Images de page
PDF
ePub

Garder le décorum de la divinité.

Il est de certains mots dont l'usage rabaisse
Cette sublime qualité,

Et que, pour leur indignité,

Il est bon qu'aux hommes on laisse.

MERCURE.

A votre aise vous en parlez;

Et vous avez, la belle, une chaise roulante
Où, par deux bons chevaux, en dame nonchalante,
Vous vous faites traîner partout où vous voulez.
Mais de moi ce n'est pas de même ;

Et je ne puis vouloir, dans mon destin fatal,
Aux poètes assez de mal

De leur impertinence extrême,
D'avoir, par une injuste loi
Dont on veut maintenir l'usage,
A chaque dieu, dans son emploi,
Donné quelque allure en partage,
Et de me laisser à pied, moi,
Comme un messager de village;

Moi qui suis, comme on sait, en terre et dans les cieux,
Le fameux messager du souverain des dieux;
Et qui, sans rien exagérer,

Par tous les emplois qu'il me donne,
Aurois besoin plus que personne

D'avoir de quoi me voiturer.

LA NUIT.

Que voulez-vous faire à cela?
Les poètes font à leur guise.

Ce n'est

pas la seule sottise

Qu'on voit faire à ces messieurs-là.

Mais contre eux toutefois votre ame à tort s'irrite,
Et vos ailes aux pieds sont un don de leurs soins.

MERCURE.

Oui; mais, pour aller plus vite,
Est-ce qu'on s'en lasse moins?

LA NUIT.

Laissons cela, seigneur Mercure,
Et sachons ce dont il s'agit.

MERCURE.

C'est Jupiter, comme je vous l'ai dit, Qui de votre manteau veut la faveur obscure, Pour certaine douce aventure

Qu'un nouvel amour lui fournit.

Ses pratiques, je crois, ne vous sont pas nouvelles:
Bien souvent pour la terre il néglige les cieux;
Et vous n'ignorez pas que ce maître des dieux
Aime à s'humaniser pour des beautés mortelles
Et sait cent tours ingénieux

Pour mettre à bout les plus cruelles.
Des d'Alemène il a senti les coups;
yeux

Et, tandis qu'au milieu des Béotiques plaines,
Amphitryon, son époux,

Commande aux troupes Thébaines,

Il en a pris la forme, et reçoit là-dessous

Un soulagement à ses peines,

Dans la possession des plaisirs les plus doux.

Tome V.

B

[ocr errors]

L'état des mariés à ses feux est propice:
L'hymen ne les a joints que depuis quelques jours ;
Et la jeune chaleur de leurs tendres amours
A fait que Jupiter à ce bel artifice

S'est avisé d'avoir recours.

Son stratagème ici se trouve salutaire ;

Mais, près de maint objet chéri,

Pareil déguisement seroit pour ne rien faire ;

Et ce n'est pas partout un bon moyen de plaire, Que la figure d'un mari.

LA NUIT.

J'admire Jupiter, et je ne comprends pas
Tous les déguisemens qui lui viennent en tête.

MERCURE.

Il veut goûter par là toutes sortes d'états;
Et c'est agir en dieu qui n'est pas bête.
Dans quelque rang qu'il soit des mortels regardé,
Je le tiendrois fort misérable

S'il ne quittoit jamais sa mine redoutable,
Et qu'au faite des cieux il fût toujours guindé.
Il n'est point, à mon gré, de plus sotte méthode
Que d'être emprisonné toujours dans sa grandeur;
Et surtout aux transports de l'amoureuse ardeur
La haute qualité devient fort incommode.
Jupiter, qui, sans doute, en plaisir se connoît,
Sait descendre du haut de sa gloire suprême;

Et, pour entrer dans tout ce qui lui plaît,

Il sort tout à fait de lui même, Et ce n'est plus alors Jupiter qui paroît.

LA NUIT.

Passe encor de le voir de ce sublime étage
Dans celui des hommes venir,

Frendre tous les transports que leur coeur peut fournir,
Et se faire à leur badinage,

Si, dans les changemens où son humeur l'engage,
A la nature humaine il s'en vouloit tenir.
Mais de voir Jupiter taureau,

Serpent, cygne, ou quelque autre chose,
Je ne trouve point cela beau,
Et ne m'étonne pas si parfois on en cause.

MERCURE.

Laissons dire tous les censeurs :

Tels changemens ont leurs douceurs

Qui passent leur intelligence.

Ce dieu sait ce qu'il fait aussi bien là qu'ailleurs;
Et dans les mouvemens de leurs tendres ardeurs
Les bêtes ne sont pas si bêtes que l'on pense.

LA NUIT.

Revenons à l'objet dont il a les faveurs.

Si, par son stratagème, il voit sa flamme heureuse,
Que peut-il souhaiter, et qu'est-ce que je puis?

MERCURE.

Que vos chevaux par vous au petit pas réduits,
Pour satisfaire aux voeux de son ame amoureuse 9
D'une nuit si délicieuse

Fassent la plus longue des nuits;

u'à ses transports vous donniez plus d'espace,
Et retardiez la naissance du jour
Qui doit avancer le retour

De celui dont il tient la place.

LA NUIT.

Voilà sans doute un bel emploi
Que le grand Jupiter m'apprête!
Et l'on donne un nom fort honnête
Au service qu'il veut de moi!

MERCURE.

Pour une jeune déesse,
Vous êtes bien du bon temps!
Un tel emploi n'est bassesse
Que chez les petites gens.

Lorsque dans un haut rang on a l'heur de paroître,
Tout ce qu'on fait est toujours bel et bon ;
Et, suivant ce qu'on peut être,
Les choses changent de nom.

LA NUIT.

Sur de pareilles matières
Vous en savez plus que moi;
Et, pour accepter l'emploi,
J'en veux croire vos lumières.

MERCURE.

Hé! là, là, madame la Nuit,
Un peu doucement, je vous prie;
Vous avez dans le monde un bruit
De n'être pas si renchérie.

« PrécédentContinuer »