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les choses qui les déconsidèrent, en se peignant grossiers, lâches, et ingrats, et qui représentent leur maitre avec des traits d'autant moins inventés, que, par leur opposition avec les mœurs et les préjugés de ce temps, ils étaient inimaginables, et devaient par cela même aussi susciter plus d'incrédulité!

Quand on se représente tout ce que les évangélistes avaient à raconter d'incroyable dans la vie de Jesus-Christ, tant de prodiges et des prodiges si extraordinaires, des prodiges donnés comme récents, comme publics; quand on se représente tout l'aveuglement, toute la haine, toutes les mauvaises dispositions qu'ils devaient s'attendre à rencontrer, qui fermentaient autour d'eux, ou plutôt qui avaient déjà éclaté contre la personne de Jésus-Christ et contre eux-mêmes; et que d'autre part on voit le calme extraordinaire, la sérénité céleste, qui règnent dans les Evangiles, et cette absence complète de toute précaution, de toute explication, de toute justification, on ne s'explique tant de confiance de la part des évangélistes que par la grande certitude des événements qu'ils racontent, et la profonde conviction où ils sont de la divinité de Jésus-Christ. Il faut même admettre que cette certitude règne autour d'eux, et qu'ils écrivent au sein de la notoriété publique, moins pour apprendre à leur contemporains les faits de Jésus-Christ, que pour rectifier et fixer la connaissance que ceux-ci en ont déjà. Les Evangiles supposent évidemment cette connaissance extérieure, et la supposent au plus haut degré. C'est elle qui dispense leurs auteurs de toute précaution, et qui forme comme le cadre et l'atmosphère de leur récit. Ils n'en disent rien, et par cela même ils la font voir, parce que, dans le cas contraire, ils auraient cherché à justifier l'annonce des faits auxquels tous les esprits auraient été fermés. Mais ces faits s'étaient déjà frayé accès par eux-mêmes et par le bruit de leurs nombreux témoins; cela est évident. Déjà même on les avait consignés par écrit avec plus ou moins d'exactitude, mais avec une égale persuasion. Pour tout dire, saint Luc, dans son début, vient confirmer toutes ces conjectures: « Plusieurs personnes, dit-il, ayant entrepris d'écrire l'histoire des » choses qui ont été accomplies parmi nous..., j'ai cru qu'après avoir été exacte» ment informé de toutes ces choses depuis leur commencement, je devais » aussi vous en représenter par écrit toute la suite, afin que vous reconnais» siez la vérité de ce qui vous a été annoncé (1). » — Ce passage est le seul des Évangiles qui laisse percer nos regards au dehors, dans la société de ce temps; il nous la fait voir clairement, occupée des choses accomplies dans son sein, s'en entretenant, les écrivant; il nous fait voir par là ces choses mêmes pour ainsi dire, toutes ces choses que saint Luc, lui aussi, va représenter dans toute leur suite.

Ce petit passage de saint Luc dit beaucoup pour nous; et comme il a été écrit sans intention de produire cet effet, comme il aurait pu ne pas

(1) S. Luc, chap. 1, v. 1er.

s'y trouver, ainsi qu'on n'en trouve aucun de semblable dans les autres évangélistes qui entrent immédiatement dans leur sujet et s'y renferment strictement, il nous persuade d'autant plus, et nous donne en même temps du silence des autres évangélistes l'idée de la plus naïve sincérité, de la plus simple bonne foi, puisqu'elle va jusqu'à ne pas se voir ellemême, et jusqu'à courir le risque d'être méconnue en ne se faisant pas remarquer.

