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asiatico-américain sera d'ici à peu d'années un fait accompli. Il faut le reconnaître, c'est encore le génie allemand qui, par l'organe d'hommes tels que Schilling, Weber, Gaus, Steinheil et Jacobi, aura remporté ce triomphe et donné au mouvement humain cette impulsion. Mais d'autres peuples ont disputé de zèle avec l'Allemagne pour développer celte invention et en faire profiter l'espèce humaine. Quant aux effets incalculables que le télégraphe en se généralisant doit nécessairement exercer sur les relations intellectuelles des peuples comme sur leurs relations matérielles, nous assistons à peine à leurs manifestations premières; les résultats de cette révolution grandiose sont réservés à l'avenir.

(Traduit de l'allemand de CHARLES ANDREE.)

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TOME XXXV.

HISTOIRE

DES MOEURS AU MOYEN AGE

LES FÊTES D'ARMES DE LA BOURGEOISIE ALLEMANDE

Il est un fait des plus simples, sur lequel repose la force et la vitalité de la bourgeoisie allemande, c'est qu'un homme n'a de valeur et d'utilité réelle pour son pays que par son travail et par la manière dont il le fait servir au bien général.

Il a fallu, nous devons le reconnaître, dix-huit siècles à l'Allemagne pour établir la vérité de cet axiome, et aujourd'hui même la lutte dure encore dans les villes entre les particuliers et les corporations, et dans l'État entre la valeur personnelle des individus et les privilégiés de la naissance. Et cependant c'est seulement depuis que ce principe commence à pénétrer de toutes parts dans la société, dans les mœurs et dans la législation, que l'existence même de la nation peut être considérée comme assise sur une base inébranlable. Telle est, en effet, la lenteur du développement de l'esprit humain!

à

Les succès obtenus par les artisans dans le sein de cette bourgeoisie et la juste fierté que ces succès firent naître en eux, leur valurent peu peu la considération dont ils jouissent aujourd'hui. Affranchis par le travail, ils constituèrent bientôt la classe libre des bourgeois au milieu des autres classes de la société. Mais, loin de s'arrêter en si bon chemin, à l'habileté manuelle ils voulurent joindre la connaissance

scientifique; ils se posèrent ainsi en représentants du mouvement intellectuel, en gardiens des nouvelles institutions, en défenseurs de la civilisation, et devinrent bientôt le foyer des forces vives de la nation. Dès lors ils cessèrent d'être une caste à part, ils devinrent le peuple même.

Rien de plus instructif que de suivre le développement de ce sentiment de dignité personnelle, que de le voir s'éveiller et s'étendre par degrés dans la nation allemande. Quelque prospère que fût l'industrie, quelque développée que fût déjà la théorie du travail, les industriels n'en étaient pas moins méprisés sous la domination des Romains; mais dès cette époque les cités, avec leur riche civilisation représentée par des thermes, des temples, de somptueuses colonnades, renfermaient aussi les associations ouvrières avec leur maison, leur chapelle, leur caisse commune les corporations ouvrières du moyen åge trouvèrent ainsi leur modèle ou du moins leur origine dans des réunions d'esclaves affranchis, demeurés éloignés des affaires publiques et presque étrangers à ce sentiment de dignité personnelle qui crée les citoyens.

Le travail manuel ne fut pas plus en honneur lors de l'invasion des peuples germaniques; ils ne regardaient comme dignes d'un homme que les combats et la guerre, et méprisaient souverainement le pauvre, obligé de labourer la terre ou de forger les armes. Longtemps on considéra comme plus honorable de fournir aux besoins de sa famille par le vol et le pillage, que de travailler de ses mains pour gagner sa vie. De là ce manque de sécurité qui fut la cause première de la fondation des villes. Entourées de hautes et fortes murailles, elles servirent longtemps de refuge à la population des campagnes, exposée au brigandage des ennemis de leur pays, mais surtout opprimée par une multitude de petits tyrans qui infestaient la contrée. Pendant plusieurs siècles les villes furent elles-mêmes le théâtre d'agitations violentes, jusqu'à ce que les artisans se fussent affranchis (comme autrefois à Rome) du joug des patriciens qui les exploitaient sans miséricorde; mais après des luttes souvent sanglantes, les plébéiens finirent un jour par traiter d'égal à égal avec leurs fiers oppresseurs, et le bourgeois allemand, enrichi par son travail, relevé par ses études et le sentiment de sa propre valeur, se tint debout à côté de ses plus nobles seigneurs, libre comme eux et armé comme eux pour la défense de la commune patrie. A la fin du moyen âge, il était évident que c'était dans les villes que se développait et se fortifiait l'intelligence de la nation.

