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1853, la bibliothèque possédait un calorifère. Elle ne put, d'ailleurs, jouir de ce bienfait que l'hiver suivant, car la dépense de son entretien n'avait pas été prévue dans le budget de 1852. Pour épuiser cette question, je dirai tout de suite qu'en 1865, on construisit un second calorifère, destiné aux pièces du rez-dechaussée et de l'entresol. Enfin, en 1881, on substitua à ces deux excellents appareils qui cumulaient le chauffage et la ventilation, un calorifère alimenté par l'eau chaude, procédé défectueux quand il s'applique à des salles où l'air a besoin d'être sans cesse renouvelé. Le chauffage de la bibliothèque coûte aujourd'hui en viron 2,700 francs par an.

L'année 1860 inaugure une série de faits qui, dans la vie si calme, si uniforme de la Mazarine, peuvent presque être qualifiés d'événements.

Le conseil municipal recherchait alors les moyens de dégager l'entrée de la rue de Seine. Dans les premiers mois de 1860, le préfet M. Haussmann, ennemi, comme on sait, des demi-mesures, soumit au Conseil un projet qui consistait tout simplement à démolir les deux pavillons de l'Institut. Le Conseil, toujours docile, se prononça à l'unanimité en faveur de la proposition. La Mazarine disparaissait du même coup, mais il était vaguement question de la transporter ailleurs.

L'affaire traîna en longueur, puis prit des proportions inattendues. La commission supérieure des bâtiments civils refusa de s'associer au vœu du préfet. Celui-ci tint bon, et le conflit finit par être porté devant l'empereur, qui manifesta le désir de visiter la Mazarine.

Il y vint le 6 mai. Reçu par l'administrateur, il parcourut la grande galerie pas à pas, d'un air distrait. Arrivé au bout de la salle, il sortit de son mutisme pour demander à Mérimée qui l'accompagnait, l'explication des modèles de constructions cyclopéennes exposés sur les tables 1; Mérimée pris, je crois, au

1. Voy. ci-dessous.

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dépourvu, répondit évasivement. J'écris ceci de souvenir, car humble attaché alors à la Mazarine, je m'étais joint au cortège. En somme, l'impression de l'empereur fut bonne, et il nous déclara en partant que les pavillons seraient conservés.

Mais on jugeait, en ce temps-là, qu'une si auguste visite devait laisser des traces durables dans l'établissement qui en avait été honoré. L'empereur avait admiré notre salle publique; on lui démontra qu'elle pouvait être embellie encore, et un crédit exceptionnel de quinze mille francs nous fut aussitôt accordé. On en profita pour supprimer la cloison qui coupait en deux la galerie1, et pour refaire une partie du plafond2. On dépensa cinq mille francs pour monter les cercles en cuivre d'un globe terrestre dont je parlerai plus loin, deux mille francs pour la construction du grand buffet qui meuble tout le fond de la salle, et huit mille francs pour le polissage des gaines et des bustes en marbre qui, remisés jusque là dans les caves, constituent aujourd'hui un des ornements de la galerie. Et puis, le ministère d'État, dans les attributions duquel la bibliothèque venait d'être placée 3, nous offrit gratuitement un portrait de Napoléon III, buste en marbre blanc qui, depuis 1870, est allé remplacer dans les caves ceux que l'original en avait fait sortir1.

La bibliothèque était restée fermée près de deux ans, et l'on

1. Voy. ci-dessus, p. 276.

2. Suivant M. de Ligny, alors architecte du palais, la galerie a un double plafond. Le premier repose sur les extrémités des poutres qui servaient d'arêtes à la voûte primitive; le second supporte presque entièrement le poids du premier, et est soutenu par des tirants de fer qui vont s'agraffer dans la toiture de l'édifice (Voy. ci-dessus, p. 221). A l'entrée de la salle, du côté de la place, une des solives de ce second plafond avait cédé. 3. Décret du 11 décembre 1861.

4. On lit sur la face antérieure du socle :

LE VI MAI MDCCCLX

L'EMPEREUR NAPOLÉON III

A VISITÉ CETTE BIBLIOTHÈQUE
ET EN A ORDONNÉ LA RESTAURATION

QUI A ÉTÉ EXÉCUTÉE

M. LE COMTE WALEWSKI ÉTANT MINISTRE D'ÉTAT.

Le buste est signé A. BARRE. 1861.

voit qu'en somme elle avait eu plus de peur que de mal. Mais, à peine échappée à un danger, elle allait en rencontrer un autre, et celui-là, elle ne réussit pas à l'éviter.

