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sairement professer la religion catholique. C'était là, au reste, une des règles fondamentales adoptées par l'Université; elle ne souffrait d'exception qu'en faveur des élèves externes, et encore étaient-ils aussitôt chassés, s'ils se permettaient de s'entretenir avec qui que ce fût des principes de la Réforme1.

Le cardinal avait très expressément ordonné que le droit de désigner les élèves appartiendrait « à l'aisné de ceux qui porteroient son nom et ses armes 2. » Mais la fondation ayant été réputée royale, les premières nominations furent faites par Louis XIV.

Les dortoirs étaient inconnus au collège des Quatre-Nations. Chaque élève avait sa chambre. La distribution des logements était faite au commencement de l'année par le grand-maître qui, autant que possible, réglait le partage de manière à placer ensemble les écoliers d'une même nation.

Les chambres avaient toutes à peu près la même dimension et étaient éclairées par une seule fenêtre. Le mobilier, semblable dans toutes, se composait d'un lit, d'une table, et de trois chaises de paille. Le lit, en bois de chêne, avait six pieds de long sur trois de large; un traversin rempli de plumes, une paillasse et deux matelas recouverts de futaine le garnissaient 3. Les rideaux étaient de serge d'Aumale verte, et bordés par un large galon.

La serge avait été achetée à Saint-Denis, en 1688, pendant la célèbre foire du Landy, et il en avait fallu quinze cent cinquante aunes; on eut le même jour soixante pièces de galon. Les matelas engloutirent deux mille quarante-huit livres de laine, les traversins quatre cents livres de plumes, et les paillasses trois quarterons de bottes de paille. On employa, en outre, deux cent qua

1. « Nemo a gymnasiarchis in collegio admittatur et hospitio excipiatur, qui religionem catholicam et apostolicam non amplectatur. Exteri qui adeunt collegia, studii causa, moneantur ne de nova religione sermones inter condiscipulos aut alios omnino conferant. Quod si neglexerint, aditu collegii prohibeatur. » Statuta Facultatis artium, art. 3.

2. Recueil de la fondation, p. 5.

3. Registre pour servir aux délibérations, etc. Archives nat., MM, 464.

rante aunes de futaine pour recouvrir les premiers, et quatre-vingtquatre aunes de coutil pour les seconds. Chaque paire de draps représentait six aunes de toile, et chaque douzaine d'essuiemains, quinze aunes '.

Somme toute, la dépense nécessaire pour l'achat du mobilier avait été évaluée à trente mille livres, que les exécuteurs testamentaires délivrèrent au procureur « en louis d'or et d'argent ayant cours 2. »

Jusqu'en 1737, les élèves travaillaient dans leurs chambres. A cette époque, on fit établir à l'extrémité de chaque corridor une salle d'étude qui réunit les écoliers pendant la journée 3.

Les chambres étaient d'ailleurs très fréquemment visitées par les sous-maîtres, qui confisquaient sans pitié tous les objets défendus. Après les mauvais livres et les bouteilles de liqueur, c'est sur les pierres à fusil et l'amadou qu'avait le plus souvent à se tourner leur colère.

Au réfectoire, les élèves se servaient de couverts d'argent qui étaient fournis par le collège, et qui portaient les armes de Mazarin 5. Le service était fait dans de la vaisselle d'étain, les nappes étaient jaunes et les serviettes « demy-blanches. » Une lecture à haute voix, que les élèves faisaient tour à tour, avait

1. Les quinze cent cinquante aunes de serge coûtèrent 1,880 liv. 10 s. les soixante pièces de galon, 49 liv. 5 s. 6 d. ; les deux mille quarante-huit livres de laine, 939 liv. 9 s. 9 d. ; les quatre cents livres de plumes, 300 liv. ; les bottes de paille, 27 liv. 10 s.; les deux cent quarante aunes de futaine, 230 liv. ; et les quatre-vingt-quatre aunes de coutil, 127 liv. 7 s. 7 d. Compte que rend M. Charles Tharel d'Allo, etc. Archives nat., H, 2,825. 2. Contrat passé, etc., p. 7.

3. Registre pour servir aux délibérations, etc. Archives nat., MM, 463. 4. C'était là une règle commune à tous les collèges de Paris, et qui devait s'appliquer même aux professeurs : « Gymnasiarchæ et collegiorum præfecti singulis mensibus lustrent cubicula, bibliothecas et libros magistrorum, quos regentes vocant, et scholasticorum, ut certiores fiant, an apud illos sint libri improbatæ doctrinæ, arma, aut alia ejusmodi disciplinæ scholasticæ repugnantia. » Statuta facultatis artium, art. XX.

5. Les sept douzaines de couverts coûtèrent, y compris la marque, 1,576 livres.

6. On acheta 24 douzaines d'assiettes et 7 douzaines de plats.

lieu pendant chaque repas. Le premier ouvrage acheté dans cette intention fut l'Histoire de France de Cordemoy, on lut ensuite la Vie des Saints, puis la Bible en latin.

L'analyse des registres qui renferment les dépenses de la cuisine fournissent des renseignements curieux sur l'élévation toujours croissante du prix des denrées alimentaires.

En 1689, le boulanger La Bretesche fournissait le pain au collège moyennant 1 sol 4 den. la livre.

Un muid de vinaigre coûtait 30 liv., et une voie de bois 13 liv. 5 sols.

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La livre de viande se payait alors 3 sols 6 d. 1. En 1697, elle est augmentée de 6 d. 2. En 1715, on la compte 6 sols 6 d. et en 1719, 9 sols. En 1773, elle était descendue à 8 sols 3, et en 1786 elle valait 10 sols 6. Le prix avait donc plus que doublé en cent ans.