A cette époque l'organisation des métiers différait beaucoup de celle de nos jours. Tandis que les efforts de tous se concentraient vers un résultat commun, et que chaque ouvrier concourait à atteindre un but unique, que partout les étoffes, les modes, les prix étaient les mêmes, chaque individu sentait cependant s'éveiller en lui je ne sais quelle ambition créatrice et quel besoin de perfectionner la partie dont il s'occupait spécialement. Le peintre broyait bien lui-même ses couleurs, fabriquait ses vernis, mais il sculptait aussi sur bois et gravait sur le cuivre. Albert Durer vendait ses images à la foire et composait peut-être lui-même le texte qui les accompagnait. Lorsqu'on examine la construction des maisons ou des églises, l'harmonie de l'ensemble frappe les regards; mais ce qui surprend plus encore, ce sont les détails de l'architecture dans lesquels s'épanouissait le génie propre de chaque ouvrier, heureux de pouvoir se laisser aller à ses inspirations personnelles sans nuire à l'ensemble du monument. L'orfévre, qui était en même temps dessinateur et modeleur, mettait son orgueil à faire un petit chef-d'œuvre de chacun de ses ouvrages, et laissait passer dans son travail une étincelle de son âme.

Cette étroite union entre les traditions anciennes et les découvertes nouvelles fut un bienfait pour le travail et l'industrie des villes, dont elle développa le bien-être et la civilisation. Elles formèrent bientôt comme des oasis au milieu des campagnes, qui, condamnées à rester stationnaires, ne pouvaient s'associer à leurs élans vers une organisation plus parfaite. Longtemps la haine présida aux rapports entre les bourgeois fortunés et les hobereaux des campagnes.

Il était incontestable que le gentilhomme occupait dans la société un rang supérieur à celui de son humble voisin; mais si l'un primait par la noblesse de son sang et par son incessant besoin de guerroyer, par ses priviléges acquis ou ceux qu'il s'arrogeait, le bourgeois prenait sa revanche par son éducation, son savoir, sa richesse, et sans lui la nation serait restée dans les ténèbres de la barbarie, d'où il l'a fait enfin sortir.

C'est ainsi qu'il fut un auxiliaire puissant pour l'œuvre de la réfor mation et une victime de la guerre de Trente ans.

Cependant, même après les bouleversements de la guerre, l'artisan des villes, quelque appauvri et affaibli qu'il fût, se sentait fier encore de ses priviléges qui reposaient sur des titres dont on ne pouvait le dépouiller. Il s'efforçait de défendre contre toutes les attaques les priviléges de sa commune et de sa corporation, pendant qu'il restait lui-même abandonné à la merci du souverain; dès lors ses moyens

individuels furent affaiblis, et cet état se prolongea pendant de longues années. Non-seulement le commerce et l'industrie souffrirent, mais la théorie même de presque toutes les professions manuelles fut frappée de décadence ou du moins d'immobilité. L'art de la verrerie, la sculpture sur bois, l'architecture déclinaient; on ne bâtissait plus que des maisons basses, sans goût; l'imprimerie et la papeterie, qui souffraient déjà avant la guerre, restèrent stationnaires jusqu'à notre siècle ; il en fut de même pour la ganterie, l'orfévrerie et les fabriques d'armes. L'ébénisterie seule se soutint à cause du genre rococo, qui faisait déjà fureur à cette époque. Le tissage du damas se répandit à partir de 1650, quoique cette fabrication fût moins spécialement confinée dans les villes.· -Les nouvelles industries, celle des perruquiers, par exemple, si nombreux au xviie siècle, étaient pour la nation d'une importance douteuse.

Le changement que la guerre apporta dans les rapports entre les bourgeois et les étrangers fut aussi considérable dans l'intérieur même de leurs communautés.

L'esprit d'indépendance et d'individualisme, élément nécessaire au développement des capacités de l'homme, fut pour ainsi dire absorbé par les besoins de la défense commune sous les ordres d'un chef, et la guerre avec les désastres qu'elle traînait à sa suite vint peser lourdement sur toutes les intelligences, et arrêter dans les masses comme dans les individus le mouvement progressif qui ennoblissait la nation.

Cette transformation des intérêts de la bourgeoisie est un objet très-digne d'étude, et nous pourrons nous en rendre un compte suffisant en circonscrivant nos observations dans un cercle assez restreint. Nous nous bornerons à suivre la marche progressive ou rétrograde des fêtes d'armes des bourgeois allemands, et surtout de leurs grands tirs nationaux, où se déployaient la pompe, le luxe et l'hospitalité princière des villes et des États.

Il est une coutume allemande, plus antique que le christianisme, qui consiste à célébrer au mois de mai le réveil de la nature; cette fête a toujours été plus ou moins guerrière, par suite des superstitions du paganisme, qui voyaient dans le printemps une victoire remportée par les dieux sur les démons de l'hiver. D'abord ces fêtes furent données par la jeunesse belliqueuse des cités; peu à peu elles se modifièrent et devinrent des tournois. C'est ainsi qu'en 1279, à Magdebourg, sur les bords de l'Elbe, la Pentecôte fut célébrée d'une manière tout à fait chevaleresque, et sous les ordres du comte Bruno de Storenbeck, la jeunesse avait fait les préparatifs d'un immense tournoi dans l'île de

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