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Qui dans Thèbe ai reçu mille coups

d'étrivière,

Sans en avoir jamais dit rien ;

Et jadis en public fus marqué par derrière,
Pour être trop homme de bien.
SOSIE, bas, à part.

Il a raison. A moins d'être Sosie,

On ne peut pas savoir tout ce qu'il dit; Et, dans l'étonnement dont mon ame est saisie, Je commence, à mon tour, à le croire un petit. En effet, maintenant que je le considère, Je vois qu'il a de moi, taille, mine, action. Faisons-lui quelque question, Afin d'éclaircir ce mystère.

(Haut.)

Parmi tout le butin fait sur nos ennemis,
Qu'est-ce qu'Amphitryon obtint pour son partage ?

MERCURE.

Cinq fort gros diamans en noeud proprement mis, Dont leur chef se paroit comme d'un rare ouvrage.

SOSIE.

A qui destine-t-il un si riche présent?

MERCURE.

A sa femme ; et sur elle il le veut voir paroître.

SOSIE.

Mais où, pour l'apporter, est-il mis à présent?

MERCURE.

Dans un coffret scellé des armes de mon maître.

SOSIE, à part.

Il ne ment pas d'un mot à chaque repartie;
Et de moi je commence à douter tout de bon.
Près de moi par la force il est déjà Sosie;

Il pourroit bien encor l'être par la raison.
Pourtant, quand je me tâte, et que je me rappelle,
Il me semble que je suis moi.

Où puis-je rencontrer quelque clarté fidèle
Pour démêler ce que je voi?

Ce que j'ai fait tout seul, et que n'a vu personne,
A moins d'être moi-même, on ne le peut savoir.
Par cette question il faut que je l'étonne;

C'est de quoi le confondre, et nous allons le voir. (Haut)

Lorsqu'on étoit aux mains, que fis-tu dans nos tentes Où tu courus seul te fourrer.

MERCURE.

D'un jambon...

SOSIE, bas, à part.

L'y voilà!

MERCURE.

Que j'allai déterrer

Je coupai bravement deux tranches succulentes,
Dont je sus fort bien me bourrer ;

Et joignant à cela d'un vin que l'on ménage,
Et dont, avant le goût, les yeux se contentoient,
Je pris un peu de courage

Pour nos gens qui se battoient.

(Haut.)

bas, à part.

SOŠIE,

Cette preuve sans pareille
En sa faveur conclut bien;
Et l'on n'y peut dire rien,
S'il n'étoit dans la bouteille.

Je ne saurois nier aux preuves qu'on m'expose,
Que tu ne sois Sosie, et j'y donne ma voix.
Mais si tu l'es, dis-moi qui tu veux que je sois :
Car encor faut-il bien que je sois quelque chose.

MERCURE.

Quand je ne serai plus Sosie,

Sois-le, j'en demeure d'accord:

Mais tant que je le suis, je te garantis mort,
Si tu prends cette fantaisie.

SOSIE.

Tout cet embarras met mon esprit sur les dents,
Et la raison à ce qu'on voit s'oppose.
Mais il faut terminer enfin par quelque chose :
Et le plus court pour moi, c'est d'entrer là-dedans.

MERCURE.

Ah ! tu prends donc, pendard, goût à la bastonnade? SOSIE, battu par Mercure.

Ah! qu'est-ce ci, grands dieux ! il frappe un ton plus fort Et mon dos pour uu mois en doit être malade.

Laissons ce diable d'homme, et retournons au port. O juste ciel ! j'ai fait une belle ambassade !

Tome V.

D

MERCURE, seul.

Enfin je l'ai fait fuir; et, sous ce traitement,
De beaucoup d'actions il a reçu la peine.
Mais je vois Jupiter, que fort civilement

Reconduit l'amoureuse Alemème.

SCÈNE II I.

JUPITER, sous la figure d'Amphitryon ; ALCMÈNE, CLÉANTHIS, MERCURE.

JUPITER.

DÉFENDEZ, chère Alcmène, aux flambeaux d'approcher.
Ils m'offrent des plaisirs en m'offrant votre vue;
Mais ils pourroient ici découvrir ma venue,
Qu'il est à propos de cacher.

Mon amour, que gênoient tous ces soins éclatans
Où me tenoit lié la gloire de nos armes,
Aux devoirs de ma charge a volé les instants

Qu'il vient de donner à vos charmes.
Ce vol qu'à vos beautés mon cœur a consacré
Pourroit être blàmé dans la bouche publique ;
Et j'en veux pour témoin unique
Celle qui peut m'en savoir gré.
ALCMÈNE.

Je prends, Amphitryon, grande part à la gloire
Que répandent sur vous vos illustres exploits;
Et l'éclat de votre victoire

Sait toucher de mon coeur les sensibles endroits :

Mais, quand je vois que cet honneur fatal
Eloigne de moi ce que j'aime,

Je ne puis m'empêcher, dans ma tendresse extrême,
De lui vouloir un peu de mal,

Et d'opposer mes voeux à cet ordre surprême
Qui des Thébains vous fait le général.
C'est une douce chose, après une victoire,
Que la gloire où l'on voit ce qu'on aime élevé;
Mais parmi les périls mêlés à cette gloire,
hélas! est bientôt arrivé.

Un triste coup,

De combien de frayeurs a-t-on l'ame blessée
Au moindre choc dont on entend parler!
Voit-on, dans les horreurs d'une telle pensée,
Par où jamais se consoler

Du coup dont elle est menacée ?

Et de quelque laurier qu'on courronne un vainqueur,
Quelque part que l'on ait à cet honneur suprême,
Vaut-il ce qu'il en coûte aux teadresses d'un cour
Qui peut, à tout moment, trembler pour ce qu'il aime?

JUPITER.

Je ne vois rien en vous dont mon feu ne s'augmente;
Tout y marque à mes yeux un coeur bien enflammé;
Et c'est, je vous l'avoue, une chose charmante
De trouver tant d'amour dans un objet aimé.
Mais, si je l'ose dire, un scrupule me gêne
Aux tendres sentimens que vous me faites voir;
Et, pour les mieux goûter, mon amour, chère Alcmène,
Voudroit n'y voir entrer rien de votre devoir;
Qu'à votre seule ardeur, qu'à ma seule personne,
Je dusse les faveurs que je reçois de vous;

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