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ment. Aussi Mazarin, qui n'avait dans ces conventions qu'une confiance limitée, alla passer en revue les armées de Flandre et d'Allemagne. Naudé, resté à Paris, continuait à veiller sur la bibliothèque, et tenait son maître au courant des dangers qui la menaçait. Le 24 mars il lui écrit :

Ayant eu advis certain que l'on vouloit recommencer ayant-hyer la vente des meubles et procéder à l'adjudication de la bibliothèque, j'en donnai advis par homme exprès à monseigneur le Chancelier, affin qu'il en parla dans la conférence à monsieur le premier Président, et qu'il le sollicita d'escrire à monsieur le président de Novion, qui préside en l'absence de monsieur de Belièvre, pour obtenir la surséance.

La lettre fut consignée dès le soir mesme à un nommé Béguin, valet de chambre de mondit seigneur le Chancelier, qui l'asseura qu'elle seroit rendue, comme je crois en effet qu'elle l'aura esté. Mais néantmoins, cet ordre ou prière de surseoir ne sont point venus, et ensuite l'on recommença hyer la vente des meubles. Et aujourd'huy matin, l'on a arresté que description seroit faicte de la bibliothèque par des libraires, en présence des commissaires nommez par le Parlement à la vente des meubles.

De quoi, Monseigneur, je n'ai voulu manquer d'advertir Vostre Eminence, affin qu'elle pourvoye à ce désordre comme elle jugera plus à propos; car si l'on commence cet inventaire, je prévois bien que ce sera avec le mesme désordre que celuy des meubles, et que par conséquent tout ira sans dessus dessous. Si la conférence devoit finir. bientost par une bonne paix, il est sans doute que ce seroit le meilleur remède, mais dans l'incertitude où l'on est de cette négociation, il est très nécessaire d'avoir recours à quelque autre par l'entremise de messieurs les députez du Parlement.

Lorsque l'on se plaint ici de ses violences, on respond que c'est par manière de représailles, et que le comte de Grancé et autres chefs font tous les jours pilier les maisons de campagne des conseillers, nonobstant la trève et conférence, et que plus de vingt ont desjà esté saccagées.

Cela a aussi donné lieu à faire des nouvelles recherches des meubles destournez, et j'ay ouy dire à un conseiller que l'on avoit treuvé le grand lict de velour cramoisy à galon et frange d'or, avec un autre ou dix-huict ou vingt grands plats d'argent. Chacun perd à ces hostilitez

qui ne servent de rien, et Vostre Eminence plus que tous les autres. Une bonne paix générale et particulière peut seule remédier à tout. Il m'est venu en pensée que, puisque Vostre Éminence n'a jamais fait sa bibliothecque à autre intention que pour la donner au public, elle pourroit antissiper le temps et la donner dès maintenant à l'Université, laquelle, comme il est à présumer, la pourroit sauver du naufrage, et luy en demeureroit esternellement obligée. Pour ce qui est du moyen et des conditions, selon que Vostre Éminence se résoudra, l'on y pourra penser et les exécuter avec diligence.

Je supplie Vostre Éminence de me vouloir faire sçavoir quelle sera sa volonté en cela et en toutes autres choses, et je ne manquerai de l'exécuter punctuellement et de luy tesmoigner en toutes occasions que je suis, Monseigneur, vostre très-humble, très-obéissant et très-obligé serviteur.

Nouvelle lettre le surlendemain :

G. NAUDÉ.

Le Parlement ayant arresté avant-hyer qu'inventaire seroit fait de la bibliothecque de Vostre Éminence par devant les commissaires commis à la vente des meubles, l'on nomma hyer trois libraires pour y travailler. Deux desquels ont esté proposez par moy, sçavoir M. Cramoisy, et Saunier, relieur ordinaire de ladite bibliothecque; et le troisième nommé Soubron, qui a sa bouticque au Palais, y a esté mis par l'un des commissaires. Aujourd'huy matin on leur a signifié l'arrest et donné ordre d'y travailler au plutost.

J'espère néantmoins de différer jusques à lundi, affin d'en pouvoir advertir Vostre Eminence et de luy donner le loisir de retarder, par les moyens qu'elle jugera à propos, ce commencement de désordre en la pièce qui luy doit estre la plus chère de toutes les autres, et qu'elle a plus d'intérest de conserver à la postérité, pour marque des bonnes intentions qu'elle a tousjours eu pour le public.

Il a couru ici je ne sçai quel bruict que Vostre Éminence l'avoit donnée au Roy. Mais jusques à présent il n'en paroit rien du tout, et quand bien cela seroit, il est quasi hors d'apparence que le Parlement, en cas de rupture, voulut avoir esgard à cette donation. En tout cas, il faudroit envoyer promptement quelque homme d'authorité de SaintGermain, qui fit apparoir à messieurs du Parlement une telle donation par instrument daté de deux ou trois jours après la paix signée, et qu'en suite il en prit possession et m'en donnât la garde au nom de Sa Majesté.

J'avois proposé à Vostre Éminence d'en disposer d'une autre façon, laquelle seroit peut-estre plus aggréable et moins suspecte au public, veu que plusieurs de ces messieurs ont quelquefois proposé entre eux d'en disposer de la sorte, c'est-à-dire de la donner à l'Université, laquelle j'ay fait solliciter sous main pour sçavoir si elle la voudroit prendre par engagement. Mais j'appréhende d'estre aussi malheureux en cette proposition comme je l'ay esté en celle des meubles, lorsque je proposai au plus ancien des commissaires de faire appeler le corps des fripiers et de les luy engager jusques à un certain temps et pour une certaine somme, qui estoit le plus expédient moyen pour en empêcher la dissipation.

