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sant ni les honteuses inquiétudes de la jalousie, ni les intrigues de la vanité, ni le tourment de la haine, ni la bassesse de nuire, reçoit et donne avec droiture tous les secours de la confiance, tous les conseils du goût, tous les jugements de l'impartialité; ne voit point un ennemi dans un concurrent; applaudit tout haut aux vrais succès, sans se réserver à les déprimer tout bas; et ne cherche que le bien, le progrès, et l'embellissement des arts. Voilà, messieurs, l'esprit respectable qui vous anime; voilà les lois et l'appui, ainsi que les premiers fondements de l'Académie française. En ouvrant ses annales, monuments de la vertu ainsi que de la gloire littéraire, on voit avec un sentiment de plaisir qui n'échappe point aux ames généreuses, on voit, dis-je, que l'amitié éclaira la naissance de l'Académie. C'est sur une société choisie de sages, qui s'aimaient et s'instruisaient réciproquement, que le cardinal de Richelieu, ce vaste et profond génie à qui rien n'échappait de tous les moyens d'illustrer un empire, conçut le plan de cet établissement si honorable à sa mémoire, et si utile aux lettres et à la France. A ce spectacle, messieurs, au souvenir de votre origine, frappé de tout l'éclat de ce moment il

lustre, le premier d'une carrière immortelle, je me plaindrais de l'insuffisance de l'art à rendre en ce jour d'aussi brillantes images, et surtout à peindre dignement les traits des deux premiers protecteurs de l'Académie, si leur juste éloge ne venait de vous être tracé en ce moment par un homme né pour parler des hommes d'état, pour leur ressembler, pour leur appartenir par les talents comme par la naissance, et né également pour appartenir aux lettres et aux arts par un goût héréditaire.

Assez d'autres, en rendant hommage à l'Académie dans un jour semblable, ont vanté plus heureusement que je ne pourrais faire sa fondation, ses accroissements, ses ouvrages immortels, et ses autres attributs: pour moi, messieurs, si l'honneur de vous appartenir me donne quelque droit de vous rendre compte de moi-même, j'avouerai que, toujours indigné des inimitiés basses et des divisions indécentes dont l'empire des lettres est quelquefois agité, pénétré de vénération pour les exemples contraires que présente l'Académie, j'ai cru ne pouvoir mieux satisfaire au tribut public que je lui dois, qu'en m'attachant à faire remarquer et respecter cette heureuse amitié, partie

sans doute la plus intéressante de vos fastes, puisqu'elle est l'histoire de la vertu, et que la vertu, dans l'ordre du bonheur public, marche avant les talents.

Cette union qui, en assurant vos progrès, présageait toute votre gloire, attira plus particulièrement sur vous l'attention du souverain. Louis XIV aux noms sublimes de conquérant et de monarque voulut joindre le titre de votre protecteur. Et qui peut douter que le sentiment généreux de la confiance, et ce concours de forces et de clartés toujours réunies par l'amour de l'intérêt commun, n'aient heureusement contribué aux progrès particuliers de tant de grands hommes qui ont illustré le dernier règne et la nation, et porté à un si haut degré de splendeur l'éloquence et la poésie, ainsi que la pureté, l'énergie et l'élégance de la langue française, devenue par eux la langue de l'Europe? Différents dans leurs genres, mais placés dans la même carrière, rivaux sans division, concurrents dignes de s'estimer, simples et modestes, parce qu'ils étaient vraiment grands, les Corneille, les Bossuet, les Racine, les Fénélon, les La Fontaine, les Despréaux, les Fléchier, les La Bruyère, furent toujours les exemples de ce caractère d'éga

lité et d'union qu'ils vous ont transmis. Pourrais-je ne point leur associer dans cet éloge leur contemporain, leur ami, leur rival, que nous avons la douceur de voir ici, cet homme adoré de leur siècle et du nôtre, modèle comme eux d'une vie rendue constamment heureuse par la raison, les graces, et la vertu; d'une vie qui ne peut être trop longue au gré de nos désirs et pour notre gloire?

Que ces hommes divins, qui ont éclairé le siècle que je viens de louer en les nommant, servent plutôt à l'émulation qu'au découragement du nòtre, et que tous ceux qui cultivent les lettres apprennent, messieurs, par les exemples qu'ils ont reçus de vous, et qu'ils en recevront toujours, qu'il est dans tous les temps de nouveaux lauriers.

Pour nous élever au grand, dans quelque genre que ce soit, ne partons point de l'humiliant préjugé que nous sommes désormais réduits au seul partage d'imiter, et au faible mérite de ressembler les progrès de la raison, des talents et du goût, loin de marquer les bornes de l'art aux yeux des ames supérieures, ne sont pour elles que de nouveaux degrés d'où elles osent s'élancer. Des astres ignorés, un nouveau monde inconnu à l'an

tiquité, n'auraient point été découverts dans les deux siècles qui précèdent le nôtre, si cette courageuse émulation n'avait tracé la route. Par quel asservissement désespérerions-nous de voir éclore de nouveaux prodiges de l'esprit humain, de nouveaux genres de beautés et de plaisirs, de nouvelles créations? Le génie connaît-il des bornes? attendrions-nous moins de son empire illimité que des combinaisons de la matière, qui, toute bornée qu'elle est par son essence, est si riche, si inépuisable dans les formes qui la varient successivement? D'autres hommes ont vécu : nous qui les remplaçons, qui ne marchons que sur des ruines, ne voyons-nous pas le spectacle de l'univers toujours nouveau au milieu même des ruines qui le couvrent? Les découvertes inespérées, les évènements les plus imprévus, les objets les plus frappants, sont-ils refusés à nos regards? De nos jours une ville entière du nouveau monde vient de disparaître dans la profondeur des mers, nulle trace ne laisse soupçonner qu'elle ait existé; une autre ville de notre hémisphère, cachée aux regards du soleil depuis dix-sept siècles, sort de son tombeau, revient à la lumière, nous offre ses monuments; et, pour rappeler des traits plus intéressants, nos

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