DEUXIÈME PARTIE

LE COLLÈGE DES QUATRE-NATIONS
ET LA BIBLIOTHÈQUE MAZARINE

CHAPITRE PREMIER

CHOIX DE L'EMPLACEMENT ET CONSTRUCTION

I

CHOIX DE L'EMPLACEMENT

Projet Récla

Délibérations des exécuteurs testamentaires de Mazarin. de Colbert. Le Pré aux Clercs. Le Jardin des plantes. mations de l'Université. Plan de l'architecte Levau. Protesta

tions du prévôt des marchands. — Le palais du Luxembourg. — Le domaine de Nesle. — Son origine. L'enceinte de la rive gauche. Construction de l'hôtel. Sa situation. - Il est acheté par le roi. - Traditions relatives à la tour de Nesle. L'hôtel restauré et agrandi par le duc de Berri. Le séjour de Nesle, le grand Nesle et le petit Nesle. - Démembrement sous Henri II.

L'hôtel de Guénégaud. L'hôtel de Conti. naies. La tour de Nesle.

L'hôtel de Nevers.

L'hôtel des Mon

Mazarin avait désigné pour ses exécuteurs testamentaires le premier président Lamoignon, le surintendant Fouquet, Zongo Ondedei, évêque de Fréjus, Le Tellier et Colbert; mais le cardinal, dans l'acte dicté la veille de sa mort, ayant réglé avec un soin minutieux tous les détails relatifs au collège qu'il fondait, il ne restait plus aux exécuteurs testamentaires qu'à en déterminer l'emplacement. L'intérêt que le roi paraissait prendre à la nouvelle création stimula leur zèle, ils se mirent aussitôt à l'œuvre.

Mazarin était mort le 9 mars. Onze jours après, une réunion avait lieu chez le premier président. Tous les exécuteurs testamentaires y assistaient; ils s'étaient adjoint le duc de Mazarin, héritier du fondateur, et le chancelier Boucherat.

On délibéra avant tout sur le choix de l'emplacement, et le domaine de Nesle fut proposé. Quoique Mazarin n'eût rien fixé à cet égard dans son testament 1, le bruit s'était déjà répandu que le nouveau collège serait élevé sur des terrains vagues dépendant de l'hôtel de Nesle. Dès le 9 mars, Gui Patin l'écrivait à Falconet 2, et Colbert avait regardé sans doute la question comme résolue, car il déclara à ses collègues « qu'il y avoit desjà eu commission du Conseil et commissaires nommez, affin d'obliger les propriétaires des dernières maisons et places situées à la pointe du Pré aux Clercs, du costé de la Grenouillière 3, de rapporter leurs titres, afin d'en avoir remboursement. Cent ans auparavant, les mêmes formalités avaient eu lieu au même endroit par l'ordre de François Ier, qui songea un instant à y établir le collège de France 3.

1. « L'établissement dudit collége sera fait en la Ville, Cité ou Université, ou aux fauxbourgs de Paris. » Recueil de la fondation du collège Mazarini, p. 6.

2. « On dit que ce collége sera bâti vis-à-vis les galeries du Louvre, sur le bord de la Seine. » G. Patin, Lettre du 9 mars 1661, t. III, p. 340.

3. Le quai de la Grenouillère occupait l'espace aujourd'hui compris entre la rue du Bac et le pont de la Concorde. Il était ainsi appelé, soit à cause des marais qui l'obstruaient, soit à cause des nombreux établissements où le peuple allait grenouiller. (« GRENOUILLER, ivrogner en buvotant dans de méchans cabarets et à la manière des gens de néant. » Dictionnaire de Trévoux, t. IV, p. 627.) En 1704, Louis XIV ordonna que ce quai serait revêtu de pierres de taille, et que l'on y ménagerait un trottoir de neuf pieds de large. (Félibien, Histoire de Paris, t. IV, p. 414.) Ces travaux furent commencés sous l'administration du prévôt des marchands Boucher d'Orsay ; le quai prit d'abord son nom, qui fut changé sous l'Empire en celui de quai Bonaparte.

4. Registre des délibérations du conseil de la fondation du collège Mazarini. Archives nat., série MM, registre no 462, p. 21.

5. Voici les termes mêmes de l'ordonnance:

Voulant « donner toutes les commoditez nécessaires aux lecteurs et professeurs... avons délibéré et résolu de leur construire et édiffier en nostre logeis et place de Nesle à Paris et aultres places qui sont à l'entour,

Le Pré aux Clercs s'étendait sur le bord de la Seine, entre le domaine de Nesle et les environs de la rue de Constantine actuelle. C'était une vaste prairie, coupée en deux parties d'inégale dimension par la Noue ou Petite-Seine, canal assez large, qui avait son origine dans le fleuve, coulait sur l'emplacement de la rue Bonaparte actuelle, et allait remplir les fossés de Saint-Germain des Prés. Ce canal fut comblé vers 1542. Le grand Pré aux Clercs appartenait déjà à l'Université au commencement du XIIIe siècle. Le petit Pré aux Clercs, limité par les murs du couvent, la Petite-Seine, la berge du fleuve et l'hôtel de Nesle, avait été cédé à l'Université en 1368 par les religieux de Saint-Germain 1.

Bien que, de ce côté, l'espace ne manquât point, on trouva que Colbert s'était trop pressé, et son projet rencontra une vive opposition. Un membre proposa de construire les nouveaux bâtiments sur une place de neuf ou dix arpents qui était située entre la porte Saint-Jacques, la porte Saint-Michel et le couvent des Chartreux 2. Cette idée fut encore repoussée, et l'on se sépara sans avoir rien décidé.

A la séance suivante, le sieur Villedo, «< intendant des œuvres de maçonnerie du roy,» soumit à l'approbation des exécuteurs

un beau et grand colleige, qui sera appellé le colleige des trois langues, accompaigné d'une belle et sumptueuse église, avec aultres édiffices et bastimens, dont les pourtraicts et desseings ont esté faicts... Avons commis Audebert Catin... pour faire les paiemens de la despense nécessaire... » Voy. A. Lefranc, Histoire du collège de France, pièces justificatives, p. 408. 1. Sur la jolie et très exacte restitution que je reproduis ci-contre et qui est l'œuvre de F. Hoffbauer, on voit se dérouler de gauche à droite la tour, la porte et le séjour de Nesle dont je parlerai plus loin; les tours de Saint-Germain des Prés, le petit Pré aux Clercs, la Noue et un angle du grand Pré aux Clercs.

2. La porte Saint-Jacques s'élevait rue Saint-Jacques, à la hauteur de la rue Soufflot actuelle. — La porte Saint-Michel fermait la rue de la Harpe à son extrémité méridionale; la fontaine qui a été démolie pour le percement du boulevard Saint-Michel indiquait très exactement sa place. La porte Saint-Jacques et la porte Saint-Michel furent détruites en 1684. Enfin, le couvent des Chartreux se trouvait à l'endroit où commence la seconde moitié du jardin actuel du Luxembourg.