Un ancien député, très médiocre littérateur, devenu très médiocre politicien, avait été, de par la faveur impériale, improvisé administrateur de notre grande bibliothèque, celle de la rue Richelieu. La centralisation était alors fort en faveur, et dans les sphères officielles, chaque fonctionnaire centralisait de son mieux. Le nouvel administrateur se mit donc à centraliser. En avril 1860, il soumit à l'approbation de l'empereur un rapport qui fut, le 15 novembre suivant, converti en arrêté.

« Considérant, y est-il dit, qu'il importe que certaines collections partielles de différentes espèces, qui se trouvent dans les bibliothèques Mazarine, de l'Arsenal, de Sainte-Geneviève et de la Sorbonne, et qui y sont peu consultées et par conséquent peu utiles au public, soient centralisées à la Bibliothèque impériale............... » On ne voit pas très bien pourquoi elles avaient plus de chances d'être consultées rue Richelieu que quai Conti ou rue de la Sorbonne, mais on obtenait cet avantage incontestable, qu'en cas de sinistre, ces collections partielles ne formant plus qu'une collection générale, pouvaient au moins être anéanties tout entières d'un seul coup.

Après d'assez longs pourparlers, la Mazarine dut abandonner : 9 manuscrits turcs,

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qui furent incorporés à la Bibliothèque impériale.

Elle livra aussi 840 estampes environ. Mais arrivées rue Richelieu, l'on reconnut qu'elles y existaient déjà, et on les envoya à l'Arsenal.

L'arrêté reconnaissait encore à la Bibliothèque impériale le droit de saisir tout ouvrage imprimé qu'elle ne possédait pas, sous la seule condition de donner en échange, et à son choix, un de ses doubles. Cette dernière clause, plus insensée encore

que les deux autres, reçut à peine un commencement d'exécution. Voici comment elle est appréciée par l'administrateur actuel de la Bibliothèque nationale : « Les mesures prises à la suite de l'arrêté du 15 novembre 1860 n'ont donné que de médiocres et regrettables résultats; personne aujourd'hui ne voudrait s'en prévaloir, même à titre de précédent 1. »

Cette sage interprétation n'était pas de mise alors, et l'on s'évertuait à centraliser envers et contre tous, à tort et à travers. C'est ainsi qu'en 1864 la Mazarine fut forcée de céder aux Archives nationales deux registres manuscrits du Châtelet de Paris et quarante plans relatifs à l'abbaye de Saint-Denis. Il est vrai qu'elle reçut en échange trente et un ouvrages sans intérêt et dont plusieurs étaient dépareillés. Quelques mois après, elle dut, toujours sous prétexte de centralisation, céder encore au Musée du Louvre 2 une base de candélabre antique, qui portait une inscription bilingue, grecque et phénicienne 3. Le Louvre, au moins, n'offrit rien en échange 4.

Au mois de janvier 1863, le ministère d'État était devenu ministère de la Maison de l'Empereur et des Beaux-Arts; les bibliothèques en avaient été distraites et s'étaient vu replacées dans les attributions du ministère de l'Instruction publique. Ce

1. L. Delisle, Introduction, en tête du Catalogue général des imprimés de la Bibliothèque nationale, p. LXXIX.

2. Décret du 26 décembre 1863.

3. En 1870, la Mazarine dut encore céder au Musée du Louvre des « fragments antiques. » Elle reçut en échange « une copie du portrait du cardinal Mazarin, d'après un tableau du Musée de Versailles. » (Archives de la bibliothèque.) Cette copie est tellement ridicule que j'ai été contraint de la reléguer dans une pièce interdite au public.

4. M. de Longpérier, conservateur des antiques au Louvre, écrivait, le 20 décembre 1864, à M. de Nieuwerkerke, alors surintendant des BeauxArts: « M. Moissenet (chef de bureau aux musées impériaux) vient de me dire que vous désireriez savoir où en est le buste de l'empereur Napoléon III, que vous donnez à la bibliothèque Mazarine en échange de l'inscription phénicienne qui m'a été remise le 16 janvier dernier... »

Je ne trouve rien dans nos archives qui puisse laisser supposer qu'il s'agit ici d'un échange. Pour plus de détail, voy. L'histoire d'une inscription, par M. Héron de Villefosse, conservateur des antiques au Louvre. Mémoire lu à l'académie des inscriptions dans la séance du 4 janvier 1901.

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