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cabinet du Louvre. » En 1692, Louvois résolut d'ouvrir deux fois par semaine la Bibliothèque du roi « à tous ceux qui voudroient y venir estudier, » et pour fêter le jour de l'ouverture, il «< régala plusieurs sçavans d'un magnifique repas 1. » Diverses causes firent presque aussitôt interdire l'entrée de cet établissement, et en 1734 l'Almanach royal avoue que les travaux ordonnés pour l'embellir n'avaient « pas encore permis de le rendre public 2. » C'est seulement en 17363, par conséquent près de cent ans après l'initiative prise par Mazarin, que la Bibliothèque du roi fut réellement ouverte aux lettrés. Elle avait même été précédée dans cette voie par trois des bibliothèques de Paris celle de l'abbaye de Saint-Victor, qui fut publique dès 1652, celle des Avocats en 1708 5, et celle de la congrégation de la Doctrine chrétienne, qui le devint en 1718 6.

A l'époque qui nous occupe, il n'y avait encore dans toute l'Europe que trois bibliothèques où les savants eussent un facile accès, et ces fondations étaient citées comme des exemples d'une magnificence et d'une générosité inouïes 7. C'était la bibliothèque Ambrosienne, fondée à Milan vers 1608 par le cardinal Fr. Borromeo ; celle de Th. Bodley, à Oxford, ouverte vers

1. Mercure galant, novembre 1692, p. 320.

2. Page 314.

3. « Quoique les travaux qu'on fait faire à la bibliothèque du Roi ne soient pas encore finis, on ne laisse pas d'y recevoir les mardis et vendredis jusqu'à midi ceux qui y vont pour étudier. » S. de Valhébert, L'agenda du voyageur à Paris, p. 68.

4. Voy. A. F., Les anciennes bibliothèques de Paris, t. I, p. 156.

5. Ibid., t. III, p. 171.

6. Ibid., t. II, p. 394.

7. Wannemaker décrit ainsi les impressions que lui avait laissées une visite à l'Ambrosienne : « Cœpi autem oculos avide circumferre ad libros, ad ædificia, ad structuras, ad humanæ vix potentiæ monumenta. Stupeo dum narro, et necdum satis oculis meis credo, atque idemtidem me an viderim interrogo. Ducor per omnia et singula. Quid primum mirer ?... » Triumphus litteratorum, p. 85. - Voy. encore: Eryc. Puteanus, De usu fructuque bibliothecæ Ambrosianæ, Milan, 1605, in-8.

L. Jacob,

8. P.-P. Boscha, De origine et statu bibliothecæ Ambrosianæ. Traicté des bibliothèques, p. 166. — G. Naudé, Mascurat, p. 242. — J.-F. Jugler, Bibliotheca historiæ litterariæ selecta, t. I, p. 307.

16121; et la bibliothèque Angélique, qu'Angelo Rocca avait établie à Rome en 16202. Du temps de Sauval, la première de ces collections ne renfermait que douze mille volumes et neuf mille manuscrits, les deux autres étaient moins riches encore". Naudé ne peut cependant se lasser de les admirer, et dès qu'il en parle, l'enthousiasme le saisit. Pénétrons avec lui dans une des salles de l'Ambrosienne, il va nous initier à ce qu'était alors le service public d'une bibliothèque : « N'est-ce pas une chose du tout extraordinaire qu'un chacun y puisse entrer à toute heure presque que bon luy semble, y demeurer tant qu'il luy plaist, voir, lire, extraire tel autheur qu'il aura agréable, avoir tous les moyens et commoditez de ce faire, soit en public ou en particulier, et ce sans autre peine que de s'y transporter és jours et heures ordinaires, se placer dans des chaires destinées pour cet effet, et demander les livres qu'il voudra feuilleter au bibliothécaire ou à trois de ses serviteurs, qui sont fort bien stipendiez et entretenus, tant pour servir à la bibliothèque qu'à tous ceux qui viennent tous les jours estudier en icelle . » On voit qu'au point de vue du service, les bibliothèques publiques n'ont eu aucun progrès à faire depuis 1643. Mais comme nous ne voulons humilier personne, nous avouerons que l'Ambrosienne ne possédait point de catalogue; son fondateur, il est vrai, avait défendu qu'on en dressât un.

