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Gouvernements avaient assez à faire chez eux pour ne porter qu'une attention distraite aux événements dont l'Orient pouvait être le théâtre. L'Empire qui venait d'être proclamé en France par l'héritier de Napoléon Ier, devait trouver difficilement à son origine des sympathies et des alliances. Il était permis de croire que l'Angleterre ne s'unirait pas au successeur du grand conquérant qu'elle avait combattu durant vingt années, et qu'elle avait banni et retenu captif à Sainte-Hélène. L'Autriche, liée par la gratitude, n'entraverait pas la politique du Czar, au besoin même elle s'en ferait complice; la Prusse était toute dévouée aux intérêts de la Russie; l'Allemagne pouvait être considérée comme une vassale soumise d'avance à tout ce qu'on lui imposerait. Quant à la Turquie, réduite à ses propres forces, elle ne pourrait évidemment résister et elle succomberait au premier choc.

Le moment était donc propice. Il ne restait qu'à trouver une occasion favorable; mais une occasion arrive aisément quand on a intérêt à la faire naître. Les Lieux Saints furent le prétexte que recherchait la Russie pour faire éclater ses projets.

des

Il serait superflu d'exposer ici tous les éléments très-com- Question plexes de la question des Lieux Saints. Les détails de cette Lieux Saints. difficulté diplomatique disparaissent devant la grandeur de la lutte à laquelle elle a donné naissance. On peut les résumer comme l'a fait Lord Stratford de Redcliffe dans une dépêche qu'il adressait à Lord Palmerston'. « Le point en litige est le droit de possession à certaines parties de l'église du Saint-Sépulcre à Jérusalem. On accuse les Grecs d'avoir usurpé des propriétés qui appartiennent de droit aux Catholiques et d'avoir à dessein laissé tomber en ruines les chapelles, et particulièrement les tombeaux de Godefroy de

'Sir Stratford Canning to viscount Palmerston, may 20, 1850. Correspondence respecting the rights and privileges of the Latin and Greek churches in Turkey, part. 1, no 1.

Tergiversations

Bouillon et de Guy de Lusignan. La Légation Française croit être autorisée par traité (l'art. 33 des capitulations de 1740) à entreprendre la revendication des droits de l'Église Latine. »

La prétention des Catholiques était en effet incontestable; elle n'aurait dû soulever aucune contradiction si, comme le pressentait avec raison Lord Stratford de Redcliffe dans la même dépêche, « il eût été possible de séparer une pareille question des considérations politiques et d'une lutte d'influence générale. >>

Le Gouvernement Turc commit, en cette occasion, une grande de la Turquie. faute. État musulman, il pouvait rester étranger aux prétentions rivales des Églises chrétiennes. La prudence lui commandait de s'abstenir; il lui était loisible d'engager les Latins et les Grecs à s'entendre, de laisser régler amiablement la question entre la France, protectrice des Catholiques, et la Russie, protectrice des Grecs, de rejeter sur ces deux États les embarras diplomatiques qui devaient surgir, sauf à régulariser ensuite par l'adhésion et la sanction du Sultan ce qui aurait été résolu entre eux. Mais la Sublime Porte voulut contenter tout le monde; elle promit au représentant de la France tout ce qu'il réclamait; puis elle annula cette promesse en accordant au représentant de la Russie tout ce qu'il exigeait au nom de sa Cour, et ainsi s'envenima et s'élargit une question qu'on aurait pu étouffer dans son germe.

Les incidents de ces négociations minutieuses durèrent depuis 1850 jusqu'en 1852, époque à laquelle Fuad-Effendi, ministre des affaires étrangères en Turquie, se résolut à tenir loyalement les engagements que la Porte avait pris envers la France, et qui n'étaient d'ailleurs que la stricte exécution du traité de 1740.

C'est à ce moment qu'éclatent les secrètes intentions de la Russie et qu'elle saisit avec ardeur l'occasion longtemps cherchée de porter enfin un coup mortel à l'Empire Ottoman.

Attitude

des

dans

des

L'Europe, pressentant d'instinct que quelque chose de considérable allait sortir de ce conflit, s'était mêlée, dès le début, Puissances à la question des Lieux Saints. L'Espagne, le Piémont et Na- Européennes ples avaient agi à Constantinople dans le sens des réclamations la question de la France; la Belgique s'était prononcée dans le même es- Lieux Saints. prit sur certains des points en litige; l'Autriche soutenait les Latins en vertu de ses propres traités. Quant à l'Angleterre, elle s'alarmait à bon droit des développements que menaçait de prendre le débat, mais par position et par prudence, elle restait neutre.

C'est même par suite de cette attitude, que le Gouvernement Britannique intervint, à la fin de l'année 1852, entre la Russie et la France pour amener un arrangement.

de la France.

