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Et quand il aura tout conté

Sur Hochstett et sur Ramillies,

Comment on eût mieux fait, ce qu'on eût emporté

De gloire, d'immortalité,

Et de moustaches ennemies,
S'il avait été consulté;

Quand il aura bien exalté

Les antiques chevaleries,
Des maréchaux défunts dépeint les effigies,
La perruque et l'austérité,

Bien rabaché, bien regretté

Ses campagnes et ses orgies,

Des siéges où peut-être il n'a jamais été,
Des belles dont sans doute il n'a jamais tâté;
Enfin quand le bon homme aura bien répété
Les ennuyeuses litanies

Du temps passé, seul temps par lui toujours vanté;
Après qu'il aura joint à cette kyrielle

Ce que dans sa baraque il compte faire un jour,
Ses projets assez longs pour la vie éternelle,
Les mémoires qu'il doit présenter à la cour,
Et qu'à son ordinaire il aura dit sans cesse:

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« Le roi mon maître, mon canon;

Tout cela dit et fait, et deux ans qu'on lui laisse,
Par bienséance ou par tendresse,

Dieu veuille rappeler dans l'éternel dortoir
Le peu d'esprit qu'il peut lui voir,
Et, moitié marmottant sa courte patenôtre,
Moitié sur sa goutte jurant,

Nous l'endormir chrétiennement,
Et le clore hermétiquement

Pour son bonheur et pour le nôtre !
Si la rage du bruit et d'un frivole honneur,
Chimère des vivants, dans les demeures sombres
Tient aussi des vieux preux les sérieuses ombres,
Il peut être assuré que son cher successeur,
Plus jaloux qu'un parent d'orner ses funérailles,
Lui fera dresser de grand cœur

Toute la pompe des batailles;

Que, pour mieux décorer son convoi, son tombeau,
On empruntera de la ville

Ce qui peut manquer au château,
Prêtres, soldats, poudre, bedeau,
Et tout le funèbre ustensile;
Que vers son dernier domicile
Toutes les croix de Saint-Louis
Qui végètent dans le pays

L'accompagneront à la file;

Que tous les vieux fusils ce jour-là sortiront
De leur rouille et de leur poussière,

Et, s'ils le peuvent, tireront

Pour annoncer au loin sa marche funéraire;

Que son large écusson, sa croix, son cimeterre,
Le catafalque honoreront;

Et qu'enfin au sein de la terre
Ses reliques ne descendront
Qu'avec les honneurs de la guerre.

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1 Cette pièce a été souvent imprimée dans des journaux et dans plusieurs recueils, où elle est attribuée par les uns au marquis de Saint-Aulaire, et par d'autres à J.-B. Rousseau; les neveux de Gresset ont assuré qu'elle était de leur oncle.

Que d'objets dans ce paysage,
Malgré leur contrariété,

M'étonnent par leur assemblage!
Abondante frugalité,

Autorité sans esclavage,

Richesses sans libertinage,

Charges, noblesse sans fierté.
Mon choix est fait; ce voisinage
Détermine ma volonté :
Bienfaisance, divinité,
Ajoutez-y votre suffrage.
Disciple de l'adversité,

Je viens faire dans ce village
Le volontaire apprentissage
D'une tardive obscurité.
Aussi-bien de mon plus bel âge
J'aperçois l'instabilité;

J'ai déjà, de compte arrêté,
Quarante fois vu le feuillage
Par le zéphyr ressuscité;
Du printemps j'ai mal profité,
J'en ai regret; et de l'été

Je veux faire un meilleur usage.
J'apporte dans mon ermitage
Un cœur dès long-temps rebuté

Du prompt et funeste esclavage,

Fruit de la folle vanité.

Paysan sans rusticité, Ermite sans patelinage, Mon but est la tranquillité. Je veux, pour unique partage, La paix d'un cœur qui se dégage Des filets de la volupté. L'incorruptible probité, De mes aïeux noble héritage, A la cour ne m'a point quitté; Libre et franc sans être sauvage, Du courtisan fourbe et volage L'exemple ne m'a point gâté. L'infatigable activité, Reste d'un utile naufrage, Mes études, mon jardinage, Un repas sans art apprêté, D'une épouse économe et sage La belle humeur, le bon ménage, Vont faire ma félicité.

C'est dans ce port qu'en sûreté, Ma barque ne craint pas l'orage. Qu'un autre, à son tour emporté Au gré de sa cupidité,

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