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tête. Arrivé devant les personnes auxquelles il devait lire ses vers, il se jetait à plat ventre devant elles. Biron, qui le tint toujours pour fou, se tenait les côtes de rire. »

Une autre question est de savoir si j'étais forcé de donner place à Tredjakowski dans mon roman. Oui, j'y étais forcé. Il fallait offrir un tableau exact du temps que j'avais entrepris de peindre. Tredjakowski en est une figure précieuse; sans lui le tableau ne serait pas complet. Or s'il y entrait, il fallait que ce fût avec ses traits véritables. Nous lui devons d'avoir appris à ses contemporains à faire des vers, et d'avoir introduit l'hexamètre dans la poésie russe; mais ce bienfait nous eût été moins lourd, si l'auteur ne nous avait infligé le supplice de sa Télémachide, dont le nombre des vers le rendait particulièrement fier.

Avec tout le respect que je dois à Puschkin, je suis forcé de dire que la justification de Biron me paraît de sa part un lapsus linguæ. Il avait le malheur d'ètre Allemand; mais pour tous ceux qui, depuis le czar Alexandre Michaïlowitsch, ont consacré leurs services à la Russie et ont rempli leurs fonctions avec zèle, la qualité d'étranger a été le con. traire d'un malheur. S'il leur est arrivé parfois de subir quelques injustices, c'est tout. Il me suffit de citer Lefort, Ostermann, Münnich, Mannstein, Brun et d'autres. Il faut répéter ce qu'on a dit bien souvent la Russie a eu, pendant des siècles, à combattre contre des voisins barbares et remuants pour fonder et maintenir sa position en Europe, et, placée sur la frontière de l'Asie, elle a reçu plus tard que le reste de l'Occident la lumière de la science. Voilà pourquoi les étrangers venus pour instruire la Russie dans les arts utiles, qu'il s'agît de l'armée, de la flotte ou de l'académie, et entrés dans le conseil des czars, ont toujours été accueillis comme des hôtes attendus et chargés d'honneurs. Leurs services ont reçu un prix proportionné. Quels sont ceux que Biron a rendus? Ce n'est pas parce qu'il était Allemand que son nom a servi à stigmatiser son temps; mais le peuple est toujours juste dans la dénomination d'une époque. Quant à son grand esprit et à ses rares capacités, nous attendons que l'histoire nous en fournisse la preuve encore à venir.

J'avais, je l'avoue, pris fort à cœur le reproche de Puschkin, surtout en ce qui concerne le caractère du temps et les mœurs du peuple, et ma réponse n'était peut-être pas exempte d'un peu de dépit. Un de mes amis, après l'avoir lue, me dit que je n'avais pas économisé les bonnes raisons et les expressions vives, mais que j'aurais dû m'en abstenir avec Puschkin. « S'en est-il formalisé? me demanda cet ami. -Je l'ai cru, répondis-je, car il y a longtemps que je n'ai entendu

parler de lui. » Mais Puschkin n'appartenait pas à ces enfants égoïstes de notre siècle, pour qui leur moi est au-dessus de la vérité. Il avait bien reconnu que la vivacité de mes expressions ne venait pas d'une mauvaise source, et il n'avait pas mal pris les expressions dont un autre aurait pu se blesser. Au contraire, passant par Twer dans un voyage (c'était, je crois, en 1836), il m'envoya du bureau de la poste le billet que voici; il était évidemment dicté par une sincère bienveil

lance :

« J'ai toujours espéré pouvoir vous remercier un jour de vive voix de vos bons sentiments pour moi, ainsi que de vos romans et des notices sur Pugatscheff que vous m'avez envoyés; mais les contre-temps me poursuivent. Je traverse Twer en malle-poste, et il m'est impossible de me présenter chez vous pour renouveler nos vieilles et courtes relations. Je remets ma visite au mois de septembre, c'est-à-dire à mon retour. Jusque-là je me recommande à votre souvenir et à votre amitié.

