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du Brocken dans les montagnes du Harz. Emporté par les tourbillons du vent qui siffle et hurle sur les cimes désolées, en proie au vertige des brutales convoitises, tout le peuple de Beelzebuth se pousse et se presse vers les hauteurs infernales. La vieille Baubo, montée sur sa truie, ouvre la marche.

Qui est cette Baubo ?

MARCEL.

DIOTIME.

C'est la Baubo mythologique, la nourrice de Déméter qui, par un geste obscène, surprit un jour à la grave déesse un rire malséant. A la suite de Baubo, viennent grands et petits, animaux, esprits mauvais, hiboux, crapauds, limaces, feux des marécages, manches à balai, fourches et boucs immondes, toute l'engeance satanique.

Cela se presse et se pousse, glisse et clapote,

Siffle et grouille, tire et jacasse,

Cela reluit, écume et pue et flambe.

Un vrai train de sorcellerie!

Das drängt und stösst, das rutscht und klappert,
Das zischt und quirlt, das zieht und plappert!
Das leuchtet, sprüht und stinkt und brennt!
Em wahres hexenelement!

dit Méphistophélès avec un incroyable accent de réalité imitative.

Et ces paroles sont tout l'abrégé du vertige sabbatique où le poëte a voulu nous montrer la contre-partie et comme l'envers (passez-moi l'expression) de l'exaltation séraphique.

Le fantôme de Marguerite, soudain entrevu, ramène Faust au sentiment de l'horrible réalité. Il éclate en fureur. Il commande à Méphistophélès de le conduire vers l'infortunée jeune fille, de l'arracher au cachot, au supplice qui l'attend. Il s'élance sur les coursiers infernaux; il fend les airs; le voici dans la prison, il brise les chaînes de la pauvre Marguerite. Hélas! elle a perdu la raison. Elle chante comme Ophélie la chanson obscène; elle ne reconnaît plus son amant. Il se jette à ses pieds, il l'implore; le temps presse; l'aube du jour paraît, les noirs coursiers hennissent. Tout à coup Marguerite retrouve comme une lueur de souvenir. Elle reconnaît la voix de Faust. Est-ce toi? s'écrie-t-elle. Et elle se jette dans ses bras, et toute sa misère a disparu, et elle se croit sauvée.

Dans l'ivresse de son bonheur, elle s'oublie. Elle repose avec amour

sur le sein de son amant, de celui qu'elle a aimé plus que la vie, plus que l'honneur, mais non plus que Dieu. Soudain, comme il veut l'entraîner hors du cachot, elle aperçoit Méphistophélès qui paraît sur le seuil. Elle frémit, elle se détourne, elle s'arrache aux bras de Faust. Elle se rejette en arrière; elle s'abandonne à la justice de Dieu.

Gericht Gottes, dir hab' ich mich übergeben!

Elle appelle à son secours le chœur des anges. Sa voix est entendu e au ciel.

-Elle est jugée, dit froidement Méphistophélès.

Elle est sauvée, disent les voix d'en haut.

A moi! crie le démon, et il disparaît avec Faust.

Henri! Henri! Sur ce cri de Marguerite, tout vibrant à la fois de désespoir et de je ne sais quelle indicible espérance, tombe le rideau du premier Faust.

Le démon, le principe du mal, semble vainqueur, mais ce n'est qu'en apparence et dans les faits. Il est vaincu dans la vérité idéale des sentiments, doublement vaincu dans l'àme altière et puissante de Faust, dans l'âme tendre et simple de Marguerite. Le sens moral du drame reste encore voilé, suspendu; tout à l'heure, l'action va le reprendre et le mettre en pleine lumière. Nous allons voir, dans le second Faust, la morale, la philosophie, la religion de Goethe se développer, s'élever et resplendir d'un éclat épique.

VIVIANE.

Ne voudriez-vous pas vous reposer un moment? Vous semblez fatiguée ?

ÉLIE.

Prenez mon bras, Diotime; et faisons quelques pas sur la plage.

(La fin au prochain numéro.)

DANIEL STERN.

DE LA

CIRCULATION TÉLÉGRAPHIQUE

AUTOUR DU GLOBE

Si l'on en croit des signes qui ne peuvent être trompeurs, la génération actuelle verra s'achever le grand ouvrage qui doit embrasser le globe terrestre d'une ceinture de fils télégraphiques. Cette communication a été proclamée un besoin du temps; et, dans le fait, en présence de la transformation qui s'accomplit dans les conditions d'existence et les relations commerciales des continents et des mers, cette nécessité se fait sentir d'une manière de plus en plus impérieuse.

Les fils télégraphiques ont atteint déjà une extension colossale. Dans l'Amérique du Nord, ils vont sans interruption de Terre-Neuve jusqu'à la Colombie anglaise, et ils relient les rivages de l'océan Atlantique à ceux du Pacifique; en Europe et en Asie, ils s'étendent de Gibraltar jusqu'à Kiachta sur les frontières de la Mongolie, et de Scutari sur le Bosphore jusqu'à Ranguhn dans le royaume de Pégu, à l'embouchure de l'Irawaddy. Le nord de l'Afrique est déjà entré dans le grand système ; la colonie du Cap et l'Australie ont depuis longtemps leurs télégraphes, ainsi que quelques pays de l'Amérique méridionale. Mais, quoique ces fils parcourent déjà une étendue de plusieurs milliers de milles, ils ne forment encore que des tronçons, disjecta membra. Il s'agit de continuer sur un plan systématique, selon l'intérêt et les

besoins du commerce, ces parties isolées, d'envelopper le globe tout entier, d'achever enfin le télégraphe terrestre.

