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moderne, et qui n'est apparu dans la littérature que plus tard, avec Rousseau. Aussi fait-il de lui le véritable maître de nos paysagistes modernes. Il est assez curieux que ce groupe de jeunes artistes qui, M. Cabat en tête, ont contribué à donner au paysage son accent nouveau, aient fait leur premier voyage pittoresque en Normandie, et que nous soient ainsi revenues par eux, de cette patrie du Poussin, la vérité et la poésie, bannies l'une et l'autre de la tradition classique et de la froide école des Bertin et des Valenciennes.

Sans partager toutes les idées de M. Clément, on peut applaudir sans crainte à des travaux aussi consciencieux et aussi intéressants que ces études sur les beaux-arts dans notre pays. Notre école française de peinture, pour n'avoir pas eu cette spontanéité de la peinture italienne ou de la peinture hollandaise, n'en est pas moins une grande école, en dépit de son caractère réfléchi et littéraire. N'eût-elle produit qu'un génie comme Poussin, elle mériterait d'être admirée, comme on admire notre tragédie à côté du drame anglais ou espagnol. Quant à notre peinture contemporaine, les efforts qu'elle fait pour trouver des voies nouvelles sont assurément très-dignes d'attention; et, d'un autre côté, il n'est sans doute pas inutile de rappeler la tradition à nos artistes en quête de nouveauté et livrés à la fantaisie.

J'en étais là quand m'est arrivé le nouveau volume illustré de M. Champfleury, Histoire de la caricature moderne. Voilà de quoi terminer cette chronique plus légèrement qu'elle n'a été commencée! On se rappelle que M. Champfleury a publié, le printemps dernier, un livre sur la caricature antique dont nous avons rendu compte. Ce livre-ci n'a pas le même genre d'intérêt et de curiosité. Il n'est plus question de faire connaître une partie de l'art de l'antiquité jusqu'à présent restée dans l'ombre; il s'agit du rameau le plus inférieur, sinon le moins fécond, de l'art contemporain. Cependant cette histoire de la caricature moderne a aussi son intérêt particulier, et ce n'est pas seulement par l'esprit et le dessin que valent les pages légères ou satiriques dont M. Champfleury vient de rappeler le souvenir accompagné souvent de leur fac-simile.

Quand nous voyons, dans le Charivari ou ailleurs, ces traits spirituels du crayon d'un Gavarni, d'un Daumier, d'un Cham, qui nous amusent aux esquisses de nos mœurs contemporaines ou à la satire des faits politiques, nous ne nous disons guère que ce sont là des pages d'histoire. Et cependant nos neveux chercheront sans doute un jour dans ces jeux du crayon de nos caricaturistes les traces de nos mœurs, de nos usages; tel détail oublié de notre histoire sociale n'aura peut-être laissé d'autre témoignage qu'une fantaisie de Cham dans une revue du mois ou de la quinzaine. Quant aux caricatures politiques, elles ne sont pas aujourd'hui bien méchantes; on a trop émoussé la pointe du crayon qu'on n'a pas brisé tout à fait. Mais il n'en a pas toujours été ainsi. Au commencement du règne de Louis-Philippe, on s'en souvient encore, la caricature politique fut, aux mains de la démocratie, une arme véritable, terrible aux transfuges, dangereuse au pouvoir. Les ministres et les familiers de la royauté bourgeoise en ont senti les coups trop bien aiguisés. De 1833 à 1835, l'étonnant Daumier est une puissance. On sourit aujourd'hui à voir ses croquis de figures politiques; mais

alors le trait entrait dans le vif. Il eut aussi des pages dramatiques. La caricature avait son Juvénal. La royauté eut peur; elle brisa l'arme; mais elle en garda la pointe dans son flanc.

M. Champfleury nous donne la biographie de nos célèbres caricaturistes, en même temps qu'il nous remet sous les yeux quelques-uns de leurs dessins. On apprend par lui à connaître Daumier, Traviès, Henry Monnier, Grandville, Gavarni; on revoit les types connus de Robert Macaire, de Mayeux, de Joseph Prudhomme; des masques d'anciens hommes politiques repassent devant nous. Le texte commente les dessins, l'auteur joint des portraits à la plume aux croquis du crayon. Entre cette Histoire de la caricature moderne, laquelle a dù coûter à l'auteur d'assez grandes recherches, et l'Histoire de la caricature antique, il reste une grande lacune que M. Champfleury promet de combler. Nous aurons les danses des morts, les sculptures satiriques des tailleurs de pierre du moyen âge, les caricatures de la Ligue, celles de 1789 et celles de la Restauration. L'étude que M. Champfleury vient de faire de la caricature moderne ne lui sera certainement pas inutile pour comprendre ces caricatures plus anciennes dont il faudra pénétrer le sens à l'aide de l'histoire.

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L. DE RONCHAUD.

P. S. Nous ne pouvons qu'annoncer aujourd'hui un journal nouveau qui paraît chaque semaine sous ce titre attrayant : l'Art (Lemerre, éditeur). Il a pour rédacteur en chef M. Louis-Xavier de Ricard, déjà connu comme directeur d'un recueil périodique, la Revue du Progrès, dont l'existence a paru au ministère public incompatible avec l'ordre. Le nouveau journal aura, nous l'espérons, une plus longue destinée. De jeunes critiques y traitent à leur façon les questions d'art et de littérature. La poésie paraît devoir y tenir une grande place; M. Catulle Mendès, M. Leconte de l'Isle sont parmi les rédacteurs. M. de Ricard est lui-même un poëte de talent. Il appartient à cette jeune phalange dont MM. Théophile Gautier et Leconte de l'Isle sont les chefs de file. Un volume qu'il vient de publier sous ce titre Ciel, rue et foyer, témoigne de l'ardeur de son imagination et du soin qu'il prend de la forme dans ses vers.

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