Quoiqu'il en soit, si la conférence nous donne plutost la guerre que la paix, je supplie et conjure Vostre Éminence de m'ordonner ce qu'elle veut que je fasse dans un si fâcheux rencontre. Car cet inventaire ne pouvant estre fait sans un grand désordre, j'appréhende encore que le besoin d'argent qu'auront messieurs du Parlement pour subvenir aux frais de la guerre ne les porte à donner la bibliothecque toute entière, et sans se beaucoup soucier de finir l'inventaire, pour la première somme qu'on leur en offrira. Auquel cas, ce me seroit une grande consolation de me pouvoir gouverner selon les ordres de Vostre Éminence.

C'est pourquoy je la supplie de nouveau de me les vouloir donner en cas de rupture. Et je prierai Dieu, Monseigneur, en les attendant, qu'il vous comble de ses sainctes grâces, et après vous avoir fait trèshumble révérence, je demeurerai à jamais, Monseigneur, vostre trèshumble et très-obligé serviteur.

G. N. 4

Au mois d'août, Mazarin se décida enfin à rentrer dans Paris. Le ministre tout à l'heure si détesté fut reçu avec des transports d'allégresse. Il semblait, dit Mme de Motteville, que le passé fût un songe : « les uns disoient qu'il était beau, les autres lui tendoient la main et l'assuroient qu'ils l'aimoient bien, d'autres disoient qu'ils alloient boire à sa santé 2. »

La première Fronde était vaincue.

1. Ces deux lettres, extraites des archives du ministère des affaires étrangères, ont été publiées par M. Jean Kaulek, dans le Bulletin de la Société de l'histoire de Paris, année 1882, p. 82 et suiv.

2. Mme de Motteville, Mémoires, t. VI, Į

p. 118.

Un an après, la haine avait de nouveau remplacé cette chaleureuse affection. Gaston d'Orléans s'était mis à la tête des mécontents, et l'insurrection gagnait les provinces. Le Parlement se reprit à demander le renvoi du ministre. La reine refusa. Le premier président enjoignit alors aux dépositaires de la force publique de n'obéir qu'au duc d'Orléans: c'était enlever la régence à Anne d'Autriche. Mazarin crut devoir reculer devant l'orage. Le 6 février 1651, vers onze heures du soir, il alla prendre congé de la reine; puis, accompagné seulement de trois personnes, il sortit du Palais-Royal par la porte de derrière du jardin. Une troupe de cavaliers l'attendait à l'extrémité de la rue Richelieu, et il put arriver sans encombre à Saint-Germain 1.

La nouvelle se répandit promptement dans Paris. Cinquante pamphlets racontent aussitôt au public tous les détails de ce départ, et le commentent en prose et en vers pleins de gaieté.

Enfin il a ployé bagage

Ce tant renommé personnage 2,

tel était, pour citer l'un d'entre eux, le thème sur lequel ils brodaient à l'envie. La joie si vive qui avait salué la rentrée de Mazarin reparut pour chansonner sa fuite. Loret, dans sa Gazette, peint, avec plus d'esprit qu'il n'en rencontre d'ordinaire, l'allégresse qui remplit Paris quand cette glorieuse nouvelle y fut répandue :

Le lendemain en toute place,
Bourgeois, mestiers et populace
Montroient par des cris redoublez
L'aize dont ils étoient comblez.

Et l'on remarqua maint courtaut

1. Le Pot aux rozes descouvert..., p. 3. blées du Parlement..., 2e partie, p. 34. Le trou fait à la nuit, p. 6.

Suite du vray journal des assemBallades servant à l'histoire, p. 9.

2. Le Stratagesme, ou le pour et le contre du despart de Mazarin, p. 1.

Qui tournoit le vizage en haut,
Croyant qu'après cette sortie,
L'aloüéte toute rotie,

Sans rien faire et sortir d'illec,

Luy tomberoit dedans le bec'.

Les amis du cardinal pouvaient, cette fois, trembler réellement pour lui et pour eux. Le pauvre Naudé n'était pas sorti de Paris. «Le son des tambours, le bruit et le tumulte » ne lui permettaient plus de songer à ses études 2, et l'on comprend les angoisses qu'il dut endurer pendant ces jours de troubles où sa chère bibliothèque était sans cesse sous le coup d'un arrêt de vente. Aussi, «< il n'en sortoit guère que pour venir à la mangeoire 3, » et veillait sur elle comme une mère tendre sur un enfant en danger.

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Or, le 14 février, le nommé Mathieu, « servant d'ordinaire au palais de monseigneur le cardinal Mazarin, » vint trouver Naudé en son logis « dans la cour de l'abbaye S. Geneviefve, et le pria de passer le plus tôt possible chez le président Tubeuf. Naudé s'y rendit sur les huit heures et, « ayant appris du portier que le dit S n'estoit encore levé », il entra au palais Mazarin. Là, on lui dit que Tubeuf avait fait saisir le palais et tout ce qu'il contenait, pour sûreté d'une somme de 680,000 livres qui lui était due par le cardinal, qu'en conséquence il réclamait les clefs de la bibliothèque. Naudé n'entendait pas s'en dessaisir ainsi. Il courut tout inquiet chez Euzenat, intendant de Mazarin, et lui demanda conseil. Euzenat lui fit comprendre que Tubeuf n'avait jamais eu la pensée de s'emparer du palais, qu'il voulait seulement le protéger contre les arrêts du Parlement et les soulèvements populaires 5, et qu'il fallait consentir d'autant plus volon

1. Loret, Muze historique, no du 11 février 1631.

2. Naudé, Mascurat, p. 105 et 665.

3. Naudé, Mascurat, p. 272.

4. G. Naudé, Remise de la bibliothèque.

5. Aubery, Histoire du cardinal Mazarin, t. III, p. 233.

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