L'entreprise est difficile; mais la science et l'industrie ne connaissent de nos jours ni repos ni obstacles insurmontables. Il faut pour l'accomplir des sommes immenses; mais elles seront aisees à réunir, parce que le produit n'est pas douteux et que des avantages qu'on ne saurait estimer uniquement d'après les dividendes, sont de toute certitude. Le travail se poursuit sans relâche; les divers fragments s'achèvent l'un après l'autre, et l'on a pu lire récemment, qu'en novembre 1864, un télégraphe, qui s'étend de Chabaroffka, au fond de l'Asie orientale, c'est-à-dire depuis l'embouchure de l'Ussuri qui va du sud de la Mandchourie se jeter dans l'Amour jusqu'à Nicolajeffsk non loin du rivage de la mer d'Ochotska, a été livré au commerce. Dans la Sibérie, il reste encore de l'ouest à l'est une lacune à remplir, entre Irkurtsk et Kiachta, et le gouvernement russe, qui se pique aujourd'hui d'accorder aux intérêts commerciaux l'attention qu'ils méritent, s'est fait fort d'achever cette ligne d'ici à deux ans.

Quels progrès la télégraphie électrique a faits depuis cinquante ans! L'invention date, en effet, de l'année 1809; l'exécution de la courte ligne entre Baltimore et Washington ne remonte guère au delà d'un quart de siècle. En Angleterre, le premier établissement de fils électriques est de 1839; mais ce n'est qu'à partir de 1845 qu'ils ont reçu une extension considérable et d'une réelle importance pour le commerce.

Les Américains du Nord, qui ne manquent pas de vanité nationale et de forfanterie, ont revendiqué l'honneur de l'invention du télégraphe électrique, et persistent encore dans cette prétention quoiqu'elle soit contraire aux faits les mieux établis. Au congrès des naturalistes qui eut lieu à Bonn en 1857, un membre de l'Académie de Saint-Pétersbourg, M. J. Hamel, a démontré péremptoirement par les faits et la chronologie que cette invention, comme celles de la poudre à canon, de l'imprimerie, des horloges, est une invention allemande, et que l'Américain Morse n'y a aucun droit. On n'ignore pas que les autorités suprêmes de Washington lui ont reconnu la priorité et ont fixé la date de ses titres à l'année 1832; mais cela ne prouve autre chose qu'une parfaite ignorance des faits.

Il résulte, en effet, des recherches de M. Hamel, que Sommering produisit le 29 août 1809, devant l'Académie des sciences de Munich, le premier appareil électrique mû par le galvanisme, et qu'il en expliqua longuement les principes et le jeu. Il se servait de l'action

chimique du galvanisme pour transmettre des signaux à de longues distances; il développait des bulles d'eau dans des tubes rangés à côté les uns des autres, chaque tube marquant une lettre de l'alphabet, un chiffre, etc.

C'est donc Munich qui a vu le premier télégraphe galvanique. Le premier télégraphe électro-magnétique fut construit à Saint-Pétersbourg. Il était l'œuvre du baron Schilling de Cannstadt, qui s'était trouvé à Munich plusieurs fois en rapport avec Sommering. La grande dévouverte du Danois OErsted, relative à l'action de l'électricité sur le magnétisme, est de 1820; Schilling de Cannstadt essaya, peu de temps. après, de l'appliquer à l'art d'écrire à distance. Il parvint à établir, entre Saint-Pétersbourg et le château de Zarskoe-Selo, un télégraphe électro-magnétique à l'aide duquel on correspondait d'une manière commode et sûre. Le professeur Weber, de Goettingue, reprit l'invention en sous-œuvre et y fit, dès l'année 1833, des améliorations. Schilling donna, en 1835, une explication de son appareil au congrès des naturalistes de Bonn, et un Écossais qui assistait à cette assemblée, Fothergill Cooke, prit la résolution d'introduire la télégraphie électrique en Angleterre et de l'appliquer aux chemins de fer. Au commencement de 1837, il se mit en relation à Londres avec le physicien Wheatstone, et, le 25 juillet, ils firent ensemble leurs premières expériences sur le chemin de fer du nord-ouest avec un fil long de quinze milles. Mais, deux semaines auparavant, à Munich, Steinheil avait mis en communication le local de l'Académie des sciences avec l'observatoire de Bogenhausen et avec sa propre maison, située dans la rue Thérèse. L'année suivante, il démontra la possibilité de faire revenir par un télégraphe le courant galvanique à la batterie après avoir parcouru toute la terre.

Vers le même temps, Schilling crut avoir découvert un procédé d'isolement qui permettait de faire passer dans l'eau les fils de conduite. Il était précisément occupé à mettre Saint-Pétersbourg en communication avec Cronstadt par eau, et il venait de faire fabriquer un câble formé de plusieurs fils de cuivre isolés par son procédé, lorsque la mort l'enleva le 7 août 1837. On ne connaissait pas encore à cette époque la gatta-perstscha (tel est le nom malais); nous ne la possédons que depuis 1846, quoique les indigènes de l'Archipel indien l'emploient depuis des siècles à divers usages.

Quant au peintre américain Morse, voici son histoire. Revenant d'Europe, en 1832, il s'était lié sur le navire avec un de ses compagnons de voyage, le docteur Jackson, de Boston, et il en avait reçu

TOME XXXV.

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