Ce dernier trait caractéristique, qui se retrouve dans toute la physionomie des évangélistes, a été relevé avec une grande finesse d'observation par Pascal, à une autre occasion: « Le style de l'Évangile est admirable en » une infinité de manières, dit-il, et entre autres en ce qu'il n'y a aucune » invective de la part des historiens contre Judas ou Pilate, ni contre D aucun des Romains ou des bourreaux de Jésus-Christ. Si cette mo» destie des historiens évangéliques avait été affectée, aussi bien que tant » d'autres traits d'un si beau caractère, et qu'ils ne l'eussent affectée que » pour la faire remarquer, s'ils n'avaient osé la remarquer eux-mêmes, ils » n'auraient pas manqué de se procurer des amis qui eussent fait ces » remarques à leur avantage. Mais comme ils ont agi de la sorte sans » affectation, et par un mouvement tout désintéressé, ils ne l'ont fait » remarquer par personne je ne sais même si cela a été remarqué » jusques-ici; et c'est ce qui témoigne la naïveté avec laquelle la chose a » été faite (1). »

Un autre témoignage de cette naïveté et de la parfaite vérité qu'elle suppose, c'est que les quatre évangélistes, en faisant chacun séparément une histoire de la vie de Jésus-Christ, et ayant à parler de faits si multiples et si singuliers, se soient exposés à des malentendus entre eux et à des contradictions inévitables, qui pouvaient les confondre. - Dira-t-on qu'ils se sont donné le mot pour éviter ces contradictions? Mais non; car précisément ils y sont tombés. — Dira-t-on que ces contradictions alors les confondent? Mais non; car elles ne sont qu'apparentes. — Dira-t-on enfin qu'ils se sont entendus pour tomber dans ces contradictions apparentes, et couvrir par là leur concert secret? Mais encore non; car cette apparence est tellement forte qu'elle les compromet réellement aux yeux du grand nombre des esprits incrédules et légers, et qu'il faut toute la patience de la foi aidée de la science pour les dissiper (2). — Tout est donc naturel en ceci chez les évangélistes; et la vérité seule a pu les

(1)Pensées, ne part. art. 10.

(2) C'est ce qu'a fait M. le comte de Stolberg dans sa belle histoire de Jésus-Christ, où, par une science profonde et variée des mœurs, des localités, et de l'histoire juive et païenne, il a éclairé une foule de points inintelligibles ou contradictoires, et a révélé dans les évangélistes une exactitude et un accord avec eux-mêmes et avec tout ce qui les entourait, dont l'effet rejaillit vivement sur la partie surnaturelle de leur récit, par la raison très-concluante qu'ils n'auraient pu inventer cette partie sans se trahir par quelque contradiction sur le reste.

mettre d'accord, puisque leurs contradictions apparentes prouvent qu'ils ne se sont pas entendus.

Une marque non moins frappante, selon nous, de la verité des Évangiles, c'est que, dans le récit des plus grands prodiges de Jésus-Christ, il ne se trouve aucune expression d'étonnement, aucun détail oiseux, aucune amplification parasite, aucun goût de légende, aucun souci de plaire, en un mot, ou de ne pas être cru; mais une simplicité sublíme et dédaigneuse de toute vaine curiosité. Évidemment ce n'est pas ainsi qu'on invente. C'est là une preuve non-seulement d'une sincérité éloignée de toute affectation, mais de la grande conviction où étaient les évangélistes de la divinité de leur maitre. — « Jésus-Christ dit à haute voix: Lazare, sors » au dehors; et le mort sortit, ayant les pieds et les mains liés et le visage » couvert, Jésus-Christ dit : Deliez-le, et laissez-le aller. » — Voilà tout ce qui est offert à notre esprit. Un événement si prodigieux est raconté comme s'il s'agissait d'une action ordinaire. C'est qu'il était naturel à Jésus-Christ de commander à la mort, et d'être obéi. C'est là ce qu'il nous importait de savoir. Mais Lazare ne se jeta-t-il pas aux pieds de són libérateur? mais ne raconta-t-il pas ce qui s'était passé en lui pendant qu'il était mort? Qu'un poète s'amuse à ces circonstances, comme il a plu en effet à Jérôme Vida (1) de s'y arrêter, c'est une marque de la faiblesse de l'esprit humain, qui cherche le petit dans le grand même; mais ce n'est pas ainsi que parlent ceux qui racontent les miracles de Jésus-Christ. Ils les racontent dans le même esprit dans lequel il les a faits, c'est-à-dire pour fixer notre foi, non pour exciter ou pour flatter notre curiosité; et Dieu a permis qu'ils nous en aient donné une plus haute idée par leur simplicité même, qu'ils ne l'auraient pu faire par tous les ornements de l'éloquence.

