Le loup, moins affamé, laisse en paix nos moutons. C'est peu: d'autres bienfaits enrichiront le monde; Les fruits seront plus beaux, la moisson plus féconde, Lorsque vous apprendrez de vos aïeux vainqueurs L'héroïsme guerrier et la loi des grands cœurs; Chaque Naïade alors versera de son urne Des flots de pur nectar, comme aux jours de Saturne; Une riche vendange, après d'amples moissons, Offrira des raisins jusque sur les buissons: C'est ainsi qu'aux mortels les faveurs destinées S'accroîtront par degrés et suivront vos années. Pendant ces premiers temps d'un plus bel univers, Des vaisseaux couvriront encor les vastes mers, Nos campagnes encor se verront labourées, Nos villes de remparts resteront entourées : Peut-être un autre Argo, sous un nouveau Tiphys, Portera des guerriers sur les champs de Thétis; Peut-être verra-t-on les murs d'une autre Troie Au fer d'un autre Achille abandonnés en proie: Mais ces restes légers de nos malheurs passés Disparaîtront enfin, pour toujours effacés, Dès qu'après l'heureux cours d'une jeunesse illustre La Parque filera votre cinquième lustre; Et quand, passant des jeux aux soins de votre rang, Vous marcherez égal aux dieux de votre sang, Rien ne manquera plus au bonheur de la terre; Nous n'irons rien chercher sur des plages lointaines; Fixeront en tout temps et Bacchus et Cérès; Les moutons, en paissant sur nos rives fertiles, Aux honneurs de vos ans tout se montre sensible, Le ciel est plus riant, Neptune est plus paisible; O jours! ô temps heureux! ô si les destinées Commencez, heureux fils d'une mère charmante, Commencez de répondre à sa plus douce attente; Par de justes retours comblez ses tendres vœux; Que vos premiers souris s'adressent à ses yeux. Pour vous l'Amour élève une jeune déesse Dont il vous offrira la main et la tendresse : Vivez, et que vos ans, égaux à nos désirs, Soient remplis et filés par la main des Plaisirs. NOTES. Ce ne sont point des bergers qui parlent dans cette pièce, c'est le poète lui-même, à qui des tons plus élevés sont permis. Quelques-uns le blâment d'avoir mis au rang des églogues un sujet si pompeux, et qui paraît plutôt du ressort de l'ode. Si Virgile eût été du sentiment de ses censeurs, nous y eussions perdu une de ses plus belles églogues. Un consul à vos jeux s'intéresse aujourd'hui. Pollion. Sur l'univers paisible il régnera comme eux. Cette prédiction pouvait-elle se faire d'un fils de Pollion, dont plusieurs interprètes soutiennent que Virgile chante ici la naissance? Elle ne convenait saus doute qu'à l'héritier présomptif de l'empire, au seul Marcellus, neveu d'Auguste, et adopté par cet empereur, qui n'avait point de fils. Au fer d'un autre Achille abandonnés en proie. Ce vers et les trois précédents sont allégoriques. Par eux Virgile indique les préparatifs de la flotte qu'équipaient les triumvirs, Octavien et Antoine, pour attaquer Sexte Pompée, fils du grand Pompée, qui soutenait eu Sicile les restes du parti républicain. Il fut défait dans un combat naval. Syracuse fut cette seconde Troie ; Octavien César fut ce nouvel Achille. Ces applications sont pleines de beautés : nous en devons la découverte au savant P. Catrou. Du beau sang de Vénus rejeton précieux. La fable romaine faisait descendre la famille des Césars de Vénus par Énée, fils de cette déesse. Pour vous l'Amour élève une jeune déesse. Julie, fille d'Auguste. Marcellus épousa cette princesse. Les prédictions de Virgile ne furent pas vérifiées dans toute leur étendue. Ce prince aimable, l'espoir et les délices de l'empire romain, mourut à la fleur de son âge. Le sixième livre de l'Énéide finit par une plainte très tendre sur la mort prématurée de ce jeune héros. |