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pond le jeune roi........... Ainsi à l'Orient et à l'Occident, au sein de deux civilisations bien différentes, on voyait s'inaugurer dans les mêmes circonstances et à la même époque les deux plus grands règnes qui aient illustré l'Empire chinois et la Monarchie française.

Louis XIV et Khang-Hi eurent dans leur long règne des analogies bien remarquables; il serait curieux de faire le parallèle de ces deux grands souverains qui ont brillé d'un si vif éclat au milieu de leurs peuples. L'un et l'autre, parvenus au pouvoir au milieu des guerres et des discordes civiles, ils ont dû d'abord dans les premières années de leur règne pacifier l'empire, et se rendre redoutables aux puissances étrangères. Puis, après de longues luttes soutenues avec un grand génie et un courage indomptable, on vit Louis XIV et Khang-Hi, victorieux au dedans et au dehors, devenir l'un et l'autre comme un centre autour duquel se groupèrent toutes les gloires et toutes les illustrations de leur siècle.

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Quoiqu'il n'eût encore que quinze ans, disent «<les Annales de la Chine, Khang-Hi gouvernait avec <«< une sagesse et une application qui faisaient l'ad<< miration de ses sujets; soigneux d'éviter les fautes << ordinaires à la jeunesse, il n'était attentif qu'à se « faire aimer de ses peuples.... Les progrès qu'il fit « dans la tactique militaire et dans les lettres le <«< mirent au-dessus des plus habiles dans l'une et « l'autre carrière..... (1) » A peine eut-il pris les rênes du gouvernement qu'il prouva que pour être digne de régner un prince n'a pas toujours besoin du secours de l'expérience et des années. On raconte de lui, dès

(1) De Mailla, Histoire générale de la Chine, t. XI. p. 125.

cet âge, des faits que l'histoire a jugés dignes d'être conservés.

Un jour Khang-Hi, passant auprès d'une sépulture qu'il trouva dans un état peu convenable, s'informa de qui elle était. Les courtisans qui l'accompagnaient lui répondirent que c'était le tombeau de TchoungTching, dernier empereur de la dynastie des Ming. A ces mots, le jeune souverain tartare est subitement saisi d'une profonde émotion; il se jette à genoux, et, frappant la terre du front en signe de respect, il prononça ces paroles entrecoupées par des sanglots : « O << Tchoung-Tching! pardonne-moi tes malheurs; tu sais « que je n'ai pu en être la cause. Ce sont tes sujets qui t'ont trahi, et les iniquités de tes ministres qui << ont obligé tes serviteurs à nous appeler à leur se« cours... » Ce prince généreux fit ensuite brûler des parfums sur cette sépulture abandonnée; il donna des ordres pour qu'on y élevât aussitôt un beau mausolée, et assigna des sommes nécessaires afin que tous les ans on pût faire les sacrifices solennels au dernier représentant de la monarchie chinoise (1).

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L'empereur Khang-Hi se fit surtout remarquer dans sa jeunesse par un sincère amour de ses sujets et un profond sentiment de justice. Il n'hésitait jamais lorsqu'il rencontrait des innocents à protéger ou des mandarins prévaricateurs à punir. Étant un jour à la chasse, ce divertissement favori des Tartares, il s'écarta un instant des gens de sa suite et rencontra dans un sentier isolé un vieillard pleurant amèrement et paraissant plongé dans une affliction profonde. Le jeune em

(1) D'Orléans, Histoire des deux conquérants tartares, p. 148.

pereur descend de cheval, s'approche de cet infortuné et, sans se faire connaître, lui demande ce qui fait le sujet de sa douleur. -Ah! maître, répond le vieillard, à quoi bon vous entretenir de mon infortune? vous ne pourriez apporter de remède à mon malheur. — Ayez confiance, vénérable vieillard, peut-être vous serai-je de quelque secours; racontez-moi le sujet de votre affliction. - Puisque votre bon cœur vous porte à connaître ma misère, je vais vous la dire, maître : j'avais une petite propriété dans le voisinage d'une résidence impériale; le gouverneur de cette résidence impériale, trouvant mon bien à sa convenance, s'en est emparé et m'a réduit à mendier ma nourriture le long des chemins. J'avais un fils qui pouvait être un soutien à ma vieillesse; le gouverneur me l'a pris aussi pour en faire son esclave. Voilà, maître, le sujet de mes larmes.... Le jeune empereur Khang-Hi prit les deux mains de cet infortuné et lui dit : Calmez votre douleur, vénérable vieillard. Cette résidence impériale est-elle très-éloignée d'ici ? Cinq li, maître, répondit le vieillard. Hé bien, allons ensemble exhorter ce gouverneur et le prier de vous rendre votre fils et votre bien. Ah! maître, s'écria le vieillard avec l'accent du désespoir, ne vous ai-je pas dit que ce méchant homme est gouverneur d'une résidence impériale? Il ne serait prudent ni pour vous ni pour moi de l'aller trouver. Nous ne recevrions de lui que des insultes et de mauvais traitements. Ayez bon courage, reprit l'empereur, je suis déterminé à faire cette démarche, et j'espère qu'elle aura un bon résultat....

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Le vieillard voyait briller sur le front de ce jeune

inconnu tant de franchise et de noblesse qu'il prit confiance et dit qu'il était prêt à l'accompagner jusqu'à la résidence impériale. Maître, ajouta-t-il, je retarderai, sans doute, votre marche, car je suis vieux et mes jambes ne pourront suivre le pas de votre cheval.

C'est vrai, dit Khang-Hi, vous êtes parvenu à une vénérable vieillesse ; mais je suis jeune et fort, et je marcherai volontiers pendant que vous monterez mon cheval. Le vieillard ne pouvant se résigner à tant de bonté, Khang-Hi eut recours à l'expédient de le prendre en croupe derrière lui... Ils commençaient à chevaucher en cet état, lorsque arrivèrent quelques mandarins du cortége impérial. Le prince leur ayant adressé quelques paroles en tartare, ils s'éloignèrent aussitôt, non sans tourner quelquefois la tête pour admirer la surprenante allure de leur jeune empereur.

Khang-Hi ne fut pas plus tôt arrivé à la résidence impériale qu'il demanda le gouverneur. Celui-ci fut saisi d'étonnement et tomba subitement à genoux, lorsque le prince, en l'abordant, se dépouilla de son habit de chasse et fit voir le dragon impérial qu'il portait brodé sur sa poitrine. A cette vue le vieillard tout tremblant se précipita aux pieds de son protecteur, qui s'empressait de le relever avec affabilité, lorsque les princes du sang et les grands dignitaires qui suivaient l'empereur à la chasse débouchèrent tout à coup d'une vallée et vinrent se ranger en cercle autour de leur maître. Ce fut au milieu de cette nombreuse et brillante assemblée que le jeune Khan g-Hi voulut punir avec éclat ce mandarin prévaricateur. Après lui avoir adressé de sanglants reproches, il lui fit sur-le-champ trancher la tête. Puis, s'adressant

au vieillard, qui était comme pétrifié par tout ce qu'il venait de voir : - Vénérable vieillard, lui dit-il, je vous rends le fils et les biens qu'on vous avait ravis. Dès ce moment je vous institue gouverneur de cette résidence impériale; mais prenez garde que, la fortune venant à changer vos mœurs et vos sentiments, un autre ne profite un jour de vos injustices.

Tel était le jeune empereur qui venait de prendre si résolument les rênes du gouvernement et qui ne devait pas tarder à entourer de son estime et de sa protection les prédicateurs de l'Évangile dans l'Empire chinois.

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