En 1696, la chandelle ne se payait encore que 9 sols la livre 7.

Le collège consommait, année moyenne :

Dix-huit mille livres de viande.

Soixante-dix têtes de veau 8.

Sept cent quatre-vingt-cinq livres de beurre 9.

Cent trente-six livres de lard.

Huit minots de sel.

Les autres dépenses se répartissent ainsi :

Vin, sept mille livres environ. Il provenait toujours de Joigny, d'Auxerre ou d'Orléans.

1. Compte que rend Mc Charles Tharel d'Allo, etc. Archives nat., H, 2,825. 2. Compte que rend Mo Charles Tharel d'Allo, etc. Archives nat., H, 2,826. 3. Compte que rend Jean-Robert Golier, etc. Archives nat., H, 2,829. 4. Compte que rend Nicolas Varnier, etc. Archives nat., H, 2,829. 5. Compte que rend messire Emmanuel-Clément-Chrétien Bruget, etc. Archives nat., H, 2,835.

6. Compte que rend messire André Raulin, etc. Archives nat., H, 2,842. 7. Compte que rend Me Charles Tharel d'Allo, etc. Archives nat., H, 2,826. 8. Compte que rend Jean-Robert Golier, etc. Archives nat., H, 2,828. 9. En 1776, le beurre coûtait vingt sols la livre. Compte que rend messire Emmanuel-Clément-Chrétien Bruget, etc. Archives nat., H, 2,836.

Pain, six mille livres.

Pois, lentilles, haricots, trois cents livres.

Vinaigre et moutarde, soixante livres.

Chauffage, dix-huit cents livres. Cette consommation se subdivisait ordinairement ainsi : quatre-vingt-quatorze voies de bois, quatre-vingts voies de charbon et quatorze cents fagots.

Chandelles, cinq cents livres.

Blanchissage, cinq cents livres.

Nous verrons plus loin où le collège puisait les fonds nécessaires pour faire face à toutes ces dépenses. On sait, en effet, que l'éducation y était entièrement gratuite; les écoliers recevaient même, sur les fonds de l'établissement, cent livres pour leur entretien personnel et leurs menus plaisirs 1. La faiblesse des grands-maîtres laissa peu à peu cette généreuse disposition s'altérer. C'est à Riballier que revient l'honneur d'avoir rendu à la fondation de Mazarin son véritable caractère.

Par suite d'abus qui, tolérés d'abord, avaient fini par se convertir en usage, les élèves en étaient arrivés à payer : en entrant, leurs meubles, sauf le lit; plus, soixante-douze livres pour un droit, dit de bienvenue, qui se distribuait entre les sous-maîtres et les domestiques. Puis, chaque année, soixante-douze livres pour les étrennes; un louis d'or pour le blanchissage; trente livres environ pour papier, plumes, encre et livres de classe; trente livres au moins pour « la chandelle qui sert à éclairer les élèves dans la salle d'étude et dans les chambres particulières; >> enfin, en cas de maladie, les visites du médecin, du chirurgien et la note de l'apothicaire. Riballier supprima toutes ces illégitimes redevances, mais il arrêta en même temps que les élèves cesseraient de recevoir les cent livres qui leur étaient attribuées par les lettres patentes 2.

Nemeitz, dans son ouvrage sur Paris, nous apprend qu'au collège des Quatre-Nations les écoliers « étoient nourris noblement

1. Lettres patentes de 1688, art. 8.

2. Registre pour servir aux délibérations, etc. Archives nat., MM, 464.

et instruits fondamentalement en toutes sortes de sciences 1. >> Nous avons dit ce qu'était la nourriture, voyons comment était organisée l'instruction.

Dans nos collèges actuels, chaque classe se compose de quarante ou cinquante élèves; au collège des Quatre-Nations, il y avait dix régents pour trente écoliers. Au premier abord, c'était tomber dans l'excès contraire. Hâtons-nous donc de dire que les cours étaient suivis par un grand nombre d'élèves externes, qui n'avaient aucun autre lien avec l'établissement. Depuis longtemps, tous les collèges de Paris ouvraient gratuitement leurs portes au public pendant l'heure des leçons; les écoliers qui profitaient de cette faveur portaient le nom de martinets 2, parce que, comme les hirondelles, ils volaient longtemps d'un endroit à l'autre avant de se fixer. Au dix-septième siècle, le collège des Quatre-Nations était celui de toute l'Université qui recevait le plus d'auditeurs de ce genre 3. Il devait en grande partie cette préférence à son cours de mathématiques, car c'était le seul collège de Paris où les sciences fussent réellement enseignées 4.

La division des classes, leur dénomination même, étaient exactement celles qui sont adoptées aujourd'hui. L'ordre numérique se suivait sans interruption depuis la sixième jusqu'à la rhétorique; venaient ensuite la classe de mathématiques, puis celles de physique et de logique, toutes deux désignées sous le nom de philosophie 5.

1. J.-C. Nemeitz, Séjour de Paris, c'est-à-dire instructions fidèles pour les voyageurs de condition, t. II, p. 392.

2. Les écoliers appelés martinets « sont ceux qui n'étant enfermés dans aucun collège, mais logeant en maison bourgeoise, sortent de dessous les yeux du maître dès que la leçon est finie. » Crevier, Histoire de l'Université, t. VI, p. 33. Voyez aussi Félibien, Histoire de Paris, t. II, p. 1058. 3. Lerouge, Curiosités de Paris, t. II, p. 137. — Nemeitz, Séjour de Paris, t. II, p. 392.

4. D'après les statuts de 1698, on devait, dans les collèges, enseigner aux écoliers, pendant la seconde année de philosophie, quelques livres d'Euclide.

5. Séb. Mercier, Tableau de Paris, t. V,

p.

142.

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