Cette manière, qui n'a pu être inspirée que par la sincérité et la conviction portées au plus haut degré, donne à l'Évangile un air de vérité saisissant. On ne peut se défendre de croire ce qu'on cherche si peu à vous faire croire, ce qu'on redoute si peu que vous ne croyiez pas. Cette absence complète de réflexions et d'ornements relève les faits, et leur donne un aspect frappant de rigoureuse fidélité; c'est plus qu'une reproduction, c'est quelque chose de la réalité, comme si les faits eux-mêmes étaient venus s'imprimer sur ce fonds de candeur inaltérable. Une pieuse tradition rapporte que lorsque Jésus-Christ allait au supplice, tombant sous le poids de sa croix, une sainte femme perça la foule acharnée de ses bourreaux, et, s'approchant de sa personne, appliqua sur sa face adorable un linge blanc pour en essuyer la sueur et le sang dont elle était dégouttante, et qu'en récompense de cette courageuse compassion il se fit un miracle: les

(1) Jérôme Vida composa, à la sollicitation de Léon X, son poème de la Christiade, en six chants, qui fut fort applaudi. On a cependant reproché à l'auteur d'avoir mêle trop souvent le sacré avec le profane, et les fictions de la mythologie avec les oracles des prophètes.

traits de l'auguste victime restèrent empreints sur le voile consolateur. Ainsi, peut-on dire, l'Évangile nous reproduit les traits de la vie de JésusChrist, et, dans sa touchante et véridique simplicité, il est pour nous comme le voile de Véronique.

Enfin, il est une dernière considération à laquelle il faut nous arrêter, et qui vient sceller toutes les autres : c'est la sainteté de l'Évangile.

La Bruyère, faisant le portrait de l'honnête homme, dit qu'on ne devrait pas exiger de lui de serment, mais simplement oui ou non, parce que, ditil, son caractère jure pour lui.

Le caractère de l'Évangile jure pour lui. On ne devrait pas en exiger d'autre preuve. Sa sainteté emporte sa vérité, et sa morale assure ses faits. Quelle sainteté quelle morale! quelle sagesse! quelle sublimité d'enseignements! quelle pureté de préceptes! quelle perfection soutenue! L'Évangile présente sous ce point de vue une élévation et une profondeur illimitées, qui se tempèrent elles-mêmes par leur propre douceur et qui sont à l'âme comme le bleu du ciel. Là-dessus tout le monde est d'accord, et l'Évangile ne rencontre que des adorateurs.

Et un livre si saint ne serait qu'un réceptacle d'impostures, qu'un tissu de faussetés? Non, non, cela est impossible; j'en jure par la conscience humaine! cela n'est pas.

Qu'on ne dise pas que les faits évangéliques sont incroyables: l'Évangile les atteste, et l'Évangile est croyable cela suffit pour les admettre, parce que la sainteté du livre est à la hauteur de l'incrédibilité des faits. Si ces faits sont incroyables, il est encore bien plus incroyable que l'Évangile soit mensonger; et quand je vous accorderais qu'ils sont incroyables, je n'en affirmerais pas moins qu'ils sont vrais.

