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Celui qui ferait un choix habile entre les ouvrages philosophiques de Voltaire, laisserait au temps ce qui est du temps, et conserverait, pour le donner au public, l'éternel et le solide, rendrait assurément quelque service à la philosophie. Nous serions très-heureux de mériter cet éloge, et ce pous serait une suffisante récompense de notre travail, dût-on nous appliquer un mot de Voltaire lui-même sur un malheureux écrivain de son temps. « Il a trouvé le secret de faire un livre très-utile, où il n'y a de mauvais que ce qui est uniquement de lui. »

ERNEST BERSOT.

Octobre 1847.

LIVRE I.

DE DIEU.

ÉLÉMENS DE PHILOSOPHIE

DE NEWTON 1.

Newton était intimement persuadé de l'existence d'un Dieu, et il entendait par ce mot, non seulement un être infini, tout-puissant, éternel et créateur, mais un maître qui a mis une relation entre lui et ses créatures: car sans cette relation, la connaissance d'un Dieu n'est qu'une idée stérile qui semblerait inviter au crime, par l'espoir de l'impunité, tout raisonneur né pervers.

Aussi ce grand philosophe fait une remarque singulière à la fin de ses Principes: c'est qu'on ne dit point mon éternelle, mon infini, parce que ces attributs n'ont rien de relatif à notre nature; mais on dit et on doit dire mon Dieu, et par là il faut entendre le maître et le conservateur de notre vie et l'objet de nos pensées. Je me souviens que, dans plusieurs conférences que j'eus en 1726 avec le docteur Clarke, jamais ce philosophe ne prononçait le nom de Dieu qu'avec un air de recueillement et de respect très remarquable. Je lui avouai l'impression que cela fesait sur moi; il me dit que c'était de Newton qu'il avait pris insensiblement cette coutume, laquelle doit être en effet celle de tous les hommes.

Je ne sais s'il y a aucune preuve métaphysique plus frappante, et qui parle plus fortement à l'homme, que cet 1 1738. Première partie, chap. I.

ordre admirable qui règne dans le monde, et si jamais il y a eu un plus bel argument que ce verset: Cæli enar— rant gloriam Dei. Aussi vous voyez que Newton n'en apporte point d'autre à la fin de son Optique et de ses Principes. Il ne trouvait point de raisonnement plus convaincant et plus beau en faveur de la Divinité que celui de Platon, qui fait dire à un de ses interlocuteurs: Vous jugez que j'ai une âme intelligente, parce que vous apercevez de l'ordre dans mes paroles et dans mes actions; jugez donc, en voyant l'ordre de ce monde, qu'il y a une âme souverainement intelligente.

Cet Être suprême est-il souverainement bienfesant? C'est ici le grand refuge de l'athée. Si j'admets un Dieu, dit-il, ce Dieu doit être la bonté même; qui m'a donné l'être me doit le bien-être or je ne vois dans le genre humain que désordre et calamité; la nécessité d'une matière éternelle me répugne moins qu'un Créateur qui traite si mal ses créatures. Nulle raison ne peut apaiser les murmures qui s'élèvent dans mon cœur contre les maux dont ce globe est inondé. Je suis donc forcé de rejeter l'idée d'un Être suprême, d'un Créateur, que je concevrais infiniment bon, et qui aurait fait des maux infinis; j'aime mieux admettre la nécessité de la malière, et des générations et des vicissitudes éternelles, qu'un Dieu qui auraiț fait librement des malheureux,

On répond à cet athée : Le mot de bon, de bien-être, est équivoque. Ce qui est mauvais par rapport à vous est bon dans l'arrangement général. L'idée d'un Être suprême, tout puissant, tout intelligent, et présent partout, ne révolte point votre raison. Nierez-vous un Dieu parce que vous aurez un accès de fièvre? Il vous devait le bien-être, dites-vous : quelle raison avez-vous de penser ainsi? pourquoi vous

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