Pour nos savants de France, c'était une assez triste consolation de savoir qu'en Angleterre ou en Italie ils trouveraient de belles bibliothèques disposées à communiquer leurs trésors. Richelieu avait compris toute l'importance de ces précieuses fondations au milieu des intrigues et des luttes qui usaient sa vie et entravaient ses desseins, il songeait à doter la France

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1. G. Naudé, Advis pour dresser une bibliothèque, p. 154. L. Jacob, Traicté des bibliothèques, p. 264. J.-F. Jugler, Bibliotheca, t. I, p. 254.

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2 G. Naudé, Advis pour dresser une bibliothèque, p. 153. 3. Sauval, Antiquités de Paris, t. II, p. 180.

4. G. Naudé, Advis, etc., p. 154.

d'un grand établissement où les « hommes de lettres et d'érudition» fussent admis en toute liberté. La mort ne lui permit pas de réaliser ce projet que son testament nous a révélé : « Mon dessein, y est-il dit, est de rendre ma bibliotèque la plus accomplie que je pourray, et la mettre en estat qu'elle puisse non seulement servir à ma famille, mais encores au publicq... Je veux et ordonne que le bibliotécaire soit tenu de conserver ladite bibliotecque, la tenir en bon estat, et y donner l'entrée à certaines heures du jour aux hommes de lettres et d'érudition pour veoir les livres et en prendre communication dans le lieu de ladite bibliotecque, sans transporter les livres ailleurs 1. »

L'historien de Thou avait eu la même pensée vingt-cinq ans auparavant. En mourant (mai 1617), il avait confié sa bibliothèque à Pierre Dupuy, qui était chargé de la remettre plus tard aux fils du défunt, l'intérêt de la famille comme celui des lettres exigeant qu'elle ne fût ni dispersée ni vendue. De Thou voulait, en outre, que le bibliothécaire la tînt à la disposition de ceux qui désireraient y avoir recours 2. Cette admirable collection ne fut cependant jamais ouverte qu'aux amis de Pierre Dupuy, et après bien des vicissitudes, elle finit par être vendue aux enchères (1789).

Une tentative du même genre s'était produite à Rouen en 1634. L'archevêque de cette ville, François de Harlay, avait donné au Chapitre toute sa bibliothèque, conservée au château de Gaillon, et qui fut apportée à Rouen dans six grands tonneaux. Le donateur y ajoutait six cents livres de rente destinées à acheter des livres et à payer un bibliothécaire, car il entendait que cette collection « fût ouverte aux chanoines depuis le lever du

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1. Testament de Richelieu. Archives nationales, série S, carton no 6,212. Voy. A. F., La Sorbonne, etc., p. 244 et s.

2. «Bibliothecam meam, quam integram conservari non solum familiæ meæ sed etiam rei litterariæ interest, dividi, vendi ac dissipari veto... Ejus custodiam Petro Puteano, cognati meo, et multis nominibus mihi caro, donec filii adolescant committo, qui et libros manuscriptos iis qui opus habebunt utendos dare poterit, modo de illis restituendis idonee caveatur. »

soleil jusqu'au soleil couché, ainsi qu'aux personnes doctes et studieuses et aux étrangers 1. »

Mazarin s'inspira de ces généreuses initiatives. Tous les jeudis 2, le matin de huit à onze heures, et le soir de deux à cinq heures, sa bibliothèque était « commune à tous ceux qui y vouloient aller estudier 3, » et le bibliothécaire mettait à leur disposition et ses livres et ses connaissances bibliographiques.

Au reste, si le succès d'une institution suffit pour en démontrer le mérite et l'opportunité, celle-ci eut bientôt sa sanction. Elle comblait une lacune réelle, « au grand contentement des doctes, » qui se jetèrent avidement sur ces milliers de volumes. Chaque jeudi, quatre-vingts ou cent personnes venaient y travailler. Auberoche, dans sa Juliade, nous a conservé le nom des écrivains qui y étaient le plus assidus, et cette liste des premiers habitués de la bibliothèque Mazarine est curieuse à bien des titres. Avant tous, on nous présente l'illustre adversaire de Descartes, Gassendi 5, qui était depuis longtemps l'ami intime du bibliothécaire 6. Viennent ensuite l'astronome Ismaël Boulliau 7 qui logeait alors avec Pierre Dupuy, autre ami de Nau

1. Abbé Langlois, Mémoire sur les bibliothèques des archevêques et du Chapitre de Rouen, dans Précis analytique des travaux de l'académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen pendant l'année 1851,

2. Gazette de France, no du 30 janvier 1644.
L. Jacob, Traicté des bibliothèques, p. 487.
3. L. Jacob, Traicté des bibliothèques, p. 487.
4. Ibid.

p. 505.