» A vous de cœur,

» PUSCHKIN. »

La date manque sur le billet. La fin me réjouit fort; elle témoignait de la bonne et noble nature de Puschkin. Elle renouvelait les relations que je croyais altérées par les lettres échangées entre nous.

Dans les derniers jours de janvier 1837, j'allai pour quelque temps de Twer à Saint-Pétersbourg. Le 24 et le 25, je me présentai chez Puschkin pour le saluer je ne le trouvai pas. Il m'était impossible de rester plus longtemps à Saint-Pétersbourg; je partis le 26 au soir. Le 29, Puschkin n'était plus.

:

La flamme avait déjà disparu de l'autel,

IVAN LASHAESCHNIKOW.

VARIA

NATIONAL SUNDAY LEAGUE. Il s'est formé une société en Angleterre pour obtenir de la législature l'autorisation d'ouvrir le dimanche les divers musées, les galeries et le Crystal-Palace. Voici un extrait de deux discours qui ont été prononcés à la dernière réunion publique de cette société.

M. Morrel, secrétaire, donna quelques détails sur les progrès accomplis par la ligue. Il dit que les démonstrations faites aux jardins de Kew et au CrystalPalace donnaient une preuve évidente de la sympathie publique. Le succès obtenu auprès de la Chambre des communes, qui avait permis de jouer de la musique dans les parcs, le dimanche, devait encourager à demander davantage. Les sabbatariens avaient été battus dans leur projet de faire arrêter les trains entre Edinburgh et Glasgow; nonobstant les ministres excentriques qui s'étaient postés dans les gares criant aux voyageurs qu'ils allaient droit en enfer, à 5 centimes par kilomètre, les sanctimonieux (sanctimonious) perdraient bientôt pied dans le pays.

Les promoteurs de la ligue ne croyaient pas que le dimanche, vingt-quatre heures sur vingt-quatre dussent être employées à des exercices de dévotion; et, cependant, ils étaient convaincus que leurs intentions étaient plus conformes aux vrais principes religieux que celles de leurs opposants. Les sabbatariens voulaient faire accroire que le but de la ligue était de faire ouvrir les théâtres et autres établissements analogues, le dimanche. Cette assertion était complétement fausse. Les promoteurs de la ligue ne demandaient, ne désiraient rien de pareil. Ils ne désiraient que ce qu'ils demandaient, et n'avaient aucun autre objet en vue. Quant à lui, il espérait que ceux qui le dimanche auraient la perspective d'un agréable après-midi, seraient plus exacts dans l'accomplissement de leurs devoirs religieux pendant la matinée. (Applaudissements.)

Le Dr Perfitt insista sur le fait que la question en litige était essentiellement

une question ouvrière; car pendant la semaine les ouvriers ne pourraient visiter les établissements dont on réclame l'ouverture sans perdre un jour de salaire Puisque la loi permettait l'ouverture d'innombrables jardins et lieux d'amusement où l'on vend des liqueurs fortes, c'était une anomalie monstrueuse que nos plus beaux établissements nationaux, ceux-là surtout où l'on ne débitait pas de l'alcool, fussent fermés le dimanche.

M. Siméon, un Français, parlant au nom des nombreux étrangers résidant à Londres, demanda la formation d'un comité d'étrangers qui travaillerait dans le même sens que le comité anglais de la National Sunday League.

M. Ilorton appuya la proposition qui fut votée à l'unanimité, moins une voix. Le secrétaire se crut en devoir d'expliquer que ni M. Siméon, ni les étrangers qu'il représentaient, ne désiraient en aucune façon faire ouvrir les théâtres pendant la nuit du dimanche.

(The Bee Hive New Paper.)

LES SHAKERS.

Le New-York Times décrivait récemment un service religieux chez les Shakers (secoueurs), nom que leur oat valu les danses religieuses dans lesquelles ils se prennent et se frappent les mains. Leur secte, métamorphose du puritanisme, a été fondée par Ann Lee, qui émigra d'Angleterre en Amérique sur la fin du dernier siècle avec dix de ses disciples.