Le Gouvernement Français se montra tout d'abord animé Modération des intentions les plus pacifiques. M. Drouyn de Lhuys accueillit loyalement, comme une satisfaction suffisante, la déclaration faite par le Gouvernement Ottoman que la Porte n'avait pas l'intention d'affaiblir soit les droits résultant du traité de 1740, soit les promesses faites à la France Plus tard il consentit à régler directement avec la Russie cette regrettable discussion; il disait à M. de Kisselef « que le Gouvernement Français ne voulait pas pousser son droit à l'extrême, et que si la Russie voulait se réunir à lui dans le même esprit de conciliation, il ne voyait pas de raison pour que l'affaire ne s'arrangeât pas amicalement entre eux. »

de la Russic.

Mais cette modération ne pouvait être partagée par la Rus- Résistance sie, dont une transaction aurait dérangé tous les plans. Aux ouvertures de l'Angleterre, M. de Nesselrode répondit « qu'il ne voyait aucun terme moyen, et que l'on avait raison d'être inquiet, parce que c'était là une très-mauvaise affaire. >> Comme corollaire significatif de ces graves paroles, un Préparatifs immense mouvement de troupes commença de tous les côtés de l'Empire Russe vers les frontières Ottomanes. L'armée, qui recut ordre de s'avancer sur les Provinces Danubiennes, et

militaires.

du Prince

qui était dès longtemps préparée, comprenait près de 150,000 hommes.

« Le mal est fait, disait M. de Nesselrode dans une dépêche du 14 janvier 1853, communiquée au Cabinet Anglais; ce n'est plus de le prévenir qu'il s'agit : il faut maintenant y porter remède. Les immunités du rit orthodoxe lésées... exigent une réparation quelconque. »

Quelle était cette réparation? C'est ce que la fameuse ambassade du Prince Menschikoff va nous faire connaître. Ambassade Lorsque le Prince Menschikoff fut envoyé à ConstantinoMenschikoff. ple, la question des Lieux Saints était résolue en principe depuis le 28 janvier précédent. Ce fait résulte de tous les actes diplomatiques connus. M. de Lavalette, au nom du Gouvernement Français, s'était contenté des plus insignifiantes concessions; il avait même renoncé, par esprit de modération, à des priviléges séculaires de l'Église Latine. M. D'Ozerof, ministre de Russie, s'était montré satisfait de l'arrangement convenu, et le colonel Rose, chargé d'affaires de l'Angleterre, écrivait à son Gouvernement, le 28 janvier, que « cette périlleuse question des Lieux Saints était enfin terminée. »>

Aussi est-ce sur un autre terrain que la Russie plaça le débat par l'organe de son envoyé.

Nous ne mentionnerons point ici les incidents considérables qui accompagnèrent cette mission et lui donnèrent aux yeux de l'Europe un caractère inquiétant, ni l'appareil extraordinaire avec lequel le Prince Menschikoff arriva à Constantinople, ni le dédain qu'il affecta envers les principaux fonctionnaires de la Turquie, ni les mouvements de troupes qui continuaient à s'opérer dans la Bessarabie, ni les assurances évasives qu'il ne cessa de prodiguer aux représentants des Puissances Européennes pour détourner ou endormir leur attention. Son but véritable se révéla dans la double entrevue qu'il eut le 17 et le 22 mars 1853, avec Rifaat-Pacha, devenu ministre des affaires étrangères.

de la Russie

La Russie proposait à la Porte de conclure ensemble un Propositions traité secret par lequel le Czar mettrait, en cas de besoin, à la Porte. une armée de 400,000 hommes et une flotte à la disposition du Sultan. Elle demandait que l'Église Grecque fût placée purement et simplement sous la protection Russe. Mais surtout elle exigeait que le plus profond secret fût gardé par le Gouvernement Turc sur cette proposition, menaçant de rompre les relations diplomatiques si elle était communiquée à la France et à l'Angleterre.

C'était, comme le disait Rifaat-Pacha dans une note remise au Prince Menschikoff, effacer complétement le principe de l'indépendance de la Turquie. La question s'élevait donc et devenait une question de vie ou de mort pour l'Empire Ottoman.

Refus

de la Porte.

Règlement

des

La Porte résista avec fermeté. Sur les conseils de l'Angleterre, elle sépara soigneusement la question des Lieux Saints des nouvelles exigences de la Russie. La modération de la France de la question fit le reste. L'ambassadeur Français, M. de Lacour, et le Lieux Saints. Prince Menschikoff mis en présence, convinrent définitivement d'une transaction relative aux Lieux Saints et que deux Firmans sanctionnèrent le 4 mai.

Tout prétexte était donc enlevé à la Russie; mais le jour lui semblait venu, elle ne voulut pas reculer.

Cependant, en voyant la résolution de la Porte, le Prince Menschikoff renonce au projet de traité secret, mais demande, sous forme de sened, un acte positif et obligatoire de garanties. Enfin, le 5 mai, il présente une nouvelle formule de sened, réclamant une réponse péremptoire pour le 10 mai.

La réponse fut un refus. Le Gouvernement du Sultan ne pouvait se suicider.

Le Prince Menschikoff quitta Constantinople, avec toute sa Légation, le 21 mai.

Rupture

entre

la Russie

Un ultimatum menaçant de la Chancellerie Russe, signé du et la Turquie. Comte de Nesselrode, suivit ce départ; un mois à peine après

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