Remarquez que la sainteté de l'Évangile se résume dans sa véracité; car toute sa morale qu'est-elle autre chose que l'établissement du règne de la vérité par rapport à tout, à Dieu, à nous-mêmes, et au prochain? et son héros qu'est-il, sinon LA VÉRITÉ, comme il le dit lui-même : Ego sum verilas? Le mot de la Bruyère que nous avons cité tout à l'heure est tout évangélique; nous le retrouvons dans ce passage : « Vous avez appris qu'il a été » dit aux anciens : Tu ne seras pas parjure, mais tu tiendras devant Dieu > tes serments; et moi je vous dis : Pas de serments; mais que votre parole » soit : Oui, oui; non, non; car tout ce qui s'ajoute vient du mal (1). » Et on veut qu'une morale délicate sur la vérité, au point de ne vouloir pas s'appuyer du serment, soit en même temps parjure à elle-même au point de ne s'étayer que par un échafaudage de mensonges? L'absurdité le dispute ici à l'impiété.

Remarquez enfin que ce qui rend cette contradiction plus choquante, c'est que dans l'Évangile la morale et le récit sont entrelacés d'une manière indissoluble; que le miracle y est le plus souvent l'occasion du précepte,

(1) Matth., chap. v, 33, 34.

et le précepte l'intention du miracle; que, pour tout dire, le fait n'y est autre chose que la morale en action; qu'ils ont tous deux la même source et le même but, et que la solidarité qui les unit est telle qu'il faut les rejeter ou les accepter à la fois. L'Évangile, avons-nous déjà dit, est comme la robe de Jésus-Christ, sans couture; on ne saurait le partager.

Aussi, quand on le lit, quand on en parcourt les pages saintes, quand l'œil suit ce divin tissu de faits naïfs, de préceptes sublimes, de paraboles touchantes, de miracles bienfaisants, d'enseignements profonds, de maximes célestes, d'exemples saints, et qu'on voit le parfait accord, la fusion de tout cela dans un fonds commun de candeur et de vérité, on se sent pénétré d'une persuasion irrésistible. On croit alors; on croit tout. On ne songe plus à rien contester. On se veut mal et on éprouve une sorte de confusion d'avoir douté, d'avoir pris des sûretés contre un tel livre. Toutes les preuves qu'on avait accumulées, on les regarde comme inutiles et superflues; la simple affirmation, la simple déclaration de l'Évangile suffit pour entraîner la foi; et l'incrédule lui-même, quand il n'a pas abjuré tout sens moral et entièrement perdu le goût du vrai, ne peut retenir alors un de ces aveux d'autant plus éloquents qu'ils ont été plus disputés, et où la force de la vérité se fait d'autant plus sentir qu'elle y est victorieuse.

« Je vous l'avoue, dit-il, la majesté des Écritures m'étonne, la sainteté » de l'Évangile parle à mon cœur. Voyez les livres des philosophes avec » toute leur pompe : qu'ils sont petits près de celui-là! Se peut-il qu'un » livre à la fois si sublime et si simple soit l'ouvrage des hommes? Se » peut-il que celui dont il fait l'histoire ne soit qu'un homme lui-même ? » Est-ce là le ton d'un enthousiaste ou d'un ambitieux sectaire? Quelle >> douceur! quelle pureté dans ses mœurs! quelle grâce touchante dans >> ses instructions! quelle élévation dans ses maximes! quelle profonde » sagesse dans ses discours! quelle présence d'esprit! quelle finesse et » quelle justesse dans ses réponses! quel empire sur ses passions!... Di>> rons-nous que l'histoire de l'Évangile est inventée à plaisir? Mon ami, >> ce n'est pas ainsi qu'on invente; et les faits de Socrate, dont personne »> ne doute, sont moins attestés que ceux de Jésus-CHRIST. Au fond, c'est » reculer la difficulté sans la détruire il serait plus inconcevable que >> plusieurs hommes d'accord eussent fabriqué ce livre, qu'il ne l'est qu'un >> seul en ait fourni le sujet. Jamais des auteurs juifs n'eussent trouvé ni >>ce ton ni cette morale; et l'Évangile a des caractères de vérité si grands, » si frappants, si parfaitement inimitables, que l'inventeur en serait plus » étonnant que le héros (1). »

L'Évangile est donc vrai, et la Religion du Christ est divine.

(1) J. J. Rousseau, Émile, liv. IV.

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