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Bien qu'ils dansent ensemble le dimanche, les hommes et les femmes vivent à part pendant la semaine. Quoique voués au célibat, leur secte est à peu près la seule qui ait réussi à se maintenir aux États-Unis pendant une longue série d'années. Leur devoir principal est le travail. Ce sont d'opulents fermiers, leurs granges regorgent, mais leurs mains sont calleuses. Au « moude de l'humanité, pour employer une de leurs expressions favorites, ils fournissent du beurre excellent, des dindons gras et des bestiaux en bonne condition. Ils sont réputés très-honnêtes, mais ils en veulent pour leur argent. Dans la saison, les femmes shakers façonnent divers ornements et colifichets pour les dames qui viennent les visiter, et leur grande joie est alors de promener les petits citadins et les petites citadines. Comme les lieux où se pratique leur culte, leurs habitations sont trèssimples, mais agréables et d'une propreté scrupuleuse. Leurs chevaux et leurs troupeaux sont parfaitement soignés, leurs champs sont en plein rapport. Les hommes, parait-il, ont bonne mine, mais les femmes ont un air étrange, elles ont des faces vieillies et amincies; mais elles dansent avec une merveilleuse agilité. Le journaliste auquel nous empruntons ces détails, compta cinquante ou soixante femmes dans une réunion à laquelle il assista. Les quatre cinquièmes parmi elles avaient dépassé la quarantaine, et les trois cinquièmes au moins avaient plus de cinquante ans, il n'y avait que quelques jeunes femmes avec des figures påles, exténuées et presque sans vie. Leur objet est de vivre sans passions.

La secte décline, paraît-il; elle se maintient par des adjonctions du dehors; les fidèles pour la plupart se recrutent parmi les personnes qui ont souffert dans leurs affections. On met assez fréquemment des garçons en apprentissage chez eux. Leur vie est très-simple, ils s'habillent encore à la puritaine, et sont, somme toute, des gens très-inoffensifs et même utiles.

SED VICTA CATONI.

Le Dr Edwards, un ministre méthodiste dans le Vermont vient de refuser sa chaire à un de ses collègues du Nord, parce que, dit-il, le ravin entre l'Église du Sud et celle du Nord est trop large pour qu'on puisse jeter un pont par dessus. Je crois pleinement et saintement, a-t-il dit, en la divinité de l'esclavage. Dussé-je mourir dans une heure, et comparaître devant mon juge, Jésus-Christ, je prêcherais encore, sans réserve mentale quelconque, la doctrine de l'esclavage. L'esclavage a sa divine sanction dans les saintes Écritures. (Vermont Chronicle.)

TESTIMONIALS.

On sait la passion des Anglais pour donner et recevoir des présents par souscription publique (Testimonials).

Quand on présenta un testimonial à un homme pour avoir failli se noyer et s'être sauvé lui-même, on put croire avoir atteint l'idéal du genre. Les gens de Nottingham ont cependant inventé dans ce genre quelque chose de neuf. Ils sont à même de présenter un splendide service de table à lady Clifton « en témoignage de leur haute approbation pour les louables efforts et l'intérêt affectueux dont elle a fait preuve en travaillant à la réélection, comme membre du parlement, de son époux sir Robert Juckes Clifton, baronnet. » — Et après?

(Birmingham Polt.)

Il est curieux de noter les changements d'opinion de nos classes dominantes au sujet des ouvriers de nos manufactures. Les modifications ont été graduelles bien que rapides, les anciennes jalousies ont cédé pas à pas à des sentiments de confiance relative et de bienveillance réciproque.

Jadis aux yeux d'un tory cynique et grossier, l'ouvrier était un gredin monstrueux qui dépensait tous ses salaires en eau-de-vie, et qui rouait sa femme de coups pour se désennuyer. Les radicaux de parti pris nous dépeignaient les travailleurs comme des êtres pleins de sentiment, qui gémissaient avec élo

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