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Rien n'avait pris votre poison;
Aux lumières de la nature
Les bergers bornaient leur raison.

Sur leur république champêtre
Régnait l'ordre, image des cieux.
L'homme était ce qu'il devait être,
On pensait moins, on vivait mieux.

Ils n'avaient point d'aréopages,
Ni de Capitoles fameux;

Mais n'étaient-ils point les vrais sages,
Puisqu'ils étaient les vrais heureux ?

Ils ignoraient les arts pénibles,
Et les travaux nés du besoin;
Des arts enjoués et paisibles
La culture fit tout leur soin.

La tendre et touchante harmonie
A leurs jeux doit ses premiers airs;
A leur noble et libre génie
Apollon doit ses premiers vers.

On ignorait dans leurs retraites

Les noirs chagrins, les vains désirs,
Les espérances inquiètes,

Les longs remords des courts plaisirs.

L'intérêt au sein de la terre
N'avait point ravi les métaux,
Ni soufflé le feu de la guerre,
Ni fait des chemins sur les eaux.

Les pasteurs, dans leur héritage
Coulant leurs jours jusqu'au tombeau,
Ne connaissaient que le rivage
Qui les avait vus au berceau.

Tous, dans d'innocentes délices,
Unis par des nœuds pleins d'attraits,
Passaient leur jeunesse sans vices,
Et leur vieillesse sans regrets.

La mort, qui pour nous a des ailes,
Arrivait lentement pour eux;
Jamais des causes criminelles

Ne hâtaient ses coups douloureux.

Chaque jour voyait une fête;

Les combats étaient des concerts;
Une amante était la conquête;
L'Amour jugeait du prix des airs.

Ce dieu berger, alors modeste,
Ne lançait que des traits dorés;
Du bandeau, qui le rend funeste,
Ses yeux n'étaient point entourés.

Les Crimes, les pâles Alarmes,
Ne marchaient point devant ses pas;
Il n'était point suivi des larmes,
Ni du dégoût, ni du trépas.

La bergère, aimable et fidèle,
Ne se piquait point de savoir;
Elle ne savait qu'être belle,
Et suivre la loi du devoir.

La fougère était sa toilette,
Son miroir le crystal des eaux;
La jonquille et la violette
Étaient ses atours les plus beaux.

On la voyait dans sa parure
Aussi simple que ses brebis;

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De leur toison, commode et pure,
Elle se filait des habits.

Elle occupait son plus bel age

Du soin d'un troupeau plein d'appas,
Et sur la foi d'un chien volage
Elle ne l'abandonnait pas.

O règne heureux de la nature!

Quel dieu nous rendra tes beaux jours?

Justice, Égalité, Droiture,

Que n'avez-vous régné toujours!

Sort des bergers, douceurs aimables,
Vous n'êtes plus ce sort si doux;
Un peuple vil de misérables
Vit pasteur sans jouir de vous.

Ne peins-je point une chimère?

Ce charmant siècle a-t-il été?
D'un auteur témoin oculaire
En sait-on la réalité ?

J'ouvre les fastes, sur cet âge
Partout je trouve des regrets;

Tous ceux qui m'en offrent l'image
Se plaignent d'être nés après.

J'y lis que la terre fut teinte
Du sang de son premier berger;
Depuis ce jour, de maux atteinte,
Elle s'arma pour le venger.

Ce n'est donc qu'une belle fable:
N'envions rien à nos aïeux;

En tout temps l'homme fut coupable,
En tout temps il fut malheureux.

On ne trouvera peut-être pas déplacés ici les vers suivants de J.-J. Rousseau. Le philosophe de Genève fut tellement ému à la lecture du Siècle Pastoral, qu'il entreprit de donner une suite à l'idylle de Gresset.

MAIS qui nous eût transmis l'histoire
De ces temps de simplicité?

Était-ce au temple de Mémoire
Qu'ils gravaient leur félicité?

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