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l'éloquence de l'esprit : il en est une plus persuasive, plus chère à ma sensibilité, et plus digne de vous: justifier ici vos bienfaits par leur usage, effacer des essais passagers par des travaux durables, voilà, messieurs, le véritable hommage qui vous est dû, l'éloquence du cœur, vos droits, et mes engagements.

Pourrais-je former d'autres projets et d'autres vœux en entrant dans ce temple de l'éloquence, de la poésie, de l'histoire, de la science des mœurs, et de tous les arts consacrés à l'instruction et au plaisir de l'esprit humain? temple immortel, où les talents sont encouragés et récompensés, où la grandeur elle-même, non contente d'être associée aux talents, les partage et les embellit; où enfin la critique, toujours aussi utile que sage, les éclaire et les perfectionne. A la vue de ce lieu respectable et des noms célèbres que présentent vos fastes, rapproché des modèles et des secours, mes premiers sentiments, après la reconnaissance, ne doivent-ils pas être ceux de la plus noble émulation? et tous mes regards ne s'arrêtent-ils pas nécessairement sur les exemples illustres qui m'apprennent l'emploi du temps, sur la nécessité de se rendre utile à son siècle, et sur la gloire d'apprendre à la postérité qu'on a vécu ?

Tels furent, messieurs, et les principes et les exemples de l'homme estimable que vous venez de perdre toute sa vie fut appliquée, remplie, et digne de ses modèles; né avec un esprit facile et fécond, un talent heureux pour la poésie, une ame faite pour saisir et peindre les idées élevées et les sentiments nobles, un jugement toujours maître du talent, M. Danchet avait joint à ces dons de la nature tous les secours de l'art, toute la culture de l'étude et de la réflexion, les richesses des muses d'Athènes et de Rome, et tous les nou veaux trésors dont le Parnasse de l'Europe est enrichi depuis la fin des siècles barbares et la renaissance des lettres; instruit, formé par les oracles de la poésie, rempli de leurs beautés, animé de leur esprit, il mérita de parler leur langue, et de partager leurs lauriers.

Je ne m'arrêterai point à caractériser ses différents écrits, ni à rappeler les succès des Tyndarides, de Cyrus, de Nitétis, couronné plusieurs fois sur la scène tragique, et le rang distingué qu'Hésione, Tancrède, et les Fêtes Vénitiennes, tiendront toujours sur la scène lyrique : c'est aux ouvrages à parler de leur auteur; tout autre témoignage est suspect ou superflu. Mais il est uu

tribut plus cher que je puis payer à la mémoire de M. Danchet avec toute l'autorité du témoignage public, et avec cette satisfaction du cœur qui accompagne la vérité; un tribut dont je ne dois rien omettre pour sa gloire et celle des talents même; un titre plus honorable que les succès et que le frivole mérite de n'avoir que de l'esprit; un éloge fait pour intéresser également et celui qui le donne et ceux qui l'écoutent: avantage bien rare pour la louange !

Ce n'est pas seulement, messieurs, à l'idée générale d'une franchise respectable, d'une probité sans nuages, et d'une conduite sans variations, que je viens rappeler votre souvenir pour peindre tout le mérite de son ame: je n'ai nommé là que les vertus et les devoirs qu'il partageait avec tous les véritables honnêtes gens; il n'avait d'amis qu'eux, il ne pouvait ressembler à d'autres; mais, pour y joindre des traits plus personnels, un mérite dont il faut lui tenir compte, un avantage qu'il emporte dans le tombeau, c'est de n'avoir jamais déshonoré l'usage de son esprit par aucun abus de la poésie; caractère si rare dans l'art dangereux qu'il cultivait, et où le talent ne doit pas être plus estimable par les choses mêmes qu'il

produit, que par celles qu'il a le courage de se refuser. Instruit dès sa jeunesse et convaincu toute sa vie que la poésie ne doit être que l'interprète de la vérité et de l'honneur, la langue de la sagesse et de l'amitié, et le charme de la société, il ne partagea ni le délire ni l'ignominie de ceux qui la profanent: au-dessus de cette lâche envie qui est toujours une preuve humiliante d'infériorité; ennemi du genre satirique, dont l'art est si facile et si bas; ennemi de l'obscénité, dont le succès même est si honteux; inaccessible à cette aveugle licence qui ose attaquer le respect dû aux lois, au trône, à la religion, audace dont tout le mérite est en même temps si coupable et si digne de mépris; incapable enfin de tout ce que doivent interdire l'esprit sociable, la façon noble de penser, l'ordre, la décence et le devoir, ses écrits portèrent toujours l'empreinte de son cœur.

Malgré l'opinion presque générale, il n'est pas toujours vrai qu'on se peigne dans ses ouvrages. Il est aisé d'être le panégyriste de l'honneur, l'organe des sentiments vertueux, et l'orateur des mœurs; mais quand on parcourt l'histoire de la poésie, on a quelquefois le regret de trouver les plus belles maximes en contradiction avec la vie

de leurs déclamateurs, et l'élévation des préceptes dégradée par la bassesse des exemples: telle a été la malheureuse destinée de quelques écrivains qui ne prétendaient qu'à la célébrité, et qui n'ont ni connu ni mérité l'estime.

La mémoire de M. Danchet n'a rien à craindre d'un semblable reproche; la candeur, la raison, et la noblesse, que respirent tous ses ouvrages, sont l'histoire de sa vie: heureux en la perdant d'obtenir les regrets sincères de tous ceux qui l'ont bien connu! heureux d'avoir uni à ses talents tous les titres de l'honnête homme et du sage, et d'avoir toujours mis avant le vain bruit de la renommée le soin de s'immortaliser dans l'estime publique!

C'est votre ouvrage, messieurs, ce sont vos biens que je viens d'exposer à vos yeux en parlant de son cœur et de ses vertus; c'est par les principes invariables de cette illustre compagnie qu'il avait cultivé, enrichi, perfectionné un naturel si heureux, et surtout l'esprit d'union, de déférence et de société, ce caractère si essentiel à la république littéraire, et dont vous donnerez toujours le modèle; caractère de noblesse et de vérité, de force et de lumière, qui, ne connais

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