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suite1;» il écrivait même le français assez purement pour envoyer des articles à la Gazette de Renaudot 2. Mais l'homme qui se voyait accusé en même temps de prodigalité 3 et d'avarice pouvait avec tranquillité s'entendre reprocher que « estant un pur ignorant, il n'a point ramassé ces livres pour lui, mais par vanité pure et simple, pour quelques personnes qui les voudroient lire. » Enfin, il avait bien le droit de sourire devant des injures comme celle-ci : « Pour excuser ton ignorance, tu as dressé en ton palais la plus superbe et somptueuse bibliothèque de la France. » Aubero che a défendu Mazarin par un seul vers:

Tot

Et tantos libros quis nisi doctus amet 6?

et, ne fût-ce que par vanité personnelle, tous les bibliophiles l'en remercieront.

Aucun historien pourtant n'a eu la pensée de nier l'enthousiasme du cardinal pour les arts, ni sa passion pour les livres. Nous savons qu'il voulait examiner, à mesure qu'on les lui achetait, tous les ouvrages destinés à sa bibliothèque. Naudé, avant de les classer, les rangeait sur un bureau placé au milieu de la grande galerie, et Mazarin, qui la traversait tous les jours pour se rendre à la chapelle, pouvait ainsi feuilleter chaque volume, parcourir « le titre et les principaux chapitres, » et admirer la reliure 7. Mazarin, d'ailleurs, n'eût pas manqué de bonnes raisons, s'il eût voulu répondre à ceux qui l'accusaient d'avoir rassemblé quarante-cinq mille volumes

1. Aubery, Histoire du cardinal Mazarin, t. III, p. 310.

2. Choisy, Mémoires, p. 175.

Aubery, Histoire, etc., t. IV, p. 402. 3. Voyez Inventaire des merveilles du monde rencontrées dans le palais du cardinal Mazarin, Paris, 1649, in-4°.

4. Dialogue de Rome et de Paris, p. 18.

5. Lettre du sieur Pepoly, escrite au cardinal Mazarin, 1649, in-4°, p. 7. 6. Eminentissimo principi Julio cardinali Mazarino, etc..., p. 10. 7. Aubery, Histoire, etc., t. III, p. 310.

Dont il ne leut jamais aucun,

Si ce n'est dedans l'inventaire

Que sans doute il en a fait faire 1.

Nous le verrons plus tard se faire lire Costar et Pascal quand des accès de maladie le forceront à interrompre ses travaux. Mais, jusqu'à l'époque qui nous occupe, il n'avait en effet pu donner que peu de temps à la lecture. Il lui avait fallu remplir seul la grande place laissée vacante par la mort de Richelieu, soutenir seul tout le poids des affaires politiques, lutter à la fois contre les menées de la cour et les intrigues de l'étranger. Il venait enfin (28 octobre 1648) de signer le célèbre traité de Westphalie, qui rendait à la France ses frontières du Rhin et la mettait à la tête de l'Europe. La gloire de ce traité fut étouffée par les cris de la bourgeoisie et les colères du Parlement. C'était la Fronde qui s'annonçait.

1. La Juliade, ou discours de l'Europe..., 1651, in-4o, p. 9.

CHAPITRE II

LA FRONDE

La Fronde.

la presse.

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Les mazarinades. Les bouquinistes du Pont-Neuf. Le Parlement à Saint-Germain. Il met Paris en état de défense, et ordonne la vente des meubles de Mazarin, la bibliothèque exceptée. Commencement de la vente. - Traité de Rueil. - Correspondance de Naudé avec Mazarin. La bibliothèque est menacée. - Naudé conseille à Mazarin de la donner à l'Université. — Mazarin rentre à Paris. Deuxième Fronde. Mazarin quitte de nouveau Paris. — Joie des Parisiens. Inquiétudes de Naudé. Le président Tubeuf, ami du cardinal, fait saisir le palais et la bibliothèque. — Lettre de Colbert.La tête de Mazarin est mise à prix et on ordonne la vente de la bibliothèque. Dans quelles conditions elle a lieu. - Mémoire adressé au Parlement par Naudé. Deux prête-noms du cardinal offrent d'acheter en gros toute la bibliothèque. Leurs propositions sont repoussées. Lettres de Naudé à Mazarin. Plaintes de Mazarin. Lettres de deux agents de Naudé. Lettres de Mazarin à Naudé, à Michel Le Tellier et à l'abbé Fouquet. Le roi ordonne de suspendre la vente. Le Parlement refuse d'obéir. La bibliothèque est anéantie. Nouvelle lettre de Naudé à Mazarin. — Acquisitions faites par Christine de Suède. Le duc d'Orléans est nommé lieutenant général du royaume. Le Parlement ordonne de vendre tous les objets d'art restant dans le palais. Nouvelles protestations du roi ; il ordonne la restitution de tous les objets vendus. Mazarin se retire, et Louis XIV fait sa rentrée à Paris.