Naudé, Mascurat, p. 244.

5. Gassendi vint à Paris au commencement de l'année 1641. Depuis 1633, il vivait en Provence. Bugerel, Vie de Gassendi.

Il possédait une biblio

thèque très riche en ouvrage sur la rhétorique. Rymaille sur les plus célèbres bibliotières de Paris, vers 35.

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6. Gui Patin, Lettre du 27 août 1648. - Voy., dans l'édition des Lettres de Naudé donnée par Lapoterie, les p. 142, 190, 221, 292, 349 et 421. Naudé et Gassendi se sont mutuellement dédié un grand nombre d'ouvrages. Voy., à la suite du Tumulus Naudæi de L. Jacob, la p. 18; dans la liste des œuvres de Naudé, les nos 12 à 58, et dans les Opera G. Naudæ dicata, les nos 1 à 10.

7. M. Petit-Radel, qui a traduit cette liste (Recherches sur les bibliothèques anciennes et modernes, p. 259), mais sans donner aucun renseignement sur les personnages qu'elle renferme, rend Bulialde par Bulliaud. Je ne trouve à cette époque aucun savant de ce nom. Ismaël Boulliau était

A

dé1; Guil. Colletet, le poète de Richelieu; un Boissieu 2, sans doute Denys Salvaing de Boissieu, président à la chambre des comptes du Dauphiné et possesseur d'une très belle bibliothèque composée surtout d'auteurs grecs 3; il devait travailler alors à son Histoire du chevalier Bayard, qui parut en 1651. On y voyait encore Antoine Aubery, l'historien de Richelieu et de Mazarin; le savant H. Grotius, qui publia à Paris, en 1644, ses Commentaires sur l'ancien et le nouveau Testament; Perrot d'Ablancourt, le trop fécond traducteur; Jean Aubert, l'exécuteur testamentaire de Descordes; Marc Vulson, sieur de la Colombière, auteur du Théâtre d'honneur et de chevalerie 6; ChantereauLefebvre, jurisconsulte et historien; enfin René Moreau, professeur à la Faculté de médecine, « autant estimé par son mérite que par son érudition 8. » Naudé qui, avec Gui Patin, avait suivi ses cours 9, était resté son ami et lui écrivait souvent 10. Moreau possédait une bibliothèque très précieuse11. Citons encore

de Loudun, mais il passa la plus grande partie de sa vie à Paris. Voyez les Mémoires de Niceron, et les Hommes illustres de Perrault. Il était d'ailleurs l'ami de Naudé, qui lui dédia en 1649 sa réimpression de l'ouvrage intitulé Scipionis Claromontii de altitudine Caucasi.

1. Huet, Commentarius de rebus ad eum pertinentibus, lib. I, p. 67.

2. Boissæus.

3. L. Jacob, Traicté des bibliothèques, p. 646.

4. Il donna en 1649 son Traité historique de la prééminence des rois de France. Voy. Niceron, Mémoires, etc., t. XIII, p. 303.

5. Après un long séjour en France, Grotius dut quitter ce pays, à son grand regret. (Voy. sa Lettre du 29 novembre 1624.) Il y revint en février 1635, comme ambassadeur de Suède, et y vécut jusqu'au 12 août 1645.

6. Il parut en 1648, et il est dédié à Mazarin.

7. Auberoche dit : Chantræusque Faber. M. Petit-Radel en fait deux personnages Chantreau et Fabri. Il y avait, il est vrai, à cette époque un Palamède Fabri, frère de Nicolas-Claude Fabri de Peiresc, le célèbre conseiller au parlement d'Aix, et un théologien nommé Fabri, qui mourut en 1688. Auberoche ne caractérise d'ailleurs son personnage que par l'épithète un peu vague de doctissimus.

8. Moréri, Dictionnaire historique, t. VII, p. 768.

9. Niceron, Mémoires pour servir à l'histoire, etc., t. IX, p. 77.

10. Voyez les Lettres 6, 10, 12 et 25 de Naudé.

11. Rymaille sur les plus célèbres bibliotières, vers 34. G. Naudé, Bibliographia politica, p. 6. —G. Naudé, Additions à l'histoire de Louis XI, p. 91. — L. Jacob, Traicté des bibliothèques, p. 546.

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