de preuves sensibles. Cette âme et ce corps réagiront réciproquement l'un sur l'autre, de manière à satisfaire à la fois toutes les exigences de notre esprit, à le saisir de partout, et ne lui laisser aucun motif sérieux de résistance à une vérité aussi largement, aussi diversement, aussi complétement établie.

La partie de cette vaste démonstration qui nous reste à présenter est la moins neuve; elle a été si souvent et si avantageusement traitée, que nous aurions pu renvoyer nos lecteurs aux excellents ouvrages de l'Abbadie, d'Houtteville, de Duguet, de Bergier, de M. Freyssinous, et de M. Duvoisin. Mais nous avons jugé devoir la traiter nous-même de nouveau, pour la raccorder avec l'ensemble de nos études et avec les dispositions actuelles des esprits, moins contentieux et plus accessibles à des raisons de

sens commun et d'évidence naturelle. Nous n'aurons pas besoin, dès lors, de nous enfoncer trop avant dans les critiques de détail; il nous suffira de présenter le sommaire de chaque chose le reste suivra de soi, et pourra d'ailleurs se trouver dans les savantes apologies que nous avons indiquées (1).

CHAPITRE II.

LA PERSONNE DE JÉSUS-CHRIST.

I. « Du point de vue même de la philosophie, le christianisme n'est pas » une pure conception de l'intelligence, il est autre chose encore, il est un » fait, et le plus grand de tous; et ce fait a pour centre la personne du » Christ, le Christ, tel que l'Évangile nous l'a représenté (2). »

C'est à ce fait positif qu'une grande intelligence, lassée de ses écarts dans les régions du doute, venait se reprendre pour retourner à la vérité et à son repos.

Qu'on dogmatise ou qu'on philosophe tant qu'on voudra; après tout, voici un fait dont il serait absurde de nier l'existence, dont il serait ridicule de dissimuler l'immensité; un fait sur lequel il faut forcément se faire une opinion et prendre parti.

Sur cette terre qui nous porte, parmi tous les hommes qui y ont passé, qui y ont laissé leurs traces, il en est Un qui a paru, qui a parlé, qui a agi; qui a été vu, entendu, touché : le lieu, l'époque, la durée de son existence, les faits principaux qui le distinguent, tout cela est certain, précis, positif, comme le fait que nous avons actuellement sous les yeux. Douter de l'existence et des principaux faits de Socrate serait folie; eh bien! les faits de Socrate, dont personne ne doute, sont moins attestés que ceux de JÉSUS-CHRIST (3).

Socrate, Alexandre, César, Charlemagne, etc., tous ceux enfin dont l'existence est le mieux attestée par l'action qu'ils ont imprimée au monde, tous ces grands hommes sont tombés dans le domaine de l'histoire depuis longtemps; après tout, ils ont vécu leur vie, ils ont cédé la scène des événements à d'autres qui l'ont cédée à leur tour, et c'est beaucoup si un ami ou un disciple fidèle s'est inquiété d'eux pendant une seule génération. La haine même n'a pas eu de prise sur leur mémoire, et la froide postérité a consacré le néant absolu où est tombée leur existence sur cette

(1) Ce chapitre, laissé tel qu'il a paru dans la 1re édition, nous paraît avoir répondu d'avance à la critique qui a été faite contre le plan de l'ouvrage. Comme les raisons que nous y avons émises n'ont pas été discutées par l'éminent auteur de cette critique, il nous est permis de croire qu'elles n'ont pas été présentes à son esprit.

(2) Schelling, Discours d'ouverture; Berlin. — Rev. indép., 1er mai 1842. (3) J. J. Rousseau, Emile, liv. IV.

terre, par l'impartialité même de ses jugements. Ne remontons pas si haut les hommes mêmes que nous avons vus, et parmi eux il en est un bien propre à servir de sujet à notre réflexion, et qui se l'était appliquée à lui-même : Napoléon! quel bruit n'a-t-il pas fait? quels espaces n'a-t-il pas remplis? quels événements que ceux dont il a été l'acteur! Jamais existence fut-elle plus vaste, plus agitée, plus gigantesque? Nous l'avons vu: eh bien! combien d'entre nous peuvent maintenant dire de lui :

Je n'ai fait que passer, il n'était déjà plus!

Qui s'en émeut en ce moment? Il est rentré pour jamais dans son néant, et les marbres dont on recouvre ses restes sont moins froids que les esprits ne le deviennent à son égard.

La personne de Jésus-Christ pour elle une bien autre certitude, une bien autre destinée, une certitude et une destinée uniques entre toutes. Depuis dix-huit cents ans qu'il a paru sur cette terre, on peut dire qu'il n'a pas encore disparu; il occupe encore la scène, il est toujours devant le siècle. Des millions d'hommes mourraient pour lui, à l'heure qu'il est; d'autres conspirent contre lui. De tous côtés on s'agite, soit pour l'attaquer, soit pour le défendre; et, au fond, il est le sujet capital de toutes les discussions, de toutes les résolutions, de toutes les affections sympathiques ou antipathiques de l'humanité. L'histoire n'a pas pu s'en emparer; la postérité n'est pas encore venue pour lui; et il ne se pourrait trouver en ce moment une main assez froide pour tracer ce qu'on appelle son portrait. Aux évangélistes seuls a été réservé le prodige de cette sublime impartialité.

Nous sommes les fils des croisés, et nous ne reculerons pas devant les fils de Voltaire! disait naguère la voix animée d'un noble pair, du haut de la première tribune du monde; et ces paroles ont été accueillies par tous les organes de l'opinion en France et en Europe, comme le manifeste de la lutte qui est au fond de tous les esprits, et dont le sujet est Jésus-Christ. Et cette lutte n'est pas la renaissance factice d'un état ancien, mais la continuation non interrompue de celle qui éclata autour de Jésus-Christ lui-même, qui amena son supplice, qui lui faisait dire, parlant à ses disciples Confidite, ego vici mundum! et qui n'a pas cessé jusqu'à nos jours. - Voltaire! les croisés! l'anachronisme qui résulte du rapprochement de ces deux noms exprime toute l'impuissance du temps sur la personne de Jésus-Christ, et la permanence de son action à travers la vicissitude des âges.

Anéantissez tous les monuments historiques, et c'en est fait de la certitude des actes de la vie de César, on pourrait presque dire de Napoléon; tandis que la certitude de la vie de Jésus-Christ survivrait encore, parce qu'elle subsiste dans un fait toujours actuel et vivant, et ce fait c'est le christianisme. Le christianisme (et je n'entends pas seulement par là la

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