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L'histoire de la bibliothèque créée par Mazarin est intimement mêlée à celle de la Fronde, cette étrange insurrection qui prit le nom d'un jeu d'enfant, et en somme ne fut guère que cela.

Pendant cette curieuse période de liberté, placée entre la sévère domination de Richelieu et le hautain despotisme de Louis XIV, les Parisiens ressemblent à une troupe d'écoliers qui, profitant de l'absence momentanée d'un surveillant, se dédommagent de la contrainte à laquelle ils ont été soumis, et donnent librement l'essor à leurs penchants. Renverser la royauté, ils n'y songent point; se réserver de sérieuses garanties pour l'avenir, ils ne s'en occupent guère : ils s'amusent. Dépourvus de toute éducation politique, ils se montrent tels qu'ils furent depuis en semblable circonstance, brouillons, bavards, galants, tapageurs, très braves à l'occasion. Mais le commerce s'arrête, les boutiques restent fermées faute d'acheteurs, les boulangers de Gonesse n'envoient plus à Paris leurs petits pains si blancs et si délicats. Alors les révoltés se sentent las d'une indépendance dont ils n'ont pas su régler l'emploi ; ils tournent les yeux vers ce maître qu'ils sont habitués à voir au-dessus d'eux, à voir penser et agir pour eux; ils accueillent avec toutes les démonstrations d'un frénétique enthousiasme celui qu'ils ont chassé dans un instant de mauvaise humeur, celui qu'ils ont poursuivi pendant cinq ans de leurs railleries et de leurs épigrammes. Et Mazarin, quoique au comble de la joie, quoique Italien, quoique prêtre, ne peut retenir l'expression de son mépris pour ce peuple qui courbe maintenant si bas la tête devant lui.

Nous ne raconterons pas cette étrange époque. Il nous suffira de la parcourir rapidement, en recueillant au passage les faits relatifs à notre sujet.

Le Parlement combattit d'abord seul. Le mobile auquel il obéissait ne suffisait pas pour ébranler la masse du peuple, qui pouvait difficilement en apprécier la portée. Une ressource politique fort élémentaire s'offrait alors, il suffisait de personnifier les vexations, les injustices, les abus de pouvoir, et, au lieu de présenter au peuple une abstraction, de désigner clairement un individu à sa colère. Le 22 septembre 1648, le président Blancmesnil déchira le voile, il s'écria que les troubles étaient causés

par un seul homme, et il le nomma; il demanda enfin au Parlement de renouveler l'arrêt de 1617. Cet arrêt, rendu contre la mémoire du maréchal d'Ancre, portait «< interdiction générale à tous estrangers de tenir estats, offices, bénéfices et dignitez en ce royaume 1. »

Dès lors, la guerre est définitivement engagée contre Mazarin. Insouciants au milieu de dangers qu'ils ignorent, les Parisiens s'essayent en riant au maniement d'une arme terrible, dont ils ne soupçonnent ni l'avenir ni la puissance. Pour renverser un ministre détesté, les uns élèvent des barricades, ceignent des dagues et des épées, brandissent des arquebuses et des hallebardes; les autres s'imaginent d'appeler à leur aide la presse, la presse politique, qui déchire ses langes et, plus libre dès le berceau qu'elle ne pourra jamais l'être, vomit contre Mazarin des milliers de pamphlets. Ils sortent on ne sait d'où. Les crieurs en ont chaque matin les mains pleines. Tout le monde se mêle d'en écrire, des écoliers dans leur collège, des commis libraires sur les comptoirs, des garçons d'imprimerie sur les tables des cabarets, des poètes râpés pour gagner un quart d'écu, même des servantes, s'il faut en croire Naudé.

Que reprochent-ils à Mazarin? D'abord d'être étranger, Sicilien, sujet du roi d'Espagne, et de s'exprimer, mal en français 2, voilà les grands griefs; d'être de très basse naissance et d'avoir été valet à Rome, ce qui n'est ni impossible ni déshonorant; enfin d'avoir gouverné toutes choses depuis six ans au grand scandale de la maison royale et à la dérision des nations étrangères 3, ce qui est absurde. Je ne parle pas d'accusations d'une

1. Arrest de la Cour de Parlement contre le mareschal d'Ancre et sa femme, p. 6.

2.

C'est merveille comme il desgoise
Quand il veut en langue françoise.
Il sçait fort bien dire, Buon iour
Comme vous pourtez-vous, Moussour,
Io vous fars pour assourance
Oun iour quelque bénévolance.

La Juliade ou discours, etc., p. 10.

3. Voyez la Requeste des trois Estats, 